Les autorités algériennes viennent de décréter l'interdiction formelle de toute aide française destinée aux écoles privées algériennes, aide octroyée dans le cadre du dispositif AFD (aide française au développement). Pour rappel, pour encourager l'enseignement de la langue française en Algérie, la France octroie des aides à des établissements scolaires privés. Selon les chiffres publiés par l'ambassade de France en Algérie, l'aide publique au développement française destinée à l'Algérie s'élevait à 132 millions d'euros en 2022. Sur ce montant, 121 millions d'euros étaient alloués aux ministères de l'Education et de l'Enseignement supérieur, principalement pour financer des bourses d'études pour les étudiants algériens en France (qui, à l'issue de leurs études, sont recrutés par les entreprises françaises), tandis que 8,5 millions d'euros étaient destinés à la coopération culturelle et scientifique via l'ambassade de France et l'Institut français d'Algérie. Jusqu'en octobre 2023, certaines écoles privées algériennes dispensaient le programme français, permettant ainsi aux élèves algériens de passer le baccalauréat français via le CNED, organisme d'enseignement à distance. Depuis lors, les écoles privées algériennes sont tenues à se conformer strictement au programme national arrêté par le ministère de l'Education nationale algérien. Historiquement, à l'époque coloniale, en Algérie colonisée le français était l'unique langue enseignée dans le système éducatif. À l'indépendance de l'Algérie, l'emprise linguistique et culturelle française perdure durant les deux premières décennies, au cours des années 1960-1970. Cette emprise s'est manifestée par l'imposition du français comme langue d'enseignement et l'exportation de programmes scolaires calqués sur le modèle métropolitain. En dépit de l'arabisation de l'enseignement, la domination de la langue française perdure encore au cours des années suivantes, notamment sous forme de coopération éducative, en particulier parmi les élites algériennes francophones et francophiles qui inscrivent massivement leurs progénitures dans les écoles privées dispensant un enseignement en français.Depuis l'indépendance, les écoles françaises, l'attribution de bourses et le financement d'institutions culturelles ont constitué les leviers principaux de cette influence postcoloniale que l'Algérie a commencé, ces dernières années, d'abord à limiter, puis à supprimer de son paysage éducatif et culturel. Cela étant, la récente mesure d'interdiction de toute aide française aux écoles privées algériennes s'inscrit dans un contexte plus large de redéfinition de la politique éducative algérienne et de distanciation progressive vis-à-vis de l'ancienne puissance coloniale. Sans surprise, l'interdiction de toute aide française aux écoles privées algériennes dispensant un enseignement en français a suscité de vives réactions des deux côtés de la rive méditerranéenne. En particulier parmi l'élite algérienne francophone, qui désapprouve cette interdiction. Et pour cause ! Elle la prive désormais de ce «visa-scolaire-permanent» permettant à sa progéniture de faire carrière en France, leur véritable pays de cœur, l'Algérie étant considéré comme un simple pays de transition. Récemment, le Premier ministre français, François Bayrou, a accusé «l'Algérie de mener un combat acharné contre la langue française». Certains intellectuels algériens, , notamment l'élite intellectuelle, dans leurs tribunes, avaient démenti cette accusation. Selon eux, au contraire, la langue française, constitue un « héritage que l'Algérie n'a jamais renié, mais qu'elle a façonné à sa manière ». Mieux, la langue française demeure, d'après eux, vivace. Sûrement pas parmi le peuple algérien. La langue française a toujours été, non pas l'héritage de l'Algérie, mais l'apanage d'une certaine élite algérienne, arrogante et orgueilleuse. Par ailleurs, ces intellectuels algériens francophones reprennent à leur compte ce vieux mythe répandu par les ex-colonisés francophones d'après lequel en s'affranchissant de la colonisation française, c'est-à-dire en devenant politiquement indépendants du pouvoir métropolitain, les ex-colonisés francophones se seraient automatiquement libérés, et de l'idéologie bourgeoise associée à la francophonie et de la tutelle de l'ancienne puissance coloniale. Une chose