La Nouvelle République : qui êtes-vous et comment vous êtes-vous retrouvé dans le monde du chaâbi ? Abderrezak Degga : Je m'appelle Degga Abderrezak. Je suis né en 1949 à El-Biar. A vrai dire, si je me suis retrouvé artiste, ce n'est pas un choix ou une vocation, c'est que je suis issu d'une famille d'artistes. D'abord, il y a l'aîné, puis les deux autres frères, à savoir Nasser-Eddine et Aziz, le plus connu d'entre nous. Quant à la manière avec laquelle je me suis retrouvé dans la chanson châabi, eh bien, d'une part, je vivait à Alger qui est le bastion du chaâbi, et en même temps, j'avais un frère qui possédait un mandole. Lui-même interprétait El-Ankis. Souvent en son absence, je prenais son instrument avec la complicité de ma mère et je me mettais à jouer des airs. Donc, ces deux raisons, en premier lieu ont fait que je suis tombé dans la musique, ensuite, une fois, j'ai écouté à la radio nationale une retransmission d'une des soirées que le maître El-Anka avait donnée à la salle Majestic (actuellement l'Atlas). Ce jour-là, il avait interprété «El Meknassia». Je ne vous cache pas que je me suis emballé et je voulais coûte que coûte devenir moi aussi chanteur dans ce genre. Depuis, je me suis lancé dans des répétitions en plein air, à El-Merdja quoique mon père s'est opposé catégoriquement à cette pratique en me cassant 5 instruments. Pour lui, il fallait que je travaille pour mieux réussir dans la vie, mais moi, j'étais tenace et à chaque fois, je récidivais. J'ai fait partie également d'une section de la JFLN du quartier avec laquelle je chantais en public. A cette époque, je n'avais pas de répertoire, je chantais des chansons de différents artistes entre autres Arezki Ouardache, Dahmane El-Harrachi et d'autres. C'est-à-dire, je cueillais de chaque artiste une fleur pour en faire un bouquet, comme disait quelqu'un. Quand vous êtes-vous affirmé en tant que chanteur chaâbi ? A vrai dire, à cette époque-là, car il y avait les chouyoukh encore vivants, et pour percer il fallait courir et ce n'était pas évident. Donc, je faisais de l'animation en tant que chanteur-amateur pour les amis souvent bénévolement et des fois je recevais des cachets symboliques, loin de celui des maîtres. Quand même, j'étais motivé, car je m'arrêtais pas, et en même temps il y avait des soirées à animer en ces années-là. Est-ce que vous avez votre propre répertoire aujourd'hui ou bien puisez-vous dans le patrimoine ? Je n'ai pas de répertoire à proprement parler. D'ailleurs, on m'appelle «Monsieur chanson demandée». Quand je suis sur scène, vous pouvez me demander n'importe quelle chanson de n'importe quel chanteur, je vous l'interprète. Il m'est arrivé, pour satisfaire mon public, d'interpréter même des chansons en kabyle, et j'ai même chanté une chanson de Slimane Azem, à l'époque où il était interdit sur les ondes. Pourtant, mes origines ne sont pas kabyles, je suis de la région du sud algérien mais né à Alger. En conclusion, quand j'écoute El-Anka, j'ai la chair de poule, et je veux que mes auditeurs ressentent la même chose. Je vais vous raconter une anecdote : un jour, Rabah Traitaa a organisé une soirée en son domicile et il y avait El-Anka, Mekraza, Hassen Saïd et Bouguetaya. J'étais parmi ses invités. Mais je n'ai pas pu m'y rendre car il y avait le maître. Les médias, à savoir la presse écrite, la télévision ou la radio ont-ils fait quelque chose pour vous faire connaître ? Sincèrement, à un certain moment de ma carrière, je n'ai pas cherché à me faire connaître par les medias, car nous travaillions beaucoup les fêtes familiales, nous évitions les soirées officielles, chose rare à notre époque. Donc, nous n'étions pas vraiment en contact avec la presse en premier lieu. Quant aux médias lourds, ils savent chez qui aller. Je ne vous cache pas que tout au long de ma carrière, c'est-à-dire de 1967 à nos jours, il n'y a eu qu'un seul quotidien qui m'a consacré un article, c'est le quotidien La Tribune et j'ai été une fois invité à radio El-Bahdja, pour l'émission «Qaâda maâ fenan». Sinon, rien d'autre. Un dernier mot pour clore cet entretien ? A vrai dire, je lance un appel aux responsables concernés pour nous associer aux festivités officielles organisées un peu partout à travers le pays. Il faut donner une chance à chaque artiste car, pour ma part, je ne travaille pas depuis déjà 10 ans et je suis père de 10 enfants.