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«Un monde de cinq cents ans qui est en train de s'écrouler !»
Romain Migus se confie à LNR :
Publié dans La Nouvelle République le 06 - 12 - 2025

Romain Migus est un écrivain, journaliste et sociologue français, reconnu pour son expertise sur l'Amérique latine, en particulier le Venezuela. Né en 1980, il a vécu plusieurs années à Caracas, ce qui lui a permis de développer une compréhension approfondie des dynamiques politiques et sociales de la région. Il est le fondateur du site d'information sur l'Amérique latine « Les 2 Rives » et a publié de nombreux articles et livres sur les révolutions latino-américaines, la guerre médiatique et les enjeux politiques de la région. Parmi ses œuvres notables, on compte trois livres en espagnol : « La Telaraña imperial » (2008), « El programa de la MUD » (2012) et
« El imperio contraataca » (2013), qui explorent des thèmes comme l'impérialisme, l'opposition vénézuélienne et les conflits géopolitiques en Amérique latine. Son travail se distingue par une critique des récits dominants occidentaux et une attention particulière portée aux processus de démocratie participative, notamment dans le cadre de la Révolution bolivarienne initiée par Hugo Chávez. Migus a collaboré avec divers médias et plate-formes, tels que Le Monde diplomatique, L'Humanité, Investig'Action et Réseau Voltaire. Il reste une voix influente dans les débats sur la politique latino-américaine et ses implications globales, offrant une perspective souvent alternative sur les mouvements sociaux et les stratégies de déstabilisation dans la région ainsi que sur la géopolitique du monde multipolaire en Amérique Latine.
Mohsen Abdelmoumen : Vous qui connaissez bien le Venezuela pour y avoir vécu et pour vous y rendre régulièrement, pouvez-vous nous faire un état des lieux de la situation actuelle dans le pays face aux menaces de l'administration impérialiste de Trump ?
Romain Migus : Il y avait une grande inconnue lorsque Trump a accédé au pouvoir, car il y a deux tendances dans l'administration Trump par rapport au Venezuela. La première tendance est la tendance pragmatique qui représente le camp MAGA (Make America Great Again), laquelle porte les aspirations des classes populaires étatsuniennes qui ont voté pour Donald Trump et qui espèrent une amélioration de leur qualité de vie et une rupture totale avec la politique impérialiste des présidences passées. Cette tendance est représentée par le diplomate Richard Grenell.
Lorsque Trump a pris ses fonctions de Président des Etats-Unis le 10 janvier 2025, le premier voyage à l'étranger d'un membre de son administration a été celui de Richard Grenell au Venezuela pour rencontrer le Président Maduro. Donc, cette position est marquée par un grand pragmatisme consistant à reprendre des échanges pétroliers puisque les Etats-Unis ayant vu leurs réserves baisser ont la volonté de se réapprovisionner en pétrole, et notamment en pétrole extra lourd pour les raffineries du Texas. Pendant des années, le pétrole extra lourd vénézuélien a inondé les raffineries du Texas, et certaines raffineries texanes sont formatées pour ce type de pétrole.
Malgré le fait que les Etats-Unis n'aiment pas Maduro, la première position pragmatique veut négocier en termes de « pétrole contre migrants ». Le blocus imposé au Venezuela par les Etats-Unis et qui l'empêche de vendre et d'acheter comme il le voudrait – je rappelle que c'est un pays qui est sous blocus, sous siège économique – fait que les entreprises qui commercent avec le Venezuela sont déconnectées du système dollar, ce qui est un positionnement tout à fait barbare.
L'idée était donc d'accorder des exemptions de sanctions à certaines entreprises pétrolières pour qu'elles commercent avec le Venezuela, comme Chevron, par exemple, moyennant la récupération par Maduro des migrants vénézuéliens qui sont aux Etats-Unis et qui veulent rentrer au Venezuela. Ce qui ne pose aucun problème pour le Venezuela puisque c'est un des rares pays qui met gratuitement des avions à disposition de ses citoyens qui ont été forcés de partir, dans le cadre d'un programme qui s'appelle « retour à la patrie » afin que ces personnes, si elles le désirent, puissent revenir et refaire leur vie dans leur pays d'origine. C'est la première des positions. Parmi les gens qui soutiennent cette position pragmatique, on trouve le journaliste Tucker Carlson, qui a dénoncé les âneries de la guerre contre le narcotrafic. C'est ce qu'on appelle le camp MAGA.
