Tenue des assises des comités de quartiers et de villages des wilayas    Le DG de l'AAPI examine les moyens de renforcer la coopération économique avec l'ambassadeur d'Egypte    L'examen des rapports des missions d'inspections au menu    Vers la concrétisation des opportunités de coopération    Du Soudan au génocide de Ghaza    Ligue 1 (mise à jour) : MCA-CRB et JSK-USMA fixés au 24 décembre    Entre espoirs et blessures en série avant les matches amicaux    Equipe nationale : L'entraîneur des gardiens italien Guido Nanni en renfort            A la découverte des routes de l'Empire romain    M. Nasri rencontre le président sahraoui en Angola    «La justice numérique est une responsabilité collective et un avenir judiciaire»    Le projet de loi organique portant statut de la magistrature devant la commission spécialisée de l'APN    Saisie de 1.140 comprimés de psychotropes, une quantité de poudre noire et des cartouches de chasse    LG optimise l'expérience TV connectée avec WebOS    Invité de l'émission de Frédéric Haziza sur RadioJ Giesbert déverse sa haine contre Zohran Mamdani, et accuse les Juifs qui ont voté pour lui de « dégénérescence mentale »    «La France doit reconnaître ses crimes commis en Algérie»    Programme TV du 4 novembre 2025 : Coupes et Championnats – Heures et chaînes    Programme TV du samedi 25 octobre 2025 : Ligue 1, Bundesliga, CAF et championnats étrangers – Heures et chaînes    Programme TV du 24 octobre 2025 : Ligue 2, Ligue 1, Serie A, Pro League – Heures et chaînes    Festival international du Malouf: fusion musicale syrienne et russe à la 4e soirée    Adhésion de l'Algérie à l'AIPA en tant que membre observateur unique: le Parlement arabe félicite l'APN    Industrie pharmaceutique : nécessité de redoubler d'efforts pour intégrer l'innovation et la numérisation dans les systèmes de santé nationaux    Conseil de sécurité : début de la réunion de haut niveau sur la question palestinienne et la situation au Moyen-Orient    Examen de validation de niveau pour les diplômés des écoles coraniques et des Zaouïas mercredi et jeudi    APN : la Commission de la santé à l'écoute des préoccupations des associations et parents des "Enfants de la lune"    Réunion de haut niveau du Conseil de sécurité sur la question palestinienne et la situation au Moyen-Orient    Boudjemaa reçoit le SG de la HCCH et le président de l'UIHJ    Athlétisme / Mondial 2025 : "Je suis heureux de ma médaille d'argent et mon objectif demeure l'or aux JO 2028"    Ligne minière Est : Djellaoui souligne l'importance de la coordination entre les entreprises de réalisation    Mme Bendouda appelle les conteurs à contribuer à la transmission du patrimoine oral algérien aux générations montantes    CREA : clôture de l'initiative de distribution de fournitures scolaires aux familles nécessiteuses    Poursuite du suivi et de l'évaluation des programmes d'investissement public dans le secteur de la Jeunesse    Agression sioniste contre Ghaza : le bilan s'alourdit à 65.382 martyrs et 166.985 blessés    La ministre de la Culture préside deux réunions consacrées à l'examen de l'état du cinéma algérien    Le Général d'Armée Chanegriha reçoit le Directeur du Service fédéral pour la coopération militaire et technique de la Fédération de Russie    Foot/ Coupe arabe Fifa 2025 (préparation) : Algérie- Palestine en amical les 9 et 13 octobre à Annaba    L'Algérie et la Somalie demandent la tenue d'une réunion d'urgence du Conseil de sécurité    30 martyrs dans une série de frappes à Shuja'iyya    Lancement imminent d'une plate-forme antifraude    Les grandes ambitions de Sonelgaz    La force et la détermination de l'armée    Tebboune présente ses condoléances    Lutte acharnée contre les narcotrafiquants    La Coquette se refait une beauté    Cheikh Aheddad ou l'insurrection jusqu'à la mort    Un historique qui avait l'Algérie au cœur    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



?Comment imaginer une pauvret? aussi nue ??
