Il fut un temps où le Moyen-Orient était leberceau des civilisations ; il n'est plus aujourd'hui que leur tombeau ouvert, creusé par les bulldozers de l'Histoire et comblé par les débris de conflits sans fin. Ce qui s'y joue désormais n'est plus une tragédieantique, mais une farce géopolitique où les puissances écrivent le scénario à coups de drones et de dollars, pendant que les peuples, eux, paient le prix du billet... en sang. Le Liban, cette mosaïque debout sur un fil, est poussé vers la faillite ; la Syrie, reconfigurée en puzzle géostratégique ; la Jordanie, réduite à un sas de décompression diplomatique ; l'Egypte, désormais plus prolixe sur ses stations balnéaires que sur Rafah. Et Gaza, encore et toujours, Gaza. Lieu martyr, mémoire hurlante, réduit à une chronique de l'effacement programmé. Dans ce grand théâtre d'ombres, la résistance n'est plus combattue frontalement : elle est moquée, diabolisée, criminalisée, jusqu'à ce qu'elle devienne inaudible. Il ne faut plus qu'elle fasse peur, mais qu'elle fasse rire. Pire : qu'elle fasse pitié. On l'associe à la barbarie, on l'épuise sous les gravats, on l'enferme dans un lexique piégé — terrorisme, fanatisme, irrationalité — pendant qu'on normalise les frappes, les sièges, les famines. L'humiliation est calculée, la défaite culturellement intégrée Et au cœur de ce chaos chorégraphié, ce n'est plus le droit qui parle, mais le rapport de force. Ce n'est plus la justice qu'on invoque, mais la sécurité. Ce ne sont plus les peuples qui décident, mais les géographes de guerre. Ce ne sont plus les récits qui fondent l'Histoire, mais les lignes de fracture dessinées depuis Washington, Tel-Aviv ou Riyad.Car au fond, ce n'est pas seulement la Palestine qu'on veut effacer.C'est la possibilité qu'un jour, quelque part, l'Histoire ait pu donner raison aux vaincus. 3. La guerre de cinquième génération : algorithmique, amnésique et silencieuse Ce n'est plus avec des divisions blindées que l'on conquiert les peuples, mais avec des colonnes de données, des nuages de récits, et des missiles rhétoriques encapsulés dans des hashtags. Dans cette guerre à visage numérique, les balles cèdent la place aux likes, les bombes aux bots, et les tranchées aux fils d'actualité. Le champ de bataille s'est déplacé dans les méandres invisibles des réseaux sociaux, ces nouvelles arènes où se joue la guerre de la perception.Ici, le soldat porte des baskets blanches et un micro-cravate : il s'appelle influenceur. Le général n'a ni képi ni sabre, mais un nom de code : algorithme.Et la bataille ? Ce n'est plus une charge héroïque, mais une marée continue de flux, de posts, de notifications, si bien orchestrée que l'ennemi ne voit jamais la balle lui traverser l'esprit. Ce n'est plus une guerre, c'est une mise à jour permanente de la conscience collective. L'algorithme, ce dieu discret des temps modernes, choisit qui parlera et qui disparaîtra dans les limbes du silence numérique. L'influenceur, prophète postmoderne, transforme la tragédie en tendance et la douleur en données monétisables. Un tweet viral vaut désormais plus qu'un manifeste politique. Dans cette comédie dramatique, les rôles s'inversent :Le résistant devient terroriste,le bourreau se grime en victime,la compassion se vend à la minute et la souffrance s'évalue en parts de marché.Les puissants manipulent les larmes comme d'autres trafiquent des armes : avec méthode et sans scrupule.Les récits officiels deviennent des évangiles toxiques, proclamant que la paix est dans l'ordre établi, même si cet ordre piétine les peuples. À la une : le désespoir calibré, la violence contextualisée, la résistance criminalisée. Comme l'ont montré P.W. Singer et Emerson Brooking dans LikeWar, les guerres modernes ne se gagnent plus sur le terrain, mais sur l'écran.Le vrai pouvoir est devenu viral.Une fausse nouvelle circule plus vite qu'un missile hypersonique.Un bot peut renverser l'opinion publique avec la précision d'un sniper.La mémoire collective ? Fragmentée en stories éphémères, remaniée par les filtres idéologiques.Et pendant ce temps, dans les salons feutrés des régimes arabes, on s'échange des sourires diplomatiques, on parle « coopération régionale » et « normalisation » pendant que les peuples crient dans le désert numérique. Le cri ne résonne plus ; il dérange. L'amnésie est devenue doctrine. On enseigne le vide, on archive la douleur, on maquille l'histoire.La résistance a déserté les manuels, remplacée par les clauses des accords économiques.Le passé ? Une variable d'ajustement dans les algorithmes de la paix rentable. Comme le rappelait Joseph Massad dans The Persistence of the Palestinian Question, cette trahison rampante n'est pas seulement diplomatique. Elle est culturelle, existentielle. En reniant la mémoire palestinienne, on efface l'un des derniers piliers de la conscience arabe. On vend l'histoire au kilo, et le silence en prime.Dans ce théâtre de l'absurde, où les puissances arabes ont troqué leur voix contre des dividendes, le seul ennemi qui demeure, c'est la mémoire.Car se souvenir, c'est résister.Et résister, c'est aujourd'hui l'acte le plus révolutionnaire qu'un peuple puisse commettre dans l'ère du flux. 4. Géopolitique du cynisme : vers un Moyen-Orient redessiné dans l'oubli Le chaos, autrefois fruit amer de l'imprévu, est aujourd'hui un mets soigneusement mijoté dans les cuisines feutrées des chancelleries. Il n'est plus une conséquence — il est devenu doctrine. Le désordre n'est plus l'exception regrettable d'un échiquier géopolitique en déséquilibre ; il est la règle, la matrice, la stratégie centrale d'une recomposition du Moyen-Orient à coups de ciseaux trempés dans l'huile noire et le sang des peuples. Sur cette scène orientale aux rideaux de fumée et aux coulisses sanglantes, les cartes sont rebattues par ceux qui ont perdu tout scrupule, mais gagné un flair imparable pour les intérêts mouvants. Les frontières morales s'effacent au profit de lignes économiques. Les anciennes rivalités se métamorphosent en pactes d'ambiguïtés. Et l'ordre naissant — ou plutôt, le désordre entretenu — repose sur trois piliers : l'amnésie, la duplicité et l'abandon. Dans cette tragédie géopolitique qui se joue à huis clos :. L'Iran, devenu croquemitaine universel, incarne à lui seul le mal absolu, permettant de justifier embargos, menaces, et un harcèlement permanent sous couvert de paix régionale..La Turquie, pourtant pièce maîtresse de l'échiquier, est isolée comme un pion rebelle, suspectée de toutes les ambitions, ostracisée par tous les camps.. Israël, lui, excelle dans l'art de se parer du manteau de l'éternelle victime, enjambant les ruines de Gaza pour sculpter son mythe existentiel, pendant que l'occupation se fait invisible dans les communiqués des agences de presse.Le cynisme, désormais érigé en discipline stratégique, atteint son paroxysme lorsqu'un ancien chef de guerre, figure sanguinaire de la nébuleuse jihadiste — hier classé terroriste, aujourd'hui couronné d'applaudissements diplomatiques — est invité à dîner aux chandelles par des chefs d'Etat à cravate soyeuse et morale flexible. L'éthique ? Remisée dans les archives. (A suivre…) Par Khelfaoui Benaoumeur-MCA,