De l'autre côté, il y a le camp des « faucons », les impérialistes qu'on a vus à l'œuvre notamment en Israël, et qui sont représentés par toute une clique de Latino-étatsuniens avec à leur tête le Secrétaire d'Etat Marco Rubio, cubano-américain, Mauricio Claver-Carone, qui est responsable du Département d'Etat américain pour l'Amérique latine, cubano-américain lui aussi. Nous avons aussi le sous-Secrétaire d'Etat Christopher Landau qui a grandi au Chili lorsque son père était ambassadeur et qui a été lui-même ambassadeur au Mexique, et qui a une longue histoire personnelle avec l'Amérique latine. Il y a aussi des membres du Conseil de sécurité qui ont des relations familiales ou charnelles avec l'Amérique latine. Et ce petit groupe forme le clan des faucons qui vivent dans la Guerre froide, qui n'ont pas digéré la Révolution cubaine, voire même l'Union soviétique, et qui veulent en finir avec le Venezuela et avec l'expérience de la Révolution bolivarienne.
Pendant les six premiers mois du mandat de Donald Trump, les positions se sont plus ou moins équilibrées jusqu'en août 2025 où toute une succession d'évènements a fait que le camp des pragmatiques et de Richard Grenell – et du peuple américain ! – a été mis de côté pour donner satisfaction au camp des faucons. La séquence s'est déroulée sur plusieurs mois mais a pris un nouveau départ au mois d'août dernier avec la déclaration selon laquelle les cartels de drogue sont des organisations terroristes. Il y a d'abord eu les cartels mexicains : le cartel de Sinaloa, le cartel de Jalisco Nueva Generación, le cartel du Golfe, et puis des cartels colombiens, les maras salvadoriennes, et ensuite des soi-disants cartels vénézuéliens, soit le Tren de Aragua qui, effectivement, était un gang vénézuélien, mais qui a été démantelé au Venezuela. Et face à l'efficacité de la répression policière, notamment des forces spéciales de la police, plusieurs de ses membres ont fui à l'étranger où ils ont rejoint le crime organisé local mais leur groupe a été atomisé et on ne peut pas vraiment parler d'un cartel parce qu'il n'y a plus de direction centrale, que ses membres ont été éparpillés, etc. mais c'était bien pratique pour déclarer qu'il y avait au moins un clan vénézuélien comme cartel de drogue international.
Et puis, ils ont ressorti la vieille rengaine du cartel « de los Soles », le cartel des Soleils. Celui-ci évoque les soleils qui figurent sur les galons des généraux de l'armée vénézuélienne : un soleil pour un général de brigade, deux soleils pour un général de division, trois soleils pour un général en chef, et ainsi de suite. Il s'agirait d'un cartel mené par l'armée vénézuélienne et dont le chef serait Nicolas Maduro. Cela a été totalement démenti car il s'agit d'un montage médiatique qui existe depuis plusieurs années, depuis 2015. Le journaliste espagnol Fernando Casado, dans son livre ''Le mythe du cartel des Soleils'', démontre bien qu'il s'agit d'une énorme fake news sans aucune preuve ni fondement. Cette fake news a été oubliée pendant des années et puis remise au goût du jour. Ce qui est intéressant, c'est que ni l'agence antidrogue des Nations unies, ni la NSA, l'Agence nationale de renseignement des Etats-Unis, ne mentionnent le Tren de Aragua et encore moins le cartel de los Soles, comme des trafiquants de drogue importants ou une menace pour les Etats-Unis, et ce, dans aucun de leurs rapports précédents.