est sûre, la maîtrise de la langue française ne confère pas au locuteur francophone algérien la souveraineté identitaire et culturelle, encore moins elle lui permet de se réapproprier ses racines. Le français : butin de guerre ou bulletin d'adhésion ? Quoi que l'on puisse dire à propos d'une langue, à plus forte raison d'une langue coloniale hégémonique comme le français, elle ne se cantonne pas à un système de communication. Elle véhicule aussi une culture, renvoie à une histoire et influence la pensée. Influence culturelle qu'elle continue d'exercer par-delà l'époque coloniale. Notamment en Algérie parmi les élites intellectuelles, les politiciens, défenseurs acharnés de la langue française. Pourtant, la langue française, hier langue des révolutionnaires, est devenue l'idiome des réactionnaires. Hier langue du Progrès, elle est devenue parlure de la régression. Une langue peut connaître des temps de gloire, puis subir des déboires. La preuve par la France. La France, pays des Lumières, dotée d'une langue lumineuse, aujourd'hui sombre dans la médiocrité culturelle. Son système scolaire est en faillite. Sa population verse dans l'obscurantisme politique, l'intégrisme populiste. Son Etat, dans le racisme institutionnel et le militarisme belliciste. Sans conteste, la langue, en fonction de son contenu philosophique et politique et des forces économiques qui la portent, peut se révéler réactionnaire ou révolutionnaire. En Algérie, il y a des Algériens intégralement arabisants, pourtant extrêmement cultivés et politiquement révolutionnaires. Comme il existe des Algériens francophones, pourtant dramatiquement incultes et politiquement réactionnaires. Pour justifier leur défense de la langue française, les élites et politiciens algériens ont toujours argué qu'il s'agit d'un « butin de guerre », selon la formule de Kateb Yacine, leur parangon. A suivre Khider Mesloub Une chose est sûre, s'il y a «butin linguistique français», c'est un butin qui ne profite qu'à une petite caste d'intellectuels, d'hommes politiques et d'affaires, de cadres et d'universitaires. Un riche butin que ces élites algériennes francophones et francophiles ne manquent pas de monnayer, fructifier. Ironie de l'histoire, le paradoxe c'est que, au cours des 132 ans de colonisation, l'Algérie n'a jamais été francophone. Les Algériens étaient exclus et du système scolaire et de l'espace politique colonial français. En réalité, la francophonie, au sens linguistique du terme désignant l'ensemble des citoyens libres et des institutions indépendantes qui utilisent le français comme langue d'usage, d'enseignement et de l'administration, a été instauré concrètement au lendemain de l'indépendance de l'Algérie en 1962. Par la minoritaire élite francophone. D'aucuns diraient francophiles. La «francisation» scolaire et administrative des Algériens a commencé en 1962. Elle est l'œuvre du nouvel Etat indépendant algérien. Autrement dit, au cours des années 1960-1970, l'Algérie indépendante aura mieux développé la langue française que la France coloniale. Ne pas perdre de vue qu'en 1962, à l'indépendance de l'Algérie, 92% de la population étaient analphabètes. Cependant, contrairement à ce que laisse entendre nombre d'intellectuels algériens, les Algériens, en devenant indépendants, ne sont pas devenus propriétaires de la langue de leurs anciens maîtres. La langue du colonisateur demeure la propriété de la France, des Français. Les Algériens bénéficient seulement de l'usufruit de la langue de Molière. Ils disposent du droit d'usage de la langue française sans avoir le titre tricolore de propriété. D'ailleurs, les élites intellectuelles et culturelles de l'Hexagone ne sont nullement dupes de cette prétention des ex-colonisés de s'attribuer les mérites de l'usage de la langue française. En France, les élites comme la classe politique établissent systématiquement une distinction entre la littérature «française» et la littérature «francophone». La première renvoie aux œuvres littéraires produites par les écrivains français de souche, la seconde désigne les productions littéraires des écrivains allogènes originaires du Maghreb et de l'Afrique. Notamment d'Algérie.En tout cas, la langue française ne peut être considérée comme un butin de guerre. Pour rappel, c'est à Kateb Yacine, stalinien impénitent, et esprit assurément