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Yacine, le poète, la liberté
Hommage
Publié dans Liberté le 29 - 10 - 2020


Par : Yahia Belaskri
Ecrivain



"Symbole de liberté, de combat et de dignité, ses œuvres sont inscrites à l'encre indélébile. Pour commémorer l'anniversaire de sa disparition, "Liberté" donne la parole à des auteurs, universitaires et comédiens ayant côtoyé de près ou de loin cet intellectuel "rebelle", défenseur des causes justes."
"Il fallait bien que je partage un peu le poids/écrasant ce pays depuis des siècles." Ces mots sont du poète Grec Titos Patrikios ; Kateb Yacine aurait pu les dire tant il avait à cœur le destin de sa terre : "Si je me réfère à l'universel, c'est le judaïsme, le christianisme, l'islam. Si je me réfère à la patrie, c'est l'Algérie." Et cette Algérie, il la connaît : "Je vois notre pays et je vois qu'il est pauvre/Je vois qu'il est plein d'hommes décapités." Romancier, dramaturge, militant politique, il est avant tout poète : "Je suis poète. Il s'agit d'une inclination irréductible et naturelle à la poésie, qui m'a possédé depuis que je suis très jeune. J'admets qu'il y a des gens qui ne placent pas la poésie au centre de leurs préoccupations en matière littéraire, mais pour moi la question ne se pose pas : tout commence par la poésie." (France Observateur, 31 décembre 1958) De ce fait, il n'obéit à aucun formalisme, encore moins aux injonctions. "Notre but, c'est de tourner le dos à toutes formes de pouvoir", affirmait-il. Ostracisé, éloigné de la capitale — à Sidi Bel-Abbès, car le président de l'époque avait demandé qu'il écrive et ne parle pas —, il ne cessait de pourfendre le pouvoir politique et ses renoncements. Qu'aurait-il dit et qu'aurait-il fait s'il avait assisté au Hirak ? Certainement qu'il aurait été parmi les manifestants. Mais qu'aurait-il dit ? Ce qu'il a toujours affirmé, la nécessité de la révolution, la défense des libertés, toutes les libertés : de conscience, d'opinion, d'expression. D'abord, la lucidité du poète : "Nous sommes plongés dans un grand silence orageux où vient se projeter, comme un pavé, (le) cri, cette complainte." Le cri des Algériens, hier pour dénoncer la colonisation, aujourd'hui pour pourfendre la corruption. Ensuite, le lien du poète aux siens. "Le poète est au cœur du monde, dit Hölderlin. Pour être au cœur du monde, encore faut-il qu'il soit au cœur du peuple (...)" Il a toujours été au cœur de son peuple, défendant ses aspirations, exaltant sa pluralité. Nombre de témoignages existent sur ses positions politiques courageuses, ses actes auprès de ceux qui sont oubliés.
C'est par un matin ensoleillé que je l'ai rencontré à Oran. La veille, mon ami Hafid Gafaïti m'avait dit : "Si tu veux voir Kateb, on se retrouve demain à 10h au café qui jouxte la cinémathèque." La nuit a été longue pour moi ; je n'arrêtais pas de penser à ce que je pourrai dire au poète maintenant que j'ai l'opportunité de le voir. J'avais à peine 19 ans et connaissais son livre culte Nedjma, l'avais étudié en classe de philo au lycée Ibn Badis. Ma professeure de philosophie, Mme Jacqueline Lloan, l'avait mis au programme, aux côtés du texte de Mostefa Lacheraf Algérie, nation et société, mais aussi des textes de Voltaire, de Jean-Jacques Rousseau, etc. Lorsque je suis arrivé au café, j'ai l'ai vu de loin, attablé avec Hafid Gafaïti. Maladroit, ému, j'ai pu les saluer, pris une chaise et me suis assis en face du poète. Au bout d'un petit moment, il m'invite à parler, le questionner éventuellement. Pas un son. Rien qui ne sortait de ma bouche, les yeux grands ouverts à découvrir les traits de cet homme, visage émacié, sourire avenant, le regard direct et franc. Alors, il a parlé. Il a évoqué la révolution bien sûr, la nécessité de témoigner pour les plus faibles, ceux qui souffrent de l'exploitation, la question des femmes, la moitié de l'humanité, sinon le monde brûlera, la poésie aussi et surtout. Deux heures passées à l'écouter. Hafid Gafaïti intervenait de temps à autre.
Pas moi ; j'écoutais le poète. Que dis-je ? Je buvais ses paroles. Ensuite, il est parti avec Hafid. J'étais euphorique.