Lorsqu'un journaliste a fait remarquer à Marco Rubio ce que je viens de dire, Rubio a répondu qu'il n'en avait rien à faire de ce que disait l'ONU. C'est par rapport à cette situation que depuis août, il y a eu une escalade quand Donald Trump a autorisé le Pentagone à frapper les cartels de drogue ou les organisations terroristes dans les pays étrangers. Il faut savoir que lorsqu'une organisation est déclarée terroriste, la Maison Blanche n'a pas à demander l'autorisation du Congrès pour déclarer une guerre. Or, si Maduro est le chef du cartel des Soleils, comme ils l'ont inventé, cela signifie que dès maintenant, Trump a les mains libres pour déclarer une guerre contre Maduro et contre le chavisme sans passer par le Congrès et l'approbation du peuple étatsunien. En outre, il y a depuis août un déploiement de la flotte américaine dans les Caraïbes avec le rappel de plusieurs bateaux qui étaient éparpillés de par le monde. Cette concentration rassemble aujourd'hui entre 25 et 30 % de la flotte militaire des Etats-Unis dans les Caraïbes.
Le premier pays à être menacé est évidemment le Venezuela. Pourquoi le Venezuela ? Parce qu'il est une pierre dans la chaussure de l'empire américain depuis des années et parce que le Venezuela est le symbole du monde multipolaire dans la région.
Mais le Venezuela n'est pas le seul à être visé. Masser autant de navires dans les Caraïbes, on a bien compris que ce n'était pas pour lutter contre le narcotrafic. Encore une fois, les rapports de l'ONU ou des services américains montrent bien que 87 % de la cocaïne qui entre aux Etats-Unis passe par la côte pacifique, et notamment par l'Equateur et la Colombie, et remonte jusqu'au Mexique pour passer la frontière. En plus de ces 87 %, 10 % passent par la côte atlantique colombienne. Les 3 % qui restent, effectivement, essaient de passer par le Venezuela mais le Gouvernement vénézuélien lutte contre ce passage. Le Venezuela est un pays de transit qui ne produit pas de cocaïne, et il est important de consulter les rapports des agences officielles : 70 % de la cocaïne est produite en Colombie, 20 % au Pérou, et 10 % en Bolivie. Le Venezuela n'en produit pas un gramme. Par contre, c'est effectivement un pays qui, par sa position géostratégique et son voisinage avec la Colombie, premier pays producteur de cocaïne au monde, voit les trafiquants essayer d'utiliser son territoire comme porte de sortie non seulement vers l'Europe, mais surtout vers l'Afrique et, notamment via les îles caribéennes, essayer de rejoindre des pays comme le Liberia, la Sierra Leone, et ensuite – en tout cas, pendant des années, ça a été le trajet – de passer par les zones du Sahel ou des régions où régnait AQMI à l'époque, ou des routes qui passaient et transitaient soit vers le Proche-Orient soit vers l'Europe, ou bien la cocaïne était stockée pour faire grimper les prix. En fait, le Venezuela est le pays le plus proche de ces régions-là.
On a bien compris que ce n'est pas pour le trafic de drogue que les Etats-Unis veulent intervenir contre le Venezuela, voire dans les Caraïbes. Si vous regardez une carte des Caraïbes, vous allez voir les intérêts gigantesques qui s'y trouvent, notamment le canal de Panama où transite 5 % du commerce mondial. Cela permet aux Etats-Unis d'y avoir leur flotte et de réguler le commerce pétrolier qui sort du Venezuela et du Guyana voisin qui possède de grandes réserves de pétrole offshore, mais aussi du Brésil, de contrôler les bateaux chinois qui passent dans la région, de contrôler le grand port de Kingston en Jamaïque, qui est le septième ou le huitième port au monde, etc. Un officier des Etats-Unis a révélé le pot aux roses sur Fox News, il y a quelques jours, en disant que ce n'est pas seulement Maduro qui est la cible de la manœuvre dans les Caraïbes, il s'agit aussi de dégager la Russie, la Chine et l'Iran de l'hémisphère occidental. Donc, malgré les votes et les désirs du peuple américain, on voit que les faucons étatsuniens entendent recontrôler ce qu'ils ont considéré pendant des années comme leur pré carré.
