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Guerre d'Algérie : une anamnèse plurielle
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 07 - 04 - 2022

Historienne, auteur notamment d'une thèse sur «La Torture et l'Armée pendant la guerre d'Algérie» (Gallimard, 2001), de «La Guerre d'Algérie, une histoire apaisée ?» (Seuil, 2005), de «L'embuscade de Palestro» (Armand Colin, 2010), Raphaëlle Branche publie, aux éditions Tallandier, «En guerre (s) pour l'Algérie» où elle donne la parole à 15 témoins qui, remontant le cours de l'histoire, scandent les moments les plus significatifs de leurs itinéraires, reviennent sur les motifs de leur engagement et relatent leurs espoirs. Entretien.
Omar Merzoug : Ma première question est, somme toute, naturelle, pourquoi ce livre ? Et pourquoi sous cette forme ?
Raphaëlle Branche : Le livre rassemble les témoignages de quinze personnes ayant vécu la guerre en France ou en Algérie. Le projet est de présenter la guerre par ceux et celles qui l'ont vécue au quotidien et qui, bien souvent, l'ont subie. Ce sont des gens ordinaires, des militants de base, des soldats, des enfants. Ils racontent comment la guerre a percuté leur vie et c'est ce que j'ai voulu privilégier dans ce livre. Les entretiens ont duré souvent trois heures au moins. Ici, les trois co-éditeurs (Victor Delaporte, Lydia Hadj-Ahmed, Julie Maeck) et moi-même avons fait le choix d'en donner à voir l'intégralité, en en synthétisant certains passages et en laissant la structure de l'entretien la plupart du temps. En effet, il ne s'agit pas de récits de vie écrits par quelqu'un d'autre, qui les aurait résumés. Il s'agit d'entretiens où des personnes entre 70 et 90 ans se souviennent de leur enfance et de leur jeunesse. Il me paraissait important de laisser la forme du dialogue avec la personne qui a mené l'entretien pour que les lecteurs puissent aussi observer comment la mémoire fonctionne, comment elle rejaillit, comment elle peut être stimulée par des questions, toujours respectueuses des singularités, et soucieuses de ne pas enfermer les témoignages dans une vision rigide imposée de l'extérieur.
O.M. : Quelle est, à votre sens, la singularité d'un semblable recueil de témoignages ?
R.B. : Pour la première fois, se trouvent réunies dans un même livre des expériences extrêmement diverses qui d'ordinaire sont plutôt réunies dans des ouvrages faits par des groupes porteurs de mémoire : les appelés du contingent, les harkis, les anciens de telle wilaya, etc. Le projet, ici, était tout autre : donner à voir à quel point cette guerre a été vécue de manière différente, selon qu'on vivait en France ou en Algérie, qu'on était une femme ou un homme, qu'on portait les armes ou pas, qu'on militait dans tel ou tel parti, etc. C'est cette diversité qui est au cœur du projet, pour le livre comme pour la série documentaire et la collecte patrimoniale dont les entretiens sont issus. Les 15 personnes choisies ici visent à donner, dans le cadre limité d'un livre, une idée de cette diversité. Les gens qui voudraient en savoir plus peuvent aller écouter tous les entretiens en ligne sur le site de l'INA.
O.M. : Vous écrivez que les témoignages figurant dans cet ouvrage sont autant de «fenêtres sur un monde disparu» ou sur «un passé révolu» dont la complexité n'a pas été perçue ou relevée, pourquoi cette complexité a-t-elle échappé ? Et à qui a-t-elle échappé ? Aux observateurs, aux journalistes, aux historiens?
