Dans la perspective de dénicher des gens ayant bénéficié de ce « traitement » nous avons prié Lotfi de nous conduire auprès d'un guérisseur. Avant la visite exclusivement le jeudi, nous avons dû rouler à travers une route en lacets avant d'arriver aux environs du village Sidi BenYebka dans la commune de Gdyel, censée abriter un Taleb prestigieux. La matinée ayant été particulièrement féconde en abattage de volatiles, lavage rituel au hammam, entonnement de chants féminins incantatoires. Nous avons profité de l'aubaine pour arracher quelques confidences, le ventre enserré dans les entraves d'une étoffe en laine « Foutah », Djamila, une possédée porte l'amulette, sacrée et sur le corps des traces de coups reçus pour déloger un djinn qui l'habitat. Elle venait de subir une séