Le bâtonnier de l'ordre des avocats de Tizi Ouzou plaide dans cet entretien pour la révision de tous les codes juridiques, tout en remettant en cause les audiences par vidéoconférence. Il met en exergue la régression des droits de la défense souvent par le fait des magistrats. D'où cette grève pour dénoncer ces violations lors des procès. Liberté : Dans ses déclarations, l'Union nationale des barreaux s'est focalisée sur l'abrogation de la disposition afférente à l'organisation de procès à distance sans le consentement préalable du détenu ou de ses avocats. Est-ce à dire que désormais cette revendication constitue l'unique cheval de bataille des avocats ? Salah Brahimi : C'est seulement parce qu'il y a urgence que nous n'avons parlé que de cela. Il s'agit d'une réunion extraordinaire par rapport à un incident qui a eu lieu à cause de cela. Autrement, elle est loin de constituer la seule revendication de l'Union. La première revendication reste l'Etat de droit, que la défense soit respectée autant que les magistrats, il faudrait revoir tous les codes : le code de procédure pénale, code de procédure civile et nous demandons même la révision de la loi fondamentale qui régit la profession d'avocat car il est dépassé, et quand nous disons refaire les codes il faudrait associer dans ces démarches les barreaux, les bâtonniers, les commissions de travail. Les avocats doivent être partie prenante, ils ont leur mot à dire et ce mot doit être pris en considération. Ce qui est urgent c'est qu'il y a des procès tellement lourds de conséquences vu qu'ils touchent à l'économie nationale donc les faire passer par vidéoconférence je crois que ce n'est pas très sérieux. Il faut une refonte de tous les textes qui régissent la justice en général et surtout le texte qui régit les juges en particulier pour qu'il y ait une réelle séparation du pouvoir judiciaire du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Pour qu'il y ait indépendance de la justice, il faut que le texte fondamental des magistrats soit revu le plus tôt possible. Beaucoup d'avocats considèrent qu'à travers ces violations des droits de la défense, la justice a franchi un nouveau pas en termes de dépassements et surtout de régression au moment où le peuple revendique justement une justice indépendante, équitable et respectueuse des droits. Partagez-vous ce constat ? Je ne suis pas du même avis car ce ne sont pas des faits généralisés. Ce sont des exceptions. C'est du cas par cas. Il y a des nouveaux magistrats qui ne sont pas au courant de la procédure, ou qui ne sont pas sages ou encore qui ne prennent pas des décisions au moment voulu. Il s'agit parfois d'écarts de langage et il faut avoir la sagesse de gérer cela pendant l'audience, il ne faut pas se précipiter. Il y a l'article 25 qui régit la profession d'avocat qui dit que lorsqu'il y a un incident d'audience, le magistrat doit impérativement arrêter l'audience, appeler les parties dans son bureau et essayer de trouver une solution et quand il ne peut pas en trouver, un rapport doit être fait au bâtonnier et au président de cour, et si ces derniers ne trouvent pas de solution, à ce moment-là seulement il faut informer le ministre de la Justice qui doit saisir la commission nationale de recours pour trancher la question et prendre les sanctions nécessaires à l'encontre de celui qui serait fautif. Maintenant, il faudrait, en revanche, poser la question pourquoi cela se passe uniquement à Alger où le problème a commencé depuis une année au point de le nommer tribunal d'exception. Pour mémoire, lorsqu'il y a eu le problème de l'emblème amazigh, tous les tribunaux relaxaient les prévenus à l'exception du tribunal de Sidi M'hamed. La seule lecture que nous pouvons faire, c'est que les présidents des tribunaux ou les présidents de sections ont reçu ordre de juger par décision qui vient d'en haut. La solution c'est qu'il faut revoir les lois mais en attendant de revoir les lois il faut que des mesures soient prises en urgence pour laisser la défense faire son travail correctement. Mais jusque-là aucune mesure n'a été prise... Nous n'avons rien reçu dans ce sens mais les quelques parties qui ont réagi n'ont parfois pas la qualité de réagir. C'est le cas du syndicat des magistrats. C'est au ministre de la Justice de réagir, mais à ce que je sache, pour le moment il n'y a eu ni