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Au cœur de l'événement, le black-out
Les six derniers jours de bagdad (V)
Publié dans Liberté le 16 - 04 - 2003

Des rumeurs triomphalistes circulent : “Ils ont égorgé 105 marines”, dit-on.
Samedi 5 avril, 13h25. Les journalistes sont priés de rejoindre illico presto la salle de conférences de l'hôtel Palestine. La presse internationale s'y engouffre avec précipitation. Quelques instants plus tard, Mohamed Saïd Essahaf fait son entrée au milieu d'un brouhaha de flash-flash, de gardes du corps qui s'agitent dans tous les sens et de micros et caméras qui sortent de partout. Le moment est délicat. Essahaf, le pompier débonnaire d'un régime aux abois, doit cette fois fournir des explications quant aux informations pressantes donnant l'aéroport international Saddam-Hussein tombé entre les mains des Américains.
Très accessible, d'une disponibilité à toute épreuve, celui qui s'est rendu célèbre par ce leitmotiv restera sans doute gravé dans les annales de la communication de guerre. Nous pensons à… l'“adjectif disqualificatif” “el-oûloudj” qu'il trempe à toutes les sauces. Med Saïd Essahaf a sans doute réussi la gageure de vendre le mythe de la solvabilité du régime de Saddam Hussein à l'opinion internationale et particulièrement arabe.
Ce jour donc, l'homme va s'exprimer sur les derniers développements du côté de l'aéroport. Son intervention dure une vingtaine de minutes.
Nous n'avions pas fait cent mètres qu'un pick-up de la police freine sec à notre hauteur. Des flics en civil en jaillissent et foncent sur nous. “Aâtini houiatak !” (donnez-moi vos papiers d'identité), nous intime l'un d'eux, sur un ton sévère. Nous nous répandons en salamalecs et explications et l'officier finit par nous rendre nos papiers. Une vingtaine de mètres plus loin, nous passons devant une escouade de miliciens du parti Baâth : “Vous êtes d'où ? Qu'est-ce qui vous prend de traîner comme ça ? Où est-ce que vous allez ?” Nous leur expliquons de nouveau la situation. “Marhaba bi ahl El-Djazayer !”, disent-ils avant de nous relâcher.
“Vous ne devez pas
quitter le Palestine”
Au troisième barrage, les choses se gâtent. Une voiture de police, de marque américaine (les sirènes de la police à Bagdad sont d'ailleurs pareilles à celles des films américains), nous intercepte. Un gaillard en uniforme, armé jusqu'aux dents, surgit du noir et nous soumet à un véritable interrogatoire. Nous avions beau lui expliquer que nous venions de faire vingt-deux heures de route, que nous avions passé une nuit blanche, que nous étions juste à la recherche d'un petit hôtel où passer la nuit, l'homme se braque. “Nous sommes en guerre, monsieur, vous n'avez pas le droit de circuler à votre guise. Les instructions sont claires. Vous ne devez pas quitter l'hôtel Palestine !” Il nous embarque dans la voiture non sans nous encombrer avec son énorme kalachnikov. L'homme nous conduit manu militari à l'hôtel Palestine et donne notre signalement à qui de droit. Les Irakiens finissent par nous trouver une chambre au moment où la direction de l'hôtel nous assurait qu'il n'y avait pas un seul lit de disponible tant l'établissement était accaparé par les journalistes et les familles de certaines pontes du régime. En somme, dans tout Bagdad, les seuls espaces sécurisés étaient l'hôtel Palestine et un autre 5 étoiles qui lui fait face, le Sheraton-Ishtar. Les deux palaces abritent tout le personnel journalistique et autres ONG humanitaires. Tout est concentré ici : officiels, boucliers humains, MSF, CICR… Une aubaine pour nous, puisque nous n'avons pas à nous perdre dans les dédales de Bagdad pour trouver tel ou tel interlocuteur. A notre tour donc de nous fondre dans ce microcosme. Le hall de l'hôtel Palestine ne désemplit pas de visiteurs de tout acabit. Il ne se passe pas une seconde sans que quelqu'un ou quelque chose n'arrive. Sur quatre mètres carrés sont concentrés plusieurs services. Pour cause, le ministère irakien de l'Information a misé lourd sur les médias. Aussi, a-t-il tout mis à la disposition des journalistes : téléphones, fax, salles Internet, une salle pour des conférences de presse “à domicile”, un télex de l'agence officielle INA, etc. Hélas, à notre déception, nous apprendrons vite que tout ce beau dispositif est inopérant, l'aviation américaine ayant détruit toutes les infrastructures de télécommunication du pays.
