Par : Dalila Nedjem Directrice des éditions Dalimen Le Sila n'aura pas lieu cette année. Pour garder le lien entre écrivains, éditeurs et lecteurs, Liberté ouvre ses colonnes et leur donne la parole... L'annulation du plus grand événement culturel et commercial est un choc supplémentaire dans notre secteur. Je dirais même que c'est la foudre qui s'abat sur les professionnels du livre. Le Sila est l'événement international en Algérie qui a son "aura" incontestable et incontestée. C'est la plus grande librairie du pays, car les lecteurs viennent de tout le territoire. C'est le lieu où ils se sentent à l'aise, rencontrent les auteurs, assistent aux débats et font des acquisitions d'ouvrages qu'ils ne trouvent pas forcément dans une librairie, connaissant les problèmes de diffusion, voire même d'importation. Nous espérions à travers cette activité croire à une relance. Un espoir vite estompé ! Bien que le motif principal soit une question de santé publique et afin d'éviter une catastrophe humaine, la décision je la respecte et l'approuve. Mais je pense que nous aurions pu prévoir une alternative, et cela depuis le début de la pandémie, ne serait-ce que pour protéger les métiers du livre en général, celui de l'éditeur en particulier et bien entendu tous les autres métiers qui gravitent autour, à savoir les imprimeurs, les distributeurs, les auteurs et bien entendu les libraires. Il y a eu une annonce dans la presse d'un éventuel salon numérique. Et je me pose la question : Comment peut-on faire de telles annonces ? Y a t-il eu une réflexion approfondie pour mettre en place cet événement virtuel ? Nous n'avons aucune logistique appropriée pour le réaliser. Où sont les plateformes numériques ? Le paiement en ligne commence à peine à être vulgarisé. Qui pourra profiter de cet événement virtuel ? Encore une fois adressé à une certaine catégorie de personnes. A-t-on sollicité l'avis des professionnels ? Non ! Plusieurs expériences de salon du livre virtuel dans le monde ont été lancées, mais aucun n'a eu des retombées positives escomptées. La seule activité tangible, et encore une fois destinée à une petite frange de la société, ce sont les conférences. Je veux juste rappeler que les professionnels du livre sont avant tout des producteurs mais aussi des investisseurs et créateurs d'emplois. Même pas un plan de relance pour la survie du secteur n'a été préconisé. Des mesures d'accompagnement auraient été les bienvenues. On reste suspendu aux déclarations, aux annonces, et l'on attend : nous aimons notre travail. Nous étions déjà affaiblis par la situation sociale et politique en 2019, et maintenant sanitaire, c'est dire à quel point l'annulation d'un tel événement est un coup dur, violent, voire fatal. Ce sont des situations que nous subissons, car imprévues et inattendues. Face à toutes nos difficultés, nous n'avons eu aucune écoute ni considération. Il y a bien eu deux ou trois rencontres avec quelques membres du syndicat du livre et des responsables du ministère de la Culture. Ils auraient travaillé sur les amendements de la loi sur la politique du livre et des propositions de faire des salons nationaux. Mais d'après le syndicat, il n'y a pas eu de suite. Un courrier a été envoyé également au Premier ministre pour alerter du risque de disparition de la filière. Des propositions ont été faites par le syndicat (Onel). Mais pas de réponse. Combien d'éditeurs pourront se relever face à cette catastrophe ? Très peu ! L'industrie du livre souffre de la crise liée au coronavirus. Le secteur patine. Quelques maisons d'édition ont pu, je dirais même osé sortir quelques nouveautés, ce qui a permis à certaines librairies de fonctionner. Il faut rappeler que la librairie est partie intégrante, tout comme l'édition, de l'industrie du livre. Même ce secteur agonise. Depuis trois ans maintenant, les librairies ne vendent plus le livre scolaire alors qu'auparavant elles le faisaient. Elles ont toujours eu des agréments. Lorsque nous posons la question, les agents de l'ONPS répondent que c'est une décision du directeur : réponse évasive. Mais face à ce refus, ce sont les parents d'élèves et les élèves eux-mêmes qui souffrent. À chaque rentrée scolaire, c'est le calvaire pour les parents. Et les libraires sont impuissants devant cet état de fait. Mais comment peut-on expliquer que ces mêmes livres scolaires sont vendus dans le circuit informel ? Alors que partout dans le monde les manuels scolaires sont vendus exclusivement en librairie. Voilà une décision des pouvoirs publics qui sauverait ce métier vital et qui éviterait les attroupements devant les écoles. Et l'image d'un enfant qui rentre dans une librairie pour acheter ses livres, n'est-ce pas l'image d'une société saine et normale ? En tant qu'éditrice, j'éprouve beaucoup de tristesse et de désarroi quant à l'avenir de notre métier. Les éditeurs et les librairies sont les piliers de notre culture. Nous avons des défis que les professionnels du livre se doivent de confronter, mais sans écoute, sans concertation, sans visibilité, ne serait-ce qu'à court terme, il est à craindre des pertes considérables dans cette noble fonction. Mon rêve pour la nouvelle Algérie est d'avancer ensemble, avec confiance, en corrigeant certes les imperfections passées, améliorer la compétitivité, ne plus naviguer à vue et espérer que le monde du livre résistera à cette tempête. Non, le Sila 2020 n'aura pas lieu.