Le mécanisme de compensation monétaire "risque carrément d'être mis en veilleuse de crainte d'accélérer le rythme de l'inflation, menaçant ainsi des équilibres économiques et sociaux déjà fragiles", pense l'économiste Brahim Guendouzi. La récente déclaration du ministre de l'Agriculture qui a exclu toute augmentation du prix du lait subventionné en sachet de 25 DA renseigne clairement sur les difficultés auxquelles fait face le gouvernement pour mettre en œuvre sa stratégie de ciblage des subventions. L'Exécutif a décidé de revoir le niveau des prix des produits subventionnés en garantissant aux citoyens nécessiteux un versement qui compensera toute éventuelle hausse de la tarification. L'article 187 de la loi de finances 2022 stipule, en effet, qu'"il est mis en place un dispositif national de compensation monétaire au profit des ménages qui y sont éligibles, constitué, notamment, de représentants des départements ministériels concernés, de parlementaires des deux chambres et d'experts économiques concernés ainsi que de représentants d'organisations professionnelles". La LF 2022 précise toutefois que la révision et l'ajustement des prix des produits subventionnés interviendra après la mise en place, par ledit dispositif, de mécanismes et mesures relatifs à la détermination de la compensation au profit des ménages qui y sont éligibles, à travers un programme de transfert monétaire direct. "Les modalités d'application seront fixées par voie réglementaire notamment, la liste des produits subventionnés concernés par la révision des prix, les catégories de ménages ciblés, les critères d'éligibilité à cette compensation et les modalités de transfert monétaire", indique le même texte. Les experts, très au fait de ce domaine, ont d'ores et déjà prédit la complexité de cette mission de ciblage des subventions, notamment en l'absence de statistiques complètes et fiables dans notre pays. Le gouvernement n'a, certes, pas prévu la mise à exécution de sa nouvelle politique de subvention sociale dès l'année en cours, mais tout porte à croire qu'un tel objectif nécessitera encore plusieurs mois. Brahim Guendouzi, professeur d'économie à l'université de Tizi Ouzou, estime que le remplacement du système des subventions par un mécanisme de compensation monétaire "risque carrément d'être mis en veilleuse par crainte d'accélération du rythme d'inflation, menaçant ainsi les équilibres économiques et sociaux déjà fragiles". Risque d'une inflation accélérée Pour lui, la spirale inflationniste fait peur, car il faut tenir compte aussi de la forte hausse des prix à l'international, surtout pour un pays comme l'Algérie dont les approvisionnements en inputs dépendent largement des marchés internationaux. À cela, il y a lieu d'ajouter la valeur du dinar en forte chute face au dollar et à l'euro qui représente, affirme-t-il, un autre facteur de renchérissement des biens importés. Il évoque également la question de la régulation de la distribution de trois produits sensibles de large consommation que sont le pain, le lait et l'huile de table, de surcroît subventionnés mais suscitant beaucoup de surenchères ces derniers jours. S'agissant du pain, Pr Guendouzi avoue que le problème se pose au niveau de la corporation des boulangers en termes de charges d'exploitation en hausse alors que le prix de la baguette de pain ordinaire est toujours à 10 DA. "Leur revendication portant sur un mécanisme de compensation en leur faveur en attendant la révision éventuelle du prix du pain n'a pas encore trouvé de solution concrète auprès des pouvoirs publics", constate-t-il. L'économiste cite aussi l'exemple du lait, soumis à deux logiques de subventions. L'une est liée à la consommation à travers la poudre de lait importée essentiellement par l'ONIL ; l'autre à la production à travers les aides de l'Etat accordées aux éleveurs et aux collecteurs de lait cru. "Les laiteries sont confrontées actuellement au rationnement de la poudre de lait destinée exclusivement à la vente en sachet au prix de 25 DA et au manque ressenti dans les approvisionnements en lait cru, puisque de nombreux éleveurs ont changé d'activité du fait des frais d'exploitation élevés liés à la cherté de l'aliment du bétail dont une partie est importée", relève l'universitaire. Le troisième produit concerne l'huile de table qui connaît une sérieuse perturbation dans la distribution en dépit de l'importance des capacités de production installées. L'huile de table étant subventionnée et son prix plafonné, les marges commerciales sont, selon Brahim Guendouzi, "tellement réduites que les distributeurs et les commerces de détail ne sont plus intéressés par la vente d'un tel produit qui ne rapporte plus" mais qui pèse dans le chiffre d'affaires servant à l'assiette fiscale. In fine, la hausse sensible des prix tant au niveau national qu'à l'international, conjuguée à la faiblesse dans la régulation des circuits de distribution, particulièrement des produits alimentaires de large consommation, "rend le dossier de la levée des subventions généralisées plus complexe encore, au risque de l'envoyer aux calendes grecques", conclut l'économiste.