Doris Lessing
Publié dans La Nouvelle République le 31 - 01 - 2009

Postée sur le pas de la porte, je regarde, entre des nuages de poussière volante, dans la direction où il reste encore des forêts sur pied, c'est ce qu'on m'a dit. Hier, j'ai parcouru en voiture des kilomètres de souches d'arbres et de traces carbonisées d'incendies, là où, en 1956, s'étendait la forêt la plus magnifique que j'aie jamais vue. Entièrement détruite. Les gens doivent manger , ils doivent trouver du combustible pour leurs feux.
Ceci se passe au nord-ouest du Zimbabwe, au début des années quatre-vingts ; je rends visite à un ami qui était enseignant dans une école londonienne. Il est là pour «aider l'Afrique», selon l'expression consacrée. C'est une âme noble et idéaliste ; ce qu'il a découvert ici, dans cette école, l'a choqué au point de lui provoquer une dépression dont il a eu du mal à se remettre. Cette école ne diffère en rien de toutes les écoles bâties après l'Indépendance. Elle consiste en quatre grands cubes de brique, plantés côte à côte directement dans la poussière, un, deux, trois, quatre, avec une moitié de salle à un bout, la bibliothèque. Ces salles de classe ont bien des tableaux noirs, mais mon ami garde les craies dans sa poche, sinon on les volerait. Il n'y a pas d'Atlas, pas de globe terrestre dans l'établissement, pas de manuels scolaires, pas de cahiers ni de stylos bille ; la bibliothèque ne contient pas le genre de livres qu'aimeraient lire les élèves, seulement d'énormes pavés d'universités américaines, difficiles même à manier, des ouvrages de rebut des bibliothèques des Blancs, des romans policiers, ou encore des titres tels que Un week-end à Paris ou Félicité trouve l'amour. […]
Pendant que je me tiens avec mon ami dans sa chambre, des gens entrent timidement, et tous, tous mendient des livres. «S'il te plaît, envoie-nous des livres quand tu rentreras à Londres.» Un homme m'a dit : «On nous a appris à lire, mais nous n'avons pas de livres.» Tous ceux sans exception que j'ai rencontrés m'ont mendié des livres.
Je doute que beaucoup
de ces élèves se verront décerner des prix
J'étais là-bas quelques jours. La poussière volait, il n'y avait pas d'eau parce que les pompes étaient tombées en panne et les femmes allaient de nouveau puiser l'eau à la rivière.
Un autre professeur idéaliste venu d'Angleterre était quelque peu dégoûté après avoir vu à quoi ressemblait cette «école».
Le dernier jour, c'était la fin du trimestre, les villageois ont abattu leur chèvre ; ils l'ont débitée en tas de morceaux et mise à cuire dans un grand plat. Voilà le banquet tant attendu de la fin du trimestre : un ragoût de chèvre garni de semoule. Pendant que la fête battait son plein, j'ai repris la route en voiture, retraversant les traces et les souches carbonisées de l'ancienne forêt.
Je doute que beaucoup de ces élèves se verront décerner des prix.
Le lendemain, je me trouve dans une école du nord de Londres, un très bon établissement, dont nous connaissons tous le nom. C'est une école de garçons. De beaux bâtiments, des jardins.
Ces élèves reçoivent la visite hebdomadaire d'une personnalité. Il est dans l'ordre des choses que celle-ci peut être le père, un parent ou même la mère d'un des élèves. La venue d'une célébrité est chose normale pour eux.
Mais l'école enveloppée de poussière volante du nord-ouest du Zimbabwe est présente à ma mémoire. Je regarde ces visages légèrement curieux et tente de leur raconter ce que j'ai vu la semaine d'avant. […] Je suis sûre que chacun d'entre vous ici […] doit connaître ce moment où les visages que vous regardez deviennent inexpressifs. Vos auditeurs n'entendent pas ce que vous dites : aucune image mentale ne correspond à ce que vous leur expliquez. Dans le cas présent, aucune image d'une école voilée par des nuages de poussière où l'on manque d'eau, et où une chèvre fraîche abattue cuite en ragoût dans un grand fait-tout constitue la fête de fin de trimestre.