A votre avis, pourquoi Trump a-t-il choisi ce moment pour menacer le Venezuela ? Quel est l'objectif final derrière ce déploiement militaire américain dans les Caraïbes ?
Je dirai qu'au niveau du déploiement américain, il y a en réalité deux objectifs. Le premier est donné par le sous-Secrétaire à l'Energie James Danly qui a récemment déclaré lors d'une conférence : « Les réserves pétrolières des Etats-Unis sont en baisse car les gouvernements précédents ont beaucoup vendu. Il s'agit aujourd'hui de nous réapprovisionner ». Le Venezuela est la première réserve de pétrole au monde et a diversifié sa vente, puisqu'aujourd'hui le premier acheteur du Venezuela sous blocus est la Chine. Donc, le premier objectif est d'aller piller le pétrole du Venezuela avec bien évidemment la complicité de personnes de l'opposition comme Maria Corina Machado qui a déjà annoncé aux investisseurs occidentaux : « Nous allons tout vendre dans le pays ». Je vous renvoie aux récentes déclarations de Mme Machado et notamment à la conférence des entreprises américaines à Miami il y a un mois où elle disait : « Nous allons privatiser le pétrole dans toutes ses étapes, c'est-à-dire la production pétrolière, le raffinage, le transport, mais aussi l'or, le gaz, et toutes les richesses du Venezuela. Venez en profiter, c'est une aubaine... », etc. Donc il s'agit de piller le Venezuela au niveau pétrolier.
Et le deuxième objectif est une manœuvre plus large puisqu'elle vise toute l'Amérique latine, et consiste à en dégager la Chine.
Selon vous, que signifie cette escalade de l'administration Trump contre un Etat dont le Président a été élu démocratiquement par son peuple ? Que veulent les USA en Amérique latine en voulant destituer des gouvernements de gauche ?
Il faut connaître un peu la mentalité des Vénézuéliens pour comprendre que jamais Nicolas Maduro ne négociera pour quitter le pouvoir. Et d'ailleurs pourquoi maintenant ? Pourquoi ne l'aurait-il pas fait il y a dix ans ? Ça n'a pas de sens. Il faut se poser les bonnes questions. Si les Etats-Unis tuent Maduro, et cela peut arriver avec, par exemple, une attaque ciblée aux drones, il faut savoir que la transition la plus difficile qu'a eu à faire le processus chaviste a été la transition post-Chavez, à la mort d'Hugo Chavez. Aujourd'hui, il y a d'autres leaders – et je précise que je ne souhaite pas que le Président Maduro soit assassiné – mais si les Etats-Unis parvenaient à décapiter le gouvernement Maduro, il y a d'autres leaders potentiels au Venezuela qui ont déjà fait l'expérience d'une succession difficile et qui savent quelle place prendre pour que le pays se stabilise.
Nous ne sommes pas dans un régime comme celui de Kadhafi ou d'Assad, ou de Saddam Hussein, ce n'est pas un régime dynastique, ni un régime fort voire uniquement militaire, ce sont plusieurs visions qui sont au sein d'un même corps et qui ont l'expérience d'une transition. La continuation du régime chaviste ne dépend pas de la disparition de Nicolas Maduro comme ça a été le cas avec Assad ou avec Kadhafi.
Les Etats-Unis voudraient capturer Maduro, alors je leur souhaite bien du plaisir, car le Président Maduro est entouré, protégé, les gens l'aiment, et on le voit avec les immenses concentrations populaires où Maduro fait de la musique, rit avec les gens, danse, et ça va être assez difficile d'aller l'extraire comme ils disent. Et puis, il y a l'invasion militaire, ce qui, encore une fois, ne veut pas dire la victoire. Déjà, sur les bateaux américains, il y a quinze mille hommes. C'est évidemment trop peu pour faire face à une armée de 300 000 militaires, de 50 000 policiers et 5 millions de miliciens. Même s'ils augmentaient le nombre, le Venezuela est entraîné à des techniques de guerre asymétrique, de guerre hybride et de guérilla depuis vingt ans. On tomberait dans une situation comme l'Afghanistan avec des affrontements pendant dix, quinze, vingt ans, car les Vénézuéliens sont bien organisés, ils connaissent bien le territoire qu'ils contrôlent, ils sont armés et, en outre, ils ont un accord stratégique de très haut niveau avec la Russie laquelle n'en possède qu'avec la Corée du Nord, la Chine et l'Iran, et aussi le Venezuela. On a vu d'ailleurs plusieurs bateaux et avions russes arriver au Venezuela ces derniers jours pour notamment armer le pays, probablement en fournissant des drones et une expérience ramenée de la guerre en Ukraine.