pas pénétrant mais colonialement pénétré, au point de cultiver une haine de soi symbolisée par son aversion pathologique des deux fondements de l'Algérie, la langue arabe et l'islam, que l'on doit la popularisation de cette spécieuse formule proférée sous forme de slogan, de tirade théâtralement débitée : «La langue française est notre butin de guerre». Son impertinent cri de ralliement s'adressait assurément à ses congénères lettrés vivant dans leur tour d'ivoire, c'est-à-dire la petite caste d'intellectuels francophones fabriquée par la France coloniale par la grâce de la langue d'allégeance : le français. Car ce slogan ne pouvait concerner les 92% d'Algériens analphabètes, pour qui le français était personnifié par le colon, incarné par Bugeaud et Bigeard, et non pas Molière et Victor Hugo. Kateb Yacine devait avoir une mentalité de pauvre pour s'imaginer riche avec son dérisoire « butin de guerre » concédé mesquinement par la France coloniale. En fait, dans le cas de ces élites algériennes francophones, au vrai il ne s'agit pas d'un butin de guerre, mais plutôt d'un bulletin d'adhésion à la langue française coloniale. Et, par extension, à la culture de ses titulaires. Au paradigme politique et philosophique de la France, en vertu du principe que toute langue, à plus forte raison en position d'hégémonie, véhicule les représentations sociales, les systèmes de valeurs et les schèmes de pensée intrinsèquement liés au pays tutélaire. Pour autant, lorsqu'on emploie l'expression « butin de guerre », cela implique que nous aurions (algériens) pris possession d'un immense trésor inestimable qui nous aurait prodigieusement enrichi. Or, à l'époque coloniale, dans le cas de la langue française, celle-ci n'avait jamais permis aux «indigènes algériens» de s'enrichir intellectuellement, encore moins de prospérer scientifiquement. Pour preuve : à l'indépendance, seuls 8% de la population algérienne était rudimentairement scolarisée. Kateb Yacine lui-même n'a pu dépasser le cycle secondaire : il n'a même pas obtenu son baccalauréat. Aussi, le français n'a jamais constitué notre butin de guerre. En revanche le Français (colonial) nous a toujours mené une putain de guerre (d'extermination simultanément démographique, culturelle, cultuelle, civilisationnelle, linguistique). L'élite francophone sacralise le français et sacrifie l'arabe La langue française, outre le fait qu'elle fut parcimonieusement dispensée à une infime minorité, fut en vérité le cheval de Troie de la politique d'assimilation culturelle instaurée par la France coloniale. Elle ne fut jamais un attelage chargé de tracter les savoirs scientifiques pour libérer les potentialités intellectuelles du peuple algérien. Lui accorder les opportunités universitaires en vue de lui ouvrir les voies de son émancipation politique, de son progrès socioéconomique, de son indépendance nationale. La langue du maître Français fut dispensée à une minorité d'indigène musulman pour lui permettre de devenir, non pas une élite cérébrale, mais le dévoué cerbère politique voué à administrer loyalement ses coreligionnaires analphabètes au profit de la puissance coloniale française. Entre les mains des quelques lettrés soigneusement sélectionnés, le français constituait-il une arme pour lutter potentiellement contre le colonialisme ou une ceinture explosive ceinte autour du corps social du peuple algérien pour faire imploser concrètement sa langue arabe (kabyle), sa culture millénaire, ses racines arabo-berbères, sa religion musulmane ? Cette langue française permettait-elle de s'ouvrir au monde comme le proclamaient (encore aujourd'hui) les thuriféraires de la culture élitiste coloniale, ou travaillait-elle à la marginalisation et épuration de l'univers identitaire arabo-berbère, c'est-à-dire à la disparition de « soi-collectif » algérien, exécutée par une forme de suicide culturel ? Une chose est sûre, de nombreux Algériens francophones et francophiles, pourfendeurs de l'arabisation de l'enseignement algérien, avec leur mentalité de colonisé expliquant leur amour immodéré de la langue et de la civilisation françaises pourtant en pleine putréfaction, peuvent reprendre à leur compte cette proclamation de foi servilement déclamée par le poète malgache Jacques Rabemananjara en 1959 à propos de la langue française: «Nous nous sommes emparés