Jacob Cohen est un politologue franco-marocain. Il est polyglotte et voyageur, militant antisioniste, anciennement traducteur et enseignant à la faculté de droit de Casablanca. Né au Nouveau Mellah de Meknès, Jacob Cohen a fréquenté l'école de l'Alliance Israélite de Meknès, le lycée-yeshiva du Marshan à Tanger où il a passé deux ans puis la terminale au lycée Moulay Ismaïl de Meknès où il obtient son baccalauréat. Jacob Cohen obtient une licence en droit à la faculté de Casablanca puis entre à Science-Po à Paris où il obtient son diplôme de Science-Po ainsi qu'un DES en droit public. Il émigre à Montréal, puis à Berlin. En 1978, il retourne au Maroc et devient maître-assistant à la faculté de droit de Casablanca jusqu'à 1987. Il s'installe alors à Paris où il se consacre à l'écriture. Sa démarche pluridisciplinaire lui a permis d'accéder à plusieurs champs académique et de création littéraire. D'ailleurs, à ce propos, le roman phare «Le printemps des sayanime» exprime cette maîtrise de mélange entre l'analyse et l'essai politique et d'autre part, la création littéraire et le commentaire sur les questions brûlantes qui impactent le monde en général. Dans cet entretien, Jacob Cohen montre le degré de la barbarie du monde actuel régenté par des puissances qui permettent à l'entité sioniste de commettre des génocides et des massacres en plein jour en Palestine comme signe de soutien incontournable aux crimes et à la barbarie. Dans ce sens il souligne que «L'hypocrisie occidentale qui se manifeste avec la Palestine n'est que la continuation de politiques machiavéliques qui durent depuis au moins deux siècles», rétorque-t-il Il fait allusion à la position de l'Algérie sur ce qui se passe en Palestine en général et à à Ghaza en particulier. Il aborde aussi la question des transformations que vit le monde et le nouvel échiquier mondial qui se trame. L'Expression: Comment évaluez-vous la position de l'Algérie à l'égard de ce qui se passe comme crimes et génocide en Palestine par l'entité sioniste? Jacob Cohen: L'Algérie agit comme un pays arabe solidaire de la Palestine et soucieux de l'unité du monde arabe et de son développement dans l'indépendance doit se faire. Mais ses moyens d'action sont nécessairement limités. Les voies diplomatiques ne déboucheront pas sur grand-chose. L'entité sioniste est protégée par le monde occidental et bénéficie d'une neutralité au moins bienveillante des autres puissances qui comptent. Même l'appel à la CPI, pour autant qu'elle puisse enquêter sur place et émettre un jugement, a peu de chances d'avoir des effets dissuasifs sur les actions sionistes. Et il faut enfin reconnaître que les positions algériennes n'entraînent pas, c'est le moins que l'on puisse dire, l'adhésion de la majorité des Etats arabes, qui se contentent de déclarations ou d'aides symboliques sans grand effet. Les Occidentaux ont bel et bien affiché leur position au côté de l'entité sioniste. N'est-ce pas là le crépuscule des valeurs tant vantées par le même Occident? Il y a toujours eu un hiatus entre les «valeurs» défendues par l'Occident et la réalité de ses actions sur le terrain. Rappelez-vous les guerres d'agression menées par les Américains, grande démocratie devant l'Eternel. Les colonisations européennes ont été menées par de grandes démocraties. Et même sur le plan intérieur, lorsque la raison d'Etat l'exigeait, les pays occidentaux «oubliaient» leurs valeurs. Qu'on pense à toutes les législations depuis une vingtaine d'années pour réduire les libertés d'expression ou plus récemment de manifestation. L'hypocrisie occidentale qui se manifeste avec la Palestine n'est que la continuation de politiques machiavéliques qui durent depuis au moins deux siècles. Peut-on être «terroriste» parce qu' on défend la terre spoliée et la liberté occultée? Les occupants allemands qualifiaient les résistants français de «terroristes». L'armée coloniale française traitait les Algériens de «terroristes». Les sionistes ont fait du «terrorisme» de 1945 à 1947 contre les Britanniques pour obtenir un plan de partage. La qualification de «terroriste» est une question de rapports de force et de maîtrise médiatique. Comme l'Occident défend Israël, il reprend à son compte la terminologie sioniste, et ses médias suivent le mouvement. Il n'existe malheureusement pas une autorité internationale indépendante en mesure de qualifier des actes de guerre de manière juste et impartiale. Mais selon toute logique, l'action des groupes palestiniens du 7 octobre en terre sioniste relève de l'action de résistance légitime contre une occupation