Il fut un temps — pas si lointain, juste avant qu'on n'oublie de se souvenir — où la Fontaine fraîche du Ghaghaa coulait comme une promesse. Là-haut, entre deux virages vertigineux et un col à vous faire perdre la voix, une source brave et fidèle abreuva, durant des décennies, les hommes, leurs bêtes et même les cœurs fatigués des voyageurs. Aujourd'hui, plus rien. Le silence. La rouille. Et les herbes folles qui dansent sur les ruines d'un service public disparu. On dit qu'elle a été construite juste après l'indépendance, dans cet élan d'espoir où chaque pierre posée valait serment. Elle ne demandait ni compteur ni remerciement : elle donnait. Automne, hiver, canicule ou bourrasque, elle ne trahissait pas. Mais voilà qu'un jour, sans prévenir, on l'a fermée. Coupée à la gorge. Qui ? Pourquoi ? Nul ne le sait. Même l'hydraulique de Tébessa – qu'on a appelé, qu'on a relancé – ignore jusqu'à son existence. Aberrant ? Non, ordinaire À Ghaghaa, la vie continue, mais sans eau. Les anciens regardent le site avec cette grimace mêlée de douleur et d'incompréhension. « Avant, on s'arrêtait ici pour faire la prière, donner à boire aux ânes et aux enfants. Maintenant, c'est les orties qui font halte », lance un vieillard du cru. On rit jaune, parce qu'il faut bien rire de ce qu'on ne peut pas réparer. Une fontaine sans eau, c'est un poème sans verbe. Un pays qui ferme ses sources, c'est une patrie qui tarit ses racines. On nous dira que ce n'est qu'une petite fontaine, une poussière dans le désert administratif. Mais pour ceux qui vivent là-haut, c'était un phare. Elle méritait au moins un regard, une pompe remise, un tuyau réparé. Au lieu de cela : l'oubli, l'indifférence, l'amnésie bureaucratique. Et peut-être, qui sait, quelque dérivation discrète au profit d'un projet privé en contrebas. Car à Ghaghaa, même l'eau peut être détournée. Alors aujourd'hui, on prévient. Pas pour menacer, non. Mais parce que ça suffit. Le ministre de tutelle sera saisi, interpellé, et s'il le faut, invité à venir boire un verre de... poussière, là où jadis l'eau chantait. Ghaghaa mérite mieux que le mépris. Elle mérite qu'on se souvienne qu'ici, l'eau avait une âme.