En investissant notre chambre, nous nous engouffrons dans un noir opaque. La direction de l'hôtel a mis juste une petite lanterne dans chaque chambre pour un éclairage minimum. Un boucan d'enfer est produit d'ailleurs par les groupes électrogènes. C'est grâce à eux que l'ascenseur fonctionne. La tour fait 18 étages, et c'est un vrai calvaire d'y vivre sans électricité. De notre chambre, au 8e étage, nous avons une belle vue sur le Tigre. La rive Est du fleuve est à une cinquantaine de mètres de l'hôtel. Sur l'autre rive, on peut voir toute une succession de bâtiments officiels dominés par l'un des plus somptueux palais de Saddam, Al Qasr El-Djoumhouri.
Pour cette raison, nous serons aux premières loges quand l'aviation américaine se remettra à l'œuvre.
Chambre 835
Dès les premières heures de cette première nuit à Bagdad, nous nous ferons une idée plus que sommaire de l'intensité et de l'atrocité des bombardements que subit la capitale irakienne depuis voilà seize jours. Toute la ville est plongée dans le noir, le courant électrique étant coupé.
Cela explique le silence des sirènes qui retentissaient sans discontinuer aux premiers jours de l'agression. Une épaisse brume de pétrole, de poussière, des débris de bombes et de chair humaine recouvrent Bagdad. De là où nous sommes, nous surplombons une bonne partie de cette mégapole tentaculaire et à perte de vue, à perte de “vie”. La désolation est souveraine. Il est minuit passé, il n'est point de Schéhérazade pour distraire l'esprit maléfique de ce sniper du ciel qui s'apprête à larguer son chargement de bêtises humaines appelés sans vergogne “missiles intelligents”. Une succession de déflagrations qui tonnent comme une montagne de dynamites fend le ciel de Bagdad et Schéhérazade perd ses mots. Dans ses yeux perlent des larmes. Un collier de larmes passé autour du cou de Nabuchodonosor dans l'espoir de le faire attendrir. Peine perdue…
Notre sommeil sera toute la nuit ponctué d'explosions. A chaque explosion, on court au balcon voir ce que l'on peut voir. Il n'y a que des orages de bombes, des colonnes de fumée noire et de la poussière d'enfants qui monte au ciel. Sur un immeuble situé à quelques encablures de l'hôtel, une banderole avec ces mots : “War kills innocents”, (la guerre ne tue que des innocents), et sur chaque balcon on peut voir des portraits d'enfants fauchés par les dommages collatéraux. Une autre banderole rappelle à qui veut l'entendre : “Life is sacred” (la vie est sacrée). Dans une aile de l'hôtel Palestine, une succession de photos insoutenables montrant des civils déchiquetés.
Au petit matin, notre réveil est brutal. Une salve de tirs de la DCA, des rafales de kalachnikov, des détonations terribles viennent nous rappeler que nous sommes en plein dans la gueule du loup. Nous courons vers le balcon voir ce qui se passe : les Américains pilonnent rageusement les positions de la garde républicaine. Plus tard, nous apprendrons que les combats font rage à l'aéroport international de Saddam. Des rumeurs triomphalistes circulent. “Ils ont égorgé 105 marines”, dit-on.