Et donc, pour ceux qui pensent qu'envahir le Venezuela et le détruire va être très facile, ils se trompent. Et puis, qui veut ça aujourd'hui ? Qui veut la destruction du Venezuela ? Qui veut des rivières de sang à part quelques faucons américains complètement déjantés ? Une bonne partie de la migration vénézuélienne est due au blocus que les Etats-Unis ont imposé au Venezuela depuis 2014. Ce blocus a donné lieu à une énorme migration dans les années 2015, 16, 17, 18 et on parle de cinq millions de Vénézuéliens hors du territoire. Ces cinq millions de Vénézuéliens ont tout abandonné de manière un peu inconsciente puisqu'aujourd'hui, le Venezuela se redresse économiquement avec un taux de croissance entre 5 et 8 % et une modification totale des structures de son économie, car il a brisé le cercle vicieux de sa dépendance au pétrole. Et ces cinq millions de personnes ne peuvent pas revenir parce qu'elles ont tout vendu au Venezuela, parce qu'elles n'y ont plus d'attaches, parce que les relations avec les familles restées sur place passent au filtre de l'orgueil de chacun, c'est-à-dire que les familles restées sur place enjolivent un certain malheur en pensant que les gens à l'extérieur vont leur envoyer des devises, alors que ceux qui sont à l'extérieur n'ont pas vraiment accès à beaucoup de devises parce qu'ils connaissent des situations difficiles et qu'ils souffrent pour la première fois du racisme dans les pays où ils sont réfugiés, puisque le racisme n'existe pas au Venezuela. Mais ils se donnent bonne conscience en se disant qu'ils ont bien fait de partir.
Les Vénézuéliens de l'étranger ont développé une dimension cognitive commune qui n'a plus rien à voir avec la dimension culturelle des Vénézuéliens restés sur place. C'est un problème parce que cela touche cinq millions de personnes et cela devient une réalité qu'on le veuille ou non et, finalement, ces personnes ont bien pris le discours de Maria Corina Machado qui a déclaré qu'il fallait bombarder le Venezuela et tuer tout le monde pour qu'on puisse revenir au pays.
Pourtant, rien n'empêche ces Vénézuéliens de l'étranger de revenir s'ils le veulent. A moins qu'ils ne soient recherchés pour crimes évidemment, dans ce cas, ils seront arrêtés dès leur entrée sur le sol vénézuélien, mais cela ne concerne qu'une infime partie. Donc, les Vénézuéliens qui sont partis à l'étranger en imaginant monts et merveilles qu'ils n'ont jamais eu au Venezuela, font porter le chapeau à Nicolas Maduro de leur triste vie dans ces pays étrangers, ce qui est beaucoup plus facile que de se remettre en question. Cela constitue un véritable problème, parce que c'est là-dessus que s'appuie l'opposition la plus radicale et fascistoïde en faisant appel à toute cette dimension cognitive, de revanche, etc., des Vénézuéliens de l'extérieur. Pas tous, bien sûr, mais une grande partie. C'est évidemment tragique et les bombes qui menacent le Venezuela ne vont pas faire le tri entre les chavistes et le non-chavistes.