réaction du ministre de la Justice ni déclenchement d'une enquête. En tout cas, aujourd'hui, je réaffirme que quelles que soient les déclarations faites par le bâtonnier Me Sellini, le président de l'audience aurait dû arrêter l'audience. Il a violé l'article 25 du code régissant la profession d'avocat. Il ne l'a pas fait, il est donc seul responsable de tout ce qui peut en découler. Qu'il n'essaye pas de rejeter la balle sur les avocats. Dans ses déclarations, l'Union nationale des barreaux a estimé que la généralisation des procès par vidéoconférence enlève à la justice sa valeur humaine. N'estimez-vous pas qu'avec le déconfinement de la quasi-totalité des activités, il serait temps de mettre fin aux procès par vidéoconférence ? Effectivement ! C'est à cause de la Covid-19 qu'il y a ces procès par vidéoconférence. Avant il n'y en avait pas et maintenant que les conditions sanitaires se sont améliorées ils n'ont plus leur raison d'être. Au début de la crise il y a eu un amendement de loi qui disait qu'un procès en correctionnelle pouvait avoir lieu par vidéoconférence au choix du détenu. Nous avons vu cela au procès de Karim Tabbou qui a refusé de comparaître par vidéoconférence, mais c'était avant le deuxième amendement. Mais dernièrement, malheureusement une chose s'est faite sur le dos de la défense. Nous n'avons même pas été consultés ni en tant qu'union ni en tant qu'avocats même si nous faisons partie de cette justice : ils ont procédé à un amendement de la loi qui dit que c'est le juge qui a le pouvoir discrétionnaire de décider si le détenu doit être auditionné directement devant lui ou par vidéoconférence. Il y a des petits dossiers pour lesquels le problème ne se pose pas, mais il y a des dossiers lourds, comme par exemple un dossier où il est question de faux et usage de faux où la vérification de la signature du prévenu exige sa présence, là son jugement par vidéoconférence relève tout simplement d'une hérésie juridique. Cette affaire vient d'avoir lieu à l'approche du référendum sur la nouvelle Constitution, est-ce qu'elle ne risque pas de prendre une couleur beaucoup plus politique que judiciaire ? Cela peut être un incident déclenché ou un incident fortuit mais maintenant qu'il s'est produit il y a forcément ceux qui veulent en tirer profit pour politiser au maximum cette situation malheureuse. Une chose est certaine c'est que ce n'est pas facile de faire grève une semaine parce qu'il faut penser aux citoyens, aux droits de la défense et au temps perdu. Mais même la grève de deux jours il y a des avocats qui ne l'ont pas suivie car ils se demandent pourquoi cet incident s'est produit juste dans des affaires de corruption et pas dans d'autres procès comme celui de l'emblème amazigh ou de Tabbou ? La question mérite d'être posée. On se souvient tous du procès du journaliste de France 24, lorsque son avocat est allé lui rendre visite à la maison d'arrêt, il a été ébahi de voir qu'il avait été relâché. Il y a deux poids deux mesures dans cette justice. Il faut que les lois et les procédures soient respectées. Il faut que la justice soit au-dessus de tout, il faut que la sagesse prime. Il ne faut pas que la justice soit utilisée pour des règlements de compte ou pour des raisons politiques. Mais malheureusement cela se fait et nous condamnons tout cela. Cette grève a été décidée après que le barreau d'Alger s'est insurgé contre ce qu'il a qualifié de violation des droits de la défense. Des violations similaires sont-elles enregistrées également à Tizi Ouzou ? Non ! Des violations similaires n'ont pas été enregistrées à Tizi Ouzou. Dans un fonctionnement normal de la justice, il y a, de temps en temps, des incidents d'audience que nous arrivons à régler au niveau de chaque juridiction mais nous n'avons jamais eu à enregistrer d'incidents de ce degré-là. L'incident d'Alger a eu lieu à deux reprises : le premier lors du procès Tahkout et le second lors du procès d'Oulmi. Donc notre mobilisation s'inscrit dans la logique du soutien à la robe et non pas de X ou Y ou que parce que c'est le procès de X ou Y. Lorsqu'il y a violation de la loi et que les conditions d'un procès équitable ne sont pas réunies il est de notre devoir d'attirer l'attention. Pour le barreau de Tizi Ouzou, le but recherché par cette grève c'est de dire non à toute violation au bon déroulement d'un procès.