L'autre événement du jour est le bain de foule que s'était offert Saddam Hussein dans la région d'Al-Karkh. Nous sommes le samedi 5 avril. La veille, Saddam était sorti saluer son glorieux peuple et le rassurer qu'il maîtrisait la situation. Nous comprenons maintenant pourquoi à notre arrivée à l'hôtel Palestine, il y avait un attroupement en face de l'unique poste de télévision qui se trouve dans le hall et qui ne montre habituellement que les images de la chaîne irakienne. Les titres de quelques feuilles de journaux qui forment la presse irakienne, Al Iraq en arabe et Irak News en langue anglaise, ont consacré de longs pavés à cette sortie médiatique. Les commentaires parmi les journalistes étrangers vont bon train. “Ce n'est pas lui, c'est un sosie”, susurrent-ils sous cape, incrédules. Jusqu'à ce samedi 5 avril donc, ce n'est guère un peuple capitulard que nous avons en face, mais un peuple qui entend en découdre avec les colonnes des GI's dans les batailles de rue. Aussi, attendions-nous cette bataille de Bagdad, non sans une certaine assurance et une issue honorable pour les Irakiens. D'ailleurs, en sondant l'opinion des Bagdadiens, nous ne pouvions que prédire de glorieuses pages de résistance. “Les lâches ! Ils nous bombardent du ciel. Ils n'osent pas nous affronter comme des hommes. Ils savent que s'ils entrent dans la ville, nous allons les dévorer”, fulmine un jeune Irakien rencontré au quartier Al-Karada. Un homme d'un certain âge renchérit : “Nous sommes tous mobilisés. Si nous ne tenons qu'un mois, nous aurons vaincu. Ils n'ont pas honte de comptabiliser les points qu'ils ont remportés. Deux super-puissances se liguent contre un peuple désarmé et ils se vantent de leur pseudo-victoire. Ils vont voir de quel bois se chauffe l'Irakien !” Des discours de cette teneur, l'on n'entendra que cela tout au long de notre séjour. On ne peut pas faire deux mètres sans être interceptés, fouillés, interrogés. Tout le monde s'est érigé en flic. Tout le monde se sent le devoir d'interpeller toute personne suspecte. Les gens sont très orgueilleux, très fiers et ne se plaignent jamais. Certains nous surprendront pas leur générosité et leur courtoisie. Ceux dont les moyens de survie sont irrémédiablement laminés nous proposent à chaque tournant le gîte et le couvert. Il faut voir à quel point notre pays est apprécié par ici. Hormis les embêtements tant compréhensibles de la flicaille, l'Algérien est vraiment roi en Irak. “Vous êtes comme nous, vous êtes des durs, vous êtes nerveux, vous vous emportez facilement, mais vous êtes braves et profondément bons !”, fait remarquer un ingénieur mué en milicien.
Si Bagdad est une métropole la nuit, un immense tombeau ouvert tant la pluie de bombes qu'elle subit est insoutenable, c'est une tout autre ville que l'on découvre au petit matin. Et ce n'est pas le seul paradoxe de cet Orient si déroutant. Il est vrai que le rythme des Bagdadiens a été foncièrement chamboulé, mais la vie reprend ses droits dès les premières lueurs du jour. La plupart des commerces sont fermés. Mais pourquoi ouvriraient-ils ? Encore que les marchés fonctionnent normalement dans la plupart des quartiers. La place Alaouite où se trouve une grande station d'autobus connaît une fébrilité extraordinaire, même au plus fort des combats. C'est dire à quel point ce peuple martyr a appris à vivre avec la guerre.
Pourtant, c'est un peu tôt pour se laisser aller à un optimisme béat. Nous ne pourrions que souhaiter, à voir le moral de fer des Irakiens, une issue honorable pour eux quand la guerre tournera à la guérilla urbaine. Mais les plus avisés savaient déjà que ce formidable élan de résistance allait se briser sur l'autel de la désorganisation et des tractations secrètes…
M. B.


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