Donc, pour résumer, une invasion militaire est peu possible. Une invasion par proxys comme en Libye, par exemple, est peu possible aussi parce que les réseaux de mercenaires qui ont déjà essayé ont été contrôlés, et surtout parce que la Colombie et le Brésil d'où pourraient partir des mercenaires sont aux mains de dirigeants qui ne veulent pas la guerre, ce qui est très important. Des mercenaires pourraient être déployés massivement à Guyana ou à Tobago, c'est une possibilité. Se baser sur le crime organisé n'est plus possible, le Venezuela l'ayant éliminé. Par contre, les Etats-Unis pourraient essayer de bombarder et de concentrer toutes leurs forces sur l'une des extrémités du Venezuela, notamment à la frontière avec Trinidad et le Guyana et essayer de créer une espèce de Benghazi à l'Est du Venezuela pour y faire débarquer des ex-déserteurs, des mercenaires, notamment d'Ukraine, et créer un foyer de déstabilisation dans une partie du pays, et si elle est pétrolière, tant mieux. C'est un des scénarios possibles. C'est même le scénario le plus plausible qui consiste à essayer de voler un bout de territoire au Venezuela pour créer un foyer de déstabilisation. Mais là, ce serait à la frontière du Brésil et on verrait de quel bois est fait le Brésil. Le Brésil qui aspire à être l'un des piliers des BRICS, un pays moteur des BRICS, du monde multipolaire et du Sud Global, s'il se fait imposer une guerre à sa frontière sans réagir, il ne restera qu'un pays qui ne pourra en aucun cas revendiquer de devenir un leader de quoi que ce soit. Le Brésil joue beaucoup avec ce qu'il se passe au Venezuela.
On apprend qu'il y a une mobilisation générale de l'armée et du peuple du Venezuela pour résister aux menaces impérialistes US. Que pouvez-vous nous dire à ce propos ?
Ce n'est pas la première fois et les Etats-Unis ne prennent pas le Venezuela par surprise. Cela fait vingt-cinq ans que les Etats-Unis essaient de renverser le Venezuela chaviste, ce qui fait que les Vénézuéliens sont préparés. Il y a deux dates qui me paraissent importantes : mai 2004 et janvier 2006. La première, en mai 2004, est marquée par une invasion de deux cents paramilitaires colombiens qui sont entrés dans le pays pour assassiner Hugo Chavez et des hauts fonctionnaires de la Révolution bolivarienne. Cela a été le déclic pour que Chavez crée la milice bolivarienne qui est une armée de réserve populaire, où le peuple partage les tâches de défense nationale.
Ensuite, en 2006, il y a eu la réforme de la doctrine de l'armée car, jusque-là, la doctrine militaire était celle enseignée à l'école des Amériques et c'étaient les Etats-Unis qui, en fait, écrivaient les doctrines militaires du continent et notamment celle du Venezuela. Le Venezuela s'est émancipé et a créé sa propre doctrine militaire en stipulant que le Venezuela ne va jamais envahir aucun pays, il n'a pas une armée d'attaque, il n'a pas une armée impérialiste, mais une armée de défense. Il est bien évident qu'en termes de défense, il ne pourra jamais lutter contre la puissance des Etats-Unis ou d'une grande puissance militaire, donc il faut développer des tactiques de guerre asymétrique.
Et depuis 2006, le Venezuela s'entraîne à des tactiques de guerre asymétrique, de guérilla, si l'on peut dire, et aujourd'hui, la milice bolivarienne est forte de cinq millions de membres et développe des tactiques de commandement décentralisé, de résistance locale, et d'armement de guérilla, c'est-à-dire que, finalement, ils sont entraînés à résister et à défendre le territoire avec des techniques de guerre asymétrique et de guerre hybride, et ce, depuis vingt ans. Et donc, on a effectivement vu ces derniers jours l'armée et le peuple s'entraîner pour résister à une attaque des Etats-Unis.
Le Venezuela a subi plusieurs attaques, notamment en 2019 avec l'opération Guaido, où il y avait eu plusieurs incursions militaires via la Colombie, soit par des mercenaires avec l'opération Gideon en mai 2020, ou par des membres de la pègre, du crime organisé, qui étaient les porte-flingues de l'opposition et des Etats-Unis au cœur des quartiers populaires, et le Venezuela a supprimé ces menaces-là.
(A suivre)


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