R.B.: La guerre est une expérience qui radicalise et qui polarise. On pense les choses de manière binaire. Il est difficile d'être neutre, de changer de position ; on vous demande de vous situer, de vous engager. Or la complexité des enjeux de la lutte, pour les Français comme pour les Algériens, explique que les enjeux eux-mêmes aient bougé pendant la guerre. Ainsi, en 1954, la majorité des Français métropolitains se seraient sans doute prononcés, comme les hommes politiques, en faveur du maintien de l'Algérie française. En 1962, au contraire, seule une minorité extrême de Français radicalisés politiquement et de très rares hommes politiques soutiennent cette position. Les années de guerre sont passées par là et aujourd'hui il est important de prendre conscience de cette évolution. Il faut aborder avec nuance les positions des uns ou des autres, en prenant garde au moment, à l'endroit. La complexité a échappé aussi aux contemporains car ils n'avaient pas la vue synoptique qu'on peut avoir désormais. Chacun voyait la guerre depuis sa fenêtre, depuis son balcon mais ignorait l'existence de vécus autres. Je ne parle pas seulement des camps militaires bien sûr mais de l'ensemble des réalités de cette guerre : quel métropolitain pouvait s'imaginer la vie dans un camp de regroupement ? Quel Algérien pouvait se représenter la manière dont on pouvait comprendre la colonisation quand on habitait la Bretagne ? Et pourtant, ce sont bien toutes ces expériences qu'il faut saisir, aujourd'hui, d'un même mouvement pour éviter les contre-sens historiques. La guerre se déroule à une époque où l'information est contrôlée, où il est quasiment impossible de savoir vraiment ce qui se passe en Algérie. Ce que les historiennes peuvent écrire était impossible à comprendre à l'époque pour la plupart des gens et tout simplement impossible à savoir. Dès lors, quand on se penche sur les expériences de la guerre des gens ordinaires, il faut se remettre dans ce contexte. Cela éclaire grandement les incompréhensions qui existent jusqu'à nos jours entre les acteurs de l'époque (et leurs descendants parfois). Tous ont vu la guerre depuis leur fenêtre seulement et certains s'imaginent qu'ils ont eu une vision plus juste, voire la seule vision juste, du conflit. Or si cette vision est juste, de leur point de vue, elle ne permet pas de rendre compte de toute l'histoire. C'est pourquoi cette confrontation des points de vue me paraît essentielle pour enrichir ce qui vient de l'expérience par la connaissance de l'expérience des autres.
O.M.: Avez-vous rencontré des difficultés particulières dans le recueil de ces témoignages ou dans l'établissement des textes ? Et si oui lesquelles ?
R.B. : Les témoignages ont été recueillis en pleine épidémie de Covid. Les difficultés majeures sont venues de ce contexte : difficulté à organiser les tournages, impossibilité de circuler entre l'Algérie et la France. Mais, grâce à l'INA et la production algérienne, nous avons trouvé des solutions techniques et humaines qui nous ont permis de mener à bien le projet. Le projet a été expliqué longuement aux témoins, nous avons répondu à leurs questions tout au long du processus et sommes restés en contact avec eux tout au long du projet. Les principales difficultés se sont donc trouvées en amont : certaines personnes n'avaient plus la mémoire assez solide et ne se sentaient pas assez sûres pour témoigner, d'autres ont été conseillées par leur famille et ont préféré renoncer, d'autres encore sont tombées malades. Mais pour l'essentiel les gens contactés ont accepté et je ne peux pas dire que nous avons eu des difficultés. Au contraire, dans les conditions difficiles qui ont été celles des années 2019-2021, j'ai plutôt été impressionnée par la volonté des gens de témoigner envers et contre tout. Tout le monde savait le cadre collectif de la collecte et que des gens avec lesquels ils avaient été très opposés témoigneraient aussi. Il y a plusieurs années, cela aurait pu constituer un blocage. Il n'en a rien été ici et j'y vois le signe d'une clarté dans notre intention mais surtout de la ferme volonté personnelle des témoins de laisser une trace de leur expérience. Contrairement à d'autres entreprises, en effet, le projet premier était de constituer une collecte patrimoniale accessible à tous en ligne et sans limite de temps : un projet pour l'avenir au service des mémoires individuelles qui, collectivement, raconteraient la guerre.
O.M.: Evoquant les débuts de ce qu'il est convenu d'appeler «la Guerre d'Algérie», vous écrivez qu' «en moins d'un an tout le pays s'embrase», est-ce si étonnant lorsqu'on connaît la situation de l'Algérie coloniale ?
R.B.: Ce qui est étonnant ce n'est pas l'ampleur des injustices accumulées pendant plus d'un siècle de colonisation. De cela, il est évident que le terreau était là pour une révolte. Mais, en histoire, on s'interroge sur : pourquoi là ? Pourquoi comme ça ? Avec des causes semblables, avec un système aussi injuste, la révolte aurait-elle pu éclater plus tôt ? Pourquoi ? Ce qu'on peut constater c'est qu'en novembre 1954, un groupe d'un ou deux milliers d'hommes maximum, mal et faiblement armés, décide de s'en prendre à la puissance coloniale en Algérie. Le projet est radical : prendre le pouvoir et chasser la France. C'est un projet fou quand on le mesure non pas à la situation coloniale mais aux forces en présence. Le FLN, fin 1954, est encore embryonnaire et loin d'avoir convaincu la majorité des militants indépendantistes algériens, sans parler du peuple algérien en général. En ce sens, l'embrasement du pays en une année est impressionnant. Il est dû au travail accompli par le FLN auprès des autres acteurs politiques pour réduire l'offre politique à son seul Front mais aussi à la violence de la répression française qui radicalise les civils algériens et, surtout après août 1955, provoque un embrasement de plus en plus compliqué à contenir pour les Français qui, rappelons-le, n'ont rien vu venir en novembre 1954 et ont tardé à prendre la mesure de leur adversaire en 1955.