Leur est-il vraiment impossible d'imaginer une pauvreté aussi nue ?
Je fais de mon mieux, ils sont polis.
Je suis certaine que, dans le lot, il y en aura qui obtiendront des prix.
Puis, c'est fini. Restée avec les professeurs, je demande, comme toujours, si la bibliothèque marche, et si les élèves lisent. Et ici, dans cette école pour privilégiés, j'entends ce que j'entends toujours quand je me rends dans des écoles ou même des universités.
«Vous savez bien comment ça se passe. Beaucoup de nos élèves n'ont jamais rien lu, et la bibliothèque ne fonctionne qu'à moitié.»
«Vous savez bien comment ça se passe.» Oui, en effet, nous savons bien comment ça se passe. Tous, nous le savons.
Nous sommes dans une «culture à fragmentation» où nos certitudes datant d'il y a seulement quelques décennies sont remises en question, et où il est fréquent que les jeunes hommes et les jeunes femmes qui ont bénéficié d'années d'études ne sachent rien du monde, n'aient rien lu, ne connaissent qu'une spécialité ou une autre, les ordinateurs par exemple.[…]
Nous sommes les champions de l'ironie et du cynisme
Nous sommes blasés, nous dans notre monde – ce monde si menacé. Nous sommes les champions de l'ironie et du cynisme. Nous hésitons devant l'usage de certains mots et de certaines idées, tant ceux-ci sont usés jusqu'à la corde. Mais pourquoi ne pas réhabiliter certains mots qui ont perdu leur pouvoir d'expression ?
Nous possédons une mine – un trésor – de littérature, qui remonte aux Égyptiens, aux Grecs et aux Romains. Tout est là, cette profusion littéraire, prête à être sans cesse redécouverte par quiconque a la chance de tomber dessus. Un trésor. Imaginez qu'il n'ait jamais existé. Comme nous serions vides, pauvres !
Nous avons reçu en partage un legs de langues, de poèmes, d'histoires, et il n'est pas du genre à risquer de s'épuiser. Il est là, toujours. Nous disposons d'un héritage d'histoires, de contes, transmis par les anciens conteurs – nous connaissons les noms de certains, mais pas de tous. Cette lignée de conteurs remonte à une clairière au milieu de la forêt où brûle un grand feu et où les anciens shamans dansent en chantant, car notre patrimoine d'histoires est né dans le feu, la magie, le monde des esprits. Et c'est encore là qu'il est conservé aujourd'hui.
Interrogez n'importe quel conteur moderne, et il vous dira qu'il y a toujours un moment où il est touché par le feu de ce qu'il nous plaît d'appeler l'inspiration, l'enthousiasme, et cela remonte à la naissance de notre espèce, au feu, à la glace et aux grands vents qui nous ont modelés, nous et notre monde. Le conteur est au fond de chacun de nous, le «faiseur d'histoires» se cache toujours en nous. Supposons que notre monde soit rongé par la guerre, par les horreurs que nous pouvons tous imaginer facilement. Supposons que des inondations submergent nos agglomérations, que le niveau des mers monte... Le conteur sera toujours là, car ce sont nos imaginaires qui nous modèlent, nous font vivre, nous créent, pour le meilleur et pour le pire.
Ce sont nos histoires, le conteur de nos histoires, qui nous récréent – qui nous recréent – quand nous sommes déchirés, meurtris et même détruits. C'est le conteur, le faiseur de rêves, le faiseur de mythes, qui est notre phénix, ce que nous sommes au meilleur de nous-mêmes au plus fort de notre créativité.
Cette pauvre jeune femme qui chemine dans la poussière en rêvant d'une éducation pour ses enfants, croyons-nous être mieux qu'elle – nous qui sommes gavés de nourriture, avec nos placards pleins de vêtements, et qui étouffons sous le superflu ? C'est, j'en suis convaincue, cette jeune fille et les femmes qui parlaient de livres et d'éducation alors qu'elles n'avaient pas mangé depuis trois jours, qui peuvent encore nous définir aujourd'hui.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.