d'elle, nous nous la sommes appropriée, au point de la revendiquer nôtre au même titre que ses détenteurs de droit divin.» Voilà : la langue française est devenue leur langue sacrée, au point de vouloir sacrifier la langue maternelle et officielle du peuple algérien : l'arabe, pourtant réellement langue sacrée, étant la langue du Coran. Sans oublier la langue tamazight pour les berbérophones, pourtant langue matricielle. Cette langue matrice tamazight qui renferme tout un fond sensible collectif, tout un imaginaire collectif structurant la culture et la personnalité du peuple algérien. Cette autre proclamation de foi française écrite par un auteur haïtien au début du XXe siècle peut également être appropriée par ces Algériens sectateurs de la francophonie : « Notre langue est française, françaises sont nos mœurs, nos coutumes, nos idées et, qu'on le veuille ou non, française est notre âme. ». L'âme de ces Algériens culturellement néo-colonisés est incontestablement française, comme leur arme est la langue française, ce butin de guerre fièrement revendiqué comme faisant partie intégrante du patrimoine linguistique algérien. Le français virus linguistique pirate infiltré dans le logiciel éducatif algérien C'est avec cette arme française que ces hommes liges de la France, adoubés par l'Elysée, comptent tuer l'âme algérienne, assassiner la culture arabo-berbère, ressusciter la suprématie culturelle française. Assiéger l'Algérie avec leur cheval de Troie : le français, ce système linguistique pirate infiltré dans le logiciel intellectuel et éducatif de l'Algérien. S'introniser, au terme de leur Odyssée néocoloniale, Rois de l'Algérie francisée. Franchisée. C'est-à-dire une Algérie devenue succursale de la France. Comment un butin de guerre instrumentalisé par des Algériens francophiles, cette « cinquième colonne culturelle », pourrait devenir triomphalement le trophée de guerre de la France impérialiste contemporaine, si l'Algérie continue à souscrire à ce bulletin d'adhésion linguistique néocoloniale. À cette francophilie néocoloniale. Ces Algériens francophiles sont des « invertis nationaux ». Au lieu d'épouser les valeurs culturelles, linguistiques, morales et politiques produites par le pays, ces élites algériennes n'éprouvent de l'amour culturelle qu'à l'endroit des Français, leurs frères de lit linguistique avec lesquels ils partagent charnellement leur «organe langagier». Ces molles élites algériennes sont attirées uniquement par la France, magnifiée pour sa supposée puissance culturelle, sa virilité économique, son dynamisme politique. Elles aiment se donner politiquement aux Français, apparemment dotés d'organes institutionnels plus musclés. S'offrir moralement à eux. Se prosterner devant leur organe langagier. Se plier à leurs désirs sans se faire prier. Se dévouer à la culture française. Se vouer à la langue française, érigée en déité linguistique. À notre époque décadente marquée par l'invasion de la théorie du genre, qui vise à entretenir une confusion entre les identités sexuelles ; caractérisée par le basculement des valeurs morales, on peut dire de ces Algériens francophiles « retournés » qu'ils sont « nationalement invertis ». C'est-à-dire ce sont des citoyens algériens qui, au lieu d'avoir de l'attachement patriotique à l'égard de leurs frères de sang, de nouer des relations naturelles d'amour nationale avec leurs compatriotes, manifestent l'inversion nationale (qui rime avec aversion nationale). Autrement dit, ils s'unissent exclusivement aux citoyens français dans une intimité culturelle contre-nature, s'offrent à eux dans une relation passive de soumission idéologique masochiste, d'allégeance politique traîtresse, de docilité intellectuelle renégate, au nom de valeurs prétendument universelles incarnées uniquement par la France « démocratique ». En résumé, ils aiment se faire fouetter par leur maître, les Français, idéalisés, vénérés et idolâtrés. Un acteur français a écrit à propos de la soumission : «Moi, mon père, il me l'a transmise, la soumission. Mais avec un brin d'orgueil, un brin de noblesse». Dans la même veine, l'Algérien francophile néo-colonisé pourrait écrire dans la langue de Molière qu'il révère : «Moi, la France, elle me l'a inoculée, la servitude. Mais avec condescendance, dédain qu'elle réserve à l'engeance servile de mon espèce».