Auparavant, je ne jurais que par Karl Marx. Depuis ce jour-là, il n'y avait de place que pour Kateb Yacine. J'entrepris de relire Nedjma. Peine perdue, ma lecture n'avait pas changé. Depuis, je le lis régulièrement, pour y puiser les raisons de croire encore à la possibilité d'être.
"Kateb n'appartient pas qu'aux Algériens"
Plus tard, j'ai quitté ma bonne ville et suis allé vers d'autres horizons. Dans ma besace, il y avait toujours Kateb. Avec d'autres, bien entendu. Puis je suis devenu écrivain et le monde s'est élargi encore devant mes yeux. Lors d'un séjour de près d'un mois à Haïti, le pays des lumières, j'ai rencontré Kateb dans les mots du poète Julien Delmaire. Venu rejoindre les passagers des Vents qui se trouvaient chez Pascale Monnin et James Noël, Julien Delmaire exhiba deux livres, celui de Kateb et celui de Mohammed Khaïr Eddine, le grand poète marocain.
Devant mon étonnement, il a eu des mots simples : "Ces deux poètes me sont indispensables." Toujours à Port-au-Prince, une soirée lecture a été organisée. J'ai lu un poème de Kateb et, du fond de la salle, est venue à moi une femme splendide, toute en grâce, qui me souffla à l'oreille : "Kateb n'appartient pas qu'aux Algériens." Elle s'appelle Magali Comeau-Denis, est comédienne au théâtre et a été ancienne ministre de la Culture à Haïti. Elle avait joué dans un spectacle de Kateb à New York. Plus tard, c'est le dramaturge Syto Cavé qui est venu spontanément à moi pour me dire qu'il avait mis en scène Kateb à New York. Kateb prenait une autre dimension à mes yeux. Et puis un jour, je me trouvais en Haute Loire, en France, à l'invitation d'un couple de libraires, Tania Tourjansky et Bruno Goffi. Avec Hubert Haddad et d'autres amis écrivains, nous présentions notre revue Apulée.
C'est Tania Tourjansky qui a profité de l'occasion pour m'emmener à Blanlhac, chez Paule Giraud. Une grande découverte. Paule Giraud, une femme énergique quoique diminuée par la maladie, souriante, est une grande amie du poète. Souvent, il s'isolait chez elle, pour se reposer, souffler.
Elle m'a parlé longuement de lui, de ses enfants, notamment Amazigh, mais aussi de Nadia et Hantz. Tous lui rendent visite, encore aujourd'hui. J'ai marché sur les pas de Kateb, dans la forêt où il avait dégotté un petit coin protégé, une petite grotte dans laquelle il s'isolait, fumait cigarette sur cigarette. J'ai visité le village et pris un café à l'endroit même où il buvait un petit coup avec les habitants. Jacqueline Arnaud venait le voir, Habib Tengour également. Paule est intarissable, elle sort les photos du poète, les égrène une à une, les lettres qu'il lui écrivait, ses livres dédicacés pour elle et son mari. Une mine d'or.
Dans ce bout de territoire de Haute-Loire où la neige et le froid habitent à demeure, le poète venait se ressourcer auprès de ses amis. Il dormait beaucoup, écrivait, conversait avec ses hôtes. De temps à autre, il filait à l'anglaise et rentrait tard, un peu fatigué d'avoir fait la fête. Toujours gentil et aimable. Dans ma bonne ville, c'est Aïcha Kateb, sa nièce, qui l'évoque à chacune de nos rencontres.
Elle parle de la famille, ses tantes, les grands-parents, puis enchaîne sur le poète. Elle aussi est intarissable. Enfin, ma rencontre avec Madeleine Riffaud à Paris, résistante à seize ans, correspondante de l'Humanité en Algérie durant la guerre, elle a échappé à un attentat de l'OAS, poète, n'a fait que me conforter dans l'image que j'ai du poète. Lorsque Madeleine, 94 ans, malvoyante, mais gardant une énergie étonnante, me parle du jeune homme de 17 ans qui lui a fait aimer l'Algérie, c'était une boucle qui se fermait. Être poète, c'est être attentif aux soubresauts du monde et au mystère de la vie.
Être poète, c'est traquer la nuance comme dirait Hubert Haddad. Et Kateb, homme libre, intellectuel sans concession, s'est toujours tenu à distance du pouvoir. Il était le pourfendeur des certitudes, celui qui récusait les constantes constrictrices, le repli sur soi et l'enfermement. Kateb était de tous les combats, ceux de l'affirmation de l'être ensemble, sans exclusive. Aujourd'hui, nous avons besoin de la voix du poète pour que l'espérance ne quitte pas notre rivage.


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