O.M.: Pendant longtemps, il y a eu, touchant la guerre, un refoulement collectif assez remarquable, plus remarqué du côté français peut-être, les rappelés, les soldats ont observé un silence quasi absolu, aujourd'hui les témoins de tous bords semblent dire qu'il est temps de témoigner, pourquoi ? Et qu'est-ce qui a changé ?
R.B.: Je ne pense qu'il y ait eu un refoulement collectif mais, assurément, il y a des formes d'amnésie ou de silences massifs en France. En Algérie aussi, pour des raisons différentes. Mais ce qui est commun aux deux pays, c'est, pendant longtemps, la difficulté à faire entendre dans l'espace public des points de vue, des expériences qui ne cadrent pas avec le discours unifiant tenu par le pouvoir. En France et en Algérie, les discours ne sont pas les mêmes mais cette logique d'un lien entre le discours officiel et la capacité des gens à faire entendre un point de vue divergeant est commune. C'est aussi elle qui explique que la capacité à témoigner évolue : en accord, notamment, avec l'évolution du discours politique global. En France, c'est très net: après la loi de 1999 qui reconnaît l'existence de la guerre en Algérie en adoptant officiellement ce mot de «guerre» pour désigner les combats et la période, les anciens soldats du rang se mettent à raconter massivement leur expérience. On peut trouver des mécanismes similaires pour d'autres témoins. A côté de cela, il y a aussi des mécanismes plus individuels qui peuvent expliquer qu'on se mette à témoigner à certains moments : par exemple, l'âge de la retraite, l'approche de la mort sont des moments propices à des formes de bilan. Il y a aussi des logiques collectives, notamment dans les familles, qui sont propices à la parole ou, au contraire, fabriquent du silence.
O.M. : Que répondriez-vous à ceux qui, en Algérie, pourraient trouver «scandaleux» qu'on puisse placer le témoignage d'un ancien parachutiste engagé dans l'OAS et un combattant de l'ALN sur le même plan ?
R.B. : Je dirais que l'histoire ne s'écrit pas avec des bons sentiments et que, pour comprendre le passé, il faut en regarder toutes les dimensions. Où qu'on se situe aujourd'hui et quoi qu'on pense de ce que fut la guerre ou la colonisation, si l'on souhaite comprendre ce qu'il s'est passé, il est indispensable de sortir du confort d'une vision idéologique quelle qu'elle soit. Pour comprendre, il faut faire un effort : écouter ceux qui nous déplaisent, regarder ce qui nous choque, et essayer de comprendre pourquoi tels actes ou tels propos ont eu lieu. Ce n'est qu'une fois cette compréhension acquise, qu'on pourra construire une vision claire du passé. Sinon on plaque sur le passé ses préjugés, ses certitudes. Si tous les témoins sont traités de la même manière dans le projet, si tous les entretiens ont été réalisés avec le désir d'offrir aux paroles les mêmes conditions de recueil et si le livre a été conçu sans aucune différence entre les témoins, c'est précisément pour que les gens puissent apprécier les témoignages sans être orientés par nous. Chacun.e peut se faire son idée, choisir d'écouter, ou pas, et peut-être découvrir, au hasard du livre par exemple, des histoires de vie dont il ou elle ne soupçonnait pas l'existence. C'est l'esprit de ce projet : donner à voir, rendre possible l'écoute de tout le monde, même les gens qui nous déplaisent, même ceux qui nous révulsent à priori, pour justement découvrir leur point de vue.
O.M. : Quelles leçons à votre sens pourraient tirer les jeunes générations d'un ouvrage comme celui-ci ?
R.B. : Je ne sais pas s'il y a des leçons mais peut-être deux types de lecture peuvent être faites. Une première lecture sur les témoignages en histoire et, plus largement, le fonctionnement de la mémoire. A plus de 70 ans de distance, certains souvenirs sont d'une acuité impressionnante et les décennies qui nous séparent de l'événement rendent encore plus visible et sensible l'importance des événements évoqués qui, pour beaucoup, ont marqué leur vie à jamais. Et une seconde lecture sur l'ampleur des effets de la colonisation sur les sociétés et les individus, d'une part, et d'autre part sur la grande complexité de la guerre d'indépendance et des guerres contemporaines plus largement. La manière dont les civils sont au cœur du conflit est une dimension essentielle de cette guerre et on voit bien qu'il en est de même, dans la plupart des conflits depuis.


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