L'islamologue, anthropologue et psychanalyste, spécialiste de l'histoire des religions et de la civilisation arabe et musulmane, Malek Chebel, a été, la semaine dernière, l'invité du Centre culturel français pour présenter son dernier ouvrage “L'islam et la raison, le combat des idées” paru récemment aux éditions Perrin. Lors de cette présentation, qui s'est déroulée à l'auditorium de l'université Mentouri de Constantine, Malek Chebel s'est référé à un autre ouvrage paru en 2004, aux éditions Hachettes, Manifeste pour un Islam des lumières afin de développer ses idées porteuses de réformes de la chose religieuse. Pour Malek Chebel, à l'instar du célèbre mufti de Marseille, Souheib Bencheikh, l'Islam n'a que trop souffert des pratiques et pensées de ces derniers siècles de régression de la pensée arabe et musulmane. Une régression que deux nouveaux éléments, au moins, risquent de perpétuer, dénaturant carrément le message porté par Mohamed (QSSL). En effet, la population musulmane est de plus en plus jeune, vivant dans des conditions matérielles difficiles, rendant les discours populeux et intégristes plus porteurs que les discours objectifs et modérés. D'autre part, “l'asiatisation de l'Islam” risque de le transformer, vue par l'Occident et même par ses propres adeptes, en “des islams” dont les uns sont la négation même des autres. Les derniers événements survenus au Pakistan, le jour de l'Achoura, donne à ce constat toute sa légitimité. Pour Chebel, la pluralité est une des essences même de l'Islam. Il n'y a qu'un seul Islam, un seul enseignement, avec des explications-interprétations différentes ou plutôt plurielles. Ainsi, à la croisée des chemins, il est temps que les musulmans libres des pesanteurs politiques et intégristes, à la fois, plaident pour une charte d'une “religion musulmane réformée dans ses pratiques intellectuelles et morales”. Chebel soumet à l'occasion, 27 fondements ou commandements. Le plus important est celui affirmant “la supériorité de la raison sur toutes formes de pensées et de croyances”, car, selon l'auteur, “quand l'Islam va mal, la voix de la raison peine à se faire entendre”. “Décréter la guerre sainte inutile et dépassée” et “réévaluer le statut de la femme” sont deux autres fondements d'un manifeste qui s'inscrit directement dans une démarche de dénonciation de toute forme d'intégrisme. L'instrumentalisation du djihad est en train de nuire à la religion de la tolérance plus qu'elle ne la rend lisible par le reste du monde. Pourtant, le Coran est porteur de “valeurs reconnues internationalement qu'il faut mettre en évidence” sans quoi, il est difficile d'arriver à faire comprendre à l'Occident un Islam qui se résume actuellement à des pratiques malheureusement polluées par la récupération aussi bien intégriste que populiste. Malek Chebel interroge en filigrane le message du Coran afin de comprendre les défis de l'Islam en Europe aujourd'hui. Dans son livre L'Islam et la raison, il place le combat d'idées sur sa véritable orbite, un Islam des lumières au-dessus des idées rétrogrades et non fécondes développées dans un contexte de crise multidimensionnelle et entretenu dans des sociétés inféodées aux discours populistes et de passion. Dans sa quête pour un Islam réformé, Malek Chebel plaide pour un retour aux sources de l'enseignement comme ce fut le cas du temps du Prophète Mohamed (QSSL) et des Mouta Zila avec la ferme croyance que le gain de cette bataille d'idées est possible car cet Islam a bien existé, que ce soit du temps des Abassides ou des Fatimides et aussi bien à Bassora, en Egypte, à Grenade ou à Cordoue. Alors Chebel, sur les traces de Abi Nadham, d'Averroès, de Farrabi, d'Ibn Kaldoun… ? En tout cas, ses ouvrages sur la société musulmane (La formation de l'identité politique, Dictionnaire des symboles musulmans, Le corps en Islam, Encyclopédie de l'amour en Islam, Psychanalyse des Mille et Une Nuits…) sont aujourd'hui des références. Il est entré dans la cour des écrivains par des sujets tabous à l'époque tels ceux liés au corps, à la sexualité et au politique dans les sociétés musulmanes. Aujourd'hui, avec le recul, on s'aperçoit qu'elles sont des passages obligés pour comprendre la religion portée par Mohamed (QSSL), notamment dans une perspective de dialogue entre les civilisations. M. K.