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"Notre société est habitée par le démon de la violence"
Le psychiatre Mahmoud Boudarène à propos de l'assassinat de Djamel BensmaIl
Publié dans Liberté le 17 - 08 - 2021

"Ce qui s'est produit à Larbâa Nath Irathen nous invite à nous interroger et à regarder à l'intérieur de nous-mêmes", estime M. Boudarène.
Liberté : L'acte d'assassinat de Djamel Bensmail a boulevrsé tout le pays. Comment ce basculement dans l'horreur a-t-il pu se produire ?
Mahmoud Boudarène : Je ne sais pas vraiment si on peut parler de normalité ou d'anormalité dans de telles situations. Si vous voulez savoir si les personnes qui sont passées à l'acte ont été prises d'une folie subite, je pense que ce n'est pas le cas. La folie ne peut pas s'être emparée soudainement d'une communauté et amener cette dernière à commettre collectivement un acte barbare comme celui-ci. Les personnes qui ont participé au lynchage de Djamel Bensmaïl ne sont pas folles, elles sont - de mon point de vue - responsables de leurs actes devant la loi. L'enquête déterminera, bien sûr, les responsabilités et les psychiatres experts auprès des tribunaux feront leur travail d'expertise. Cependant les circonstances qui ont amené à cette situation tragique peuvent donner du sens à ce passage à l'acte, sans le justifier, je tiens à le souligner. Des incendies dévastateurs et meurtriers se sont produits dans la région. Les médias et les réseaux sociaux n'ont pas cessé de matraquer les citoyens avec des informations qui font état de la présence de pyromanes dans la région. Les incendies sont criminels, cela a même été reconnu par les pouvoirs publics, cela a suffi à immiscer la colère dans les esprits et à faire naître la haine dans les cœurs. A la douleur de la population s'est ajouté le désir de vengeance. La poudrière est chargée, il suffit d'une étincelle et la défagration a lieu. La colère est une émotion très contagieuse qui s'amplifie au fur et à mesure qu'elle gagne la communauté. Elle devient exponentielle jusqu'à atteindre un "point de rupture" et d'abolition de la raison chez le sujet. Les capacités de discernement de ce dernier sont alors annihilées, le pire peut survenir et l'horreur s'accomplir. Si chez les uns et les autres, il y a eu à un moment donné - dans l'accomplissement de l'acte - un trouble du jugement, une altération de la perception de la réalité ou une suspension de la conscience de soi, cela ne fait pas de ces individus des malades mentaux au sens propre du terme.
La colère explique-t-elle, à elle seule, un tel saut dans l'horreur ?
Ce qui s'est produit à Larbâa Nath Irathen nous invite à nous interroger et à regarder à l'intérieur de nous-mêmes. Comment est-il possible que la douleur et/ou la colère nous déshumanise au point de chosifier notre semblable et de commettre l'innommable sur sa personne ? Est-ce que la monstruosité est en chacun de nous ? Au regard de ce qui s'est produit, cela semble être le cas. La colère est en sommeil et est prête à se manifester à tout moment. Mais elle est aussi dans le groupe - la foule - laquelle, à la faveur de la douleur et de la colère partagée, affaiblit la conscience de soi chez l'individu et le rend perméable aux sollicitations externes et à tout ce qui se passe autour de lui.
Il perd ainsi les attributs qui font son individualité et son esprit critique, il se transforme en monstre capable de passer à l'acte. Il n'est plus responsable de son comportement, la responsabilité est partagée par la foule. Ce processus s'appelle la désindividuation. À ce stade, la culpabilité individuelle n'est pas assumée, comme dans tout acte commis en groupe. Qui a porté le coup fatal ? Personne. Dans le cas qui nous concerne présentement, le lynchage de la victime a été commis collectivement. Au moment du passage à l'acte, tous étaient dans le même état d'esprit, celui qui dépouille de son humanité la victime. Ce n'était pas une vie qu'ils étaient en train d'ôter. Mais la douleur et la colère, à elles seules, ne peuvent expliquer la monstruosité dont se sont rendus responsables les auteurs de cet acte, "l'effet foule" non plus. Il y a sans doute aussi l'accumulation de ressentiments et le sentiment d'injustice qui habite chacun de nous.
Lesquels ressentiments et sentiment d'injustice ont été exacerbés par les incendies dévastateurs et meurtriers que des mains criminelles ont allumés. Ce sentiment d'injustice est là, présent, il nous accompagne où que l'on soit ; même s'il est mal identifié, nous subodorons les auteurs. Le système ! Et le système, ce sont les autres, ce sont tous ceux qui ne sont pas identifiés comme appartenant à notre communauté. Et en ces moments tragiques, la communauté est réduite à la douleur et à la colère partagée. C'est le sens qu'il faut donner à ce qui vient de nous arriver, au malheur qui nous a frappés, et à celui qui s'est ajouté : le meurtre de Djamel Bensmaïl. Mais ce meurtre n'apaisera pas nos douleurs, ne calmera pas notre colère et ne pansera pas nos plaies. Si notre douleur et notre colère avaient du sens, cette monstruosité n'a aucune justification, elle est un traumatisme pour la communauté.
Que révèle ce drame et quel sera son impact sur la société ?
Cette tragédie montre que notre société est habitée par le démon de la violence. Les mécanismes qui régulent son fonctionnement sont inopérants et les interdits fondamentaux qui constituent des digues contre toute forme d'atteinte à la personne humaine sont tombés. Des actes de ce genre, des lynchages et des immolations de personnes, de femmes notamment, se sont déjà produits dans notre pays. Ils se produiront encore. Bien sûr, le fait que cela soit déjà arrivé n'exonère pas de leur responsabilité les auteurs du meurtre de Djamel Bensmaïl, mais cela interpelle la conscience sociale. Si la violence est dans la cité, c'est parce que l'ordre social s'est effondré et que l'ordre institutionnel n'est pas respecté. Les personnes en viennent à vouloir se faire justice parce qu'elles ont le sentiment, à tort ou à raison, que la justice ne leur sera pas rendue.
Le discours de l'autorité publique n'est pas entendu, il a perdu toute crédibilité aux yeux du citoyen, et la défiance vis-à-vis des institutions de l'Etat constitue aujourd'hui un danger pour la paix sociale. La tragédie qui s'est déroulée à Larbâa Nath Irathen en est la conséquence. Quand bien même cette communauté ne serait pas responsable du comportement des individus qui ont commis ce meurtre, le drame qu'elle a vécu sera le traumatisme qui marquera pour toujours cette région.

Propos recueillis par : Arab Chih


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