illégale. L'entité sioniste redouble de violence et de massacres contre le peuple palestinien sans que l'auguste institution onusienne n'arrive à bouger les lignes. N'est-il pas temps de réfléchir sur les voies et moyens à même de réformer ladite institution internationale? A priori c'est une bonne idée, comme tant d'autres, mais qui n'a aucune chance de se réaliser. D'abord pour réformer l'ONU il faut l'accord des puissances qui ont le droit de veto. Et on voit mal comment elles pourraient s'accorder sur une réforme qui aboutirait à une restriction de leurs privilèges. Et ensuite, et en admettant qu'on puisse recréer une organisation ou la réformer, on tomberait dans les mêmes travers, car et on peut le regretter, mais le monde a toujours fonctionné ainsi, c'est-à-dire que la force au niveau international prime sur le droit. Vous êtes spécialiste des questions qui ont trait au patrimoine hébreu, en quoi la dénonciation du sionisme est une forme d'antisémitisme comme cela est en train de se propager en Occident? C'est un exemple de manipulation des esprits qui ont parfaitement réussi. L'amalgame entre antisionisme et antisémitisme. Jusqu'en 1948 l'écrasante majorité des juifs de la diaspora était soit indifférente soit hostile au sionisme, c'est-à-dire la faisabilité d'un Etat juif. Einstein et Hanna Arendt par exemple y voyaient une incompatibilité et une source de problèmes. Même les institutions religieuses juives étaient opposées à 98% à l'établissement d'un Etat «juif» car cela allait à l'encontre des principes qui fondent le judaïsme. Elles ont changé leur position en 1948. On pouvait donc être juif, ou autre, et être contre l'idée d'un Etat juif, pour toutes sortes de raisons. Mais le sionisme mondial a vu l'intérêt d'assimiler l'antisionisme à l'antisémitisme, car comme l'Occident a mauvaise conscience d'avoir laissé se perpétrer l'holocauste juif pendant la Seconde Guerre mondiale, il a du mal à supporter l'accusation s'il se montre critique envers Israël. On va même arriver en Europe à criminaliser l'antisionisme. Une grande réussite de la propagande sioniste. En quoi ce qui se déroule à Ghaza comme génocide contre le peuple palestinien pourrait impacter le monde et le nouvel ordre qui s'esquisse? Cela ressemble à une tentative désespérée de l'Occident de sauver ce qui peut l'être. La guerre contre la Russie par le proxy ukrainien ne donne pas les résultats escomptés. Au contraire elle a même renforcé le camp des BRICS. Les positions occidentales en Afrique sont ébranlées. Ce qui se passe au Moyen-Orient ressemble à une tentative de montrer sa détermination à laisser cette région sous l'influence américaine. D'où la présence massives des flottes US. Au prix d'un génocide des palestinien, mais aux yeux de l'Empire occidental, ce sont des dégâts collatéraux. D'où le soutien aberrant des «démocraties» européennes. Ce plan semble jusqu'à présent fonctionner. Le monde arabe est tétanisé. Les puissances qui pourraient réagir directement (Iran, Hezbollah, Syrie...) mesurent le prix de la résistance. Mais comme souvent, c'est dans le long terme qu'on verra l'efficacité de cette politique aventureuse. Et surtout si le «chien de garde» sioniste de l'Occident pourra tenir, si sa légitimité ne sera pas remise en question. Quelles sont les conséquences de la normalisation par certains pays arabes avec l'entité sioniste et est-ce que cela n'a pas aidé cette dernière a agir de la manière la plus barbare contre le peuple palestinien? Si l'agression sioniste demeure dans des limites acceptables, si les 2 millions de Gazaouis ne sont pas jetés hors de Gaza comme le prévoyait le plan initial, les pays qui ont normalisé avec Israël pousseront un ouf de soulagement et poursuivront leur collaboration avec le régime sioniste. Ils y sont trop engagés pour reculer. En particulier pour la monarchie marocaine, qui en a fait l'alpha et l'omega de son destin. Bien sûr, le fait qu'un certain nombre de pays arabes collaborent avec Israël donne à ce dernier une grande marge de manoeuvre pour faire ce qu'il veut à Gaza et en Cisjordanie. Cela rend toute action arabe commune impossible. Et je dirais même que le cynisme israélien ne serait pas mécontent de mettre à nu la faiblesse et l'indignité de pas mal de régimes arabes «alliés». L'histoire nous a montré, cependant, que ce pays, qui a toujours vécu dans des guerres perpétuelles sans avoir jamais défini ses frontières (une particularité unique dans les relations internationales) mène sa politique comme bon lui semble, sans se préoccuper de ses relations avec tel ou tel pays arabe.