Les frappes contre Daesh sont réelles mais ne sauraient être comparées à une véritable campagne de bombardements comme celle qui avait précédé l'invasion de l'Irak en 1991 et en 2003. Certes, les objectifs ne sont pas de même nature, il n'y a guère d'hommes au sol (quelques dizaines contre plusieurs centaines) et l'on parle de limiter les dégâts collatéraux, ce dont personne ne semblait se préoccuper lors de l'offensive de 2003 contre Saddam Hussein. Les frappes aériennes de la coalition sous commandement américain ont lieu essentiellement en Irak, comme si l'on voulait laisser le champ libre à Daesh à l'ouest, sur le front syrien, où l'organisation peut se replier et agir contre Bachar El-Assad. En effet, comment avec les moyens modernes de surveillance (satellites, aéronefs, drones, etc.), les membres de la coalition anti-Daesh peuvent-ils faire croire qu'ils ont été surpris par son offensive à Palmyre, après un déplacement de ses unités sur plusieurs centaines de kilomètres en plein désert ? Il convient de reconnaître que la stratégie suivie jusqu'à présent ne donne pas les résultats espérés. Fin mai 2015, le Pentagone a annoncé qu'il avait conduit, depuis l'été 2014, plus de 15 600 sorties aériennes en Irak et en Syrie —pour un coût de 9 millions de dollars par jour — et qu'il éliminait près d'un millier de combattants de l'organisation chaque mois. Si cela s'avère exact, cela ne semble toutefois guère avoir d'effet sur l'organisation «Etat islamique», qui semble conserver ses capacités d'action, malgré plus de 10 000 pertes dans ses rangs. Cela est sans doute dû au fait que les Etats-Unis et leurs alliés européens et moyen-orientaux poursuivent et accélèrent même la formation et l'équipement des djihadistes syriens pour parvenir au renversement de Bachar El-Assad. Leur regroupement, sous le nouveau nom de l'Armée de la conquête, n'est qu'un leurre. Pour l'essentiel, il s'agit toujours des terroristes de Jabhat Al-Nosra, la branche locale d'Al-Qaïda, groupe contre lequel l'Occident est toujours censé lutter. Des officiels américains ont reconnu que la CIA avait, depuis le début des événements en Syrie (2011), entraîné et équipé plus de 10 000 hommes dans des camps d'entraînement en Jordanie. L'agence leur fournit également des renseignements afin de monter des opérations et les approvisionne constamment en armes et en munitions, ne semblant pas avoir tiré les leçons des années précédentes où de nombreux groupes de combattants qu'elle a formés ont rejoint les rangs des djihadistes et de Daesh. Finalement, seul l'Iran semble attaché à lutter efficacement contre Daesh, même si cette attitude n'est pas dénuée d'arrière-pensées. Téhéran est le principal allié du régime syrien, auquel il fournit un soutien financier et militaire important. Ses troupes sont engagées en Irak et en Syrie, où elles combattent directement ou encadrent des milices locales, lesquelles se révèlent nettement plus combattives que l'armée régulière de Bagdad. Néanmoins, la coordination entre Iraniens et Américains est quasiment nulle et ne permet pas d'améliorer l'efficacité des opérations. Le président iranien Hassan Rohani a fustigé en juin dernier les erreurs de calcul des Etats appuyant la rébellion syrienne et affirmé que son pays soutiendrait le régime de Bachar al-Assad jusqu'à la fin. Téhéran considère les rebelles comme des terroristes et accuse les pays occidentaux, la Turquie et les pays du Golfe de financer aussi bien l'organisation «Etat islamique» que Jabhat Al-Nosra afin d'atteindre leurs objectifs régionaux. Mais après quatre ans de résistance et de persévérance, l'Iran considère que les plans des ennemis de la Syrie, qui pensaient venir à bout de ce pays en quelques mois, se sont effondrés.En dépit du danger qu'ils représentent, des crimes odieux qu'ils perpétuent ou commanditent et de la propagande qu'ils répandent partout dans le monde, les djihadistes de l'organisation «Etat islamique» sont loin de ne connaître que des succès. Malgré une communication ronflante vantant leurs victoires, leurs échecs sont nombreux : ils ne sont pas parvenus à s'emparer de Baghdad ou du Kurdistan, malgré les divisions importantes au sein des Kurdes, ni à renverser Bachar El-Assad. Depuis l'été 2014, l'expansion territoriale de Daesh est interrompue. L'organisation perd désormais autant de terrain qu'elle en conquiert. Si les frappes et les raids de commandos occidentaux et iraniens contre elle n'ont pas permis de la faire reculer, ils sont cependant parvenus à la contenir. Toutefois, force est de constater l'efficacité très relative des actions conduites contre l'«Etat islamique». Aucun effet concret ne pourra être obtenu tant que les frontières de l'espace qu'il contrôle ne seront pas hermétiquement fermées, tant que les pays arabes voisins aideront ou laisseront certains de leurs ressortissants rejoindre Daesh et tant que les services spéciaux occidentaux et arabes soutiendront les autres formations djihadistes en Syrie et en Irak. Au vu de la situation actuelle, autant dire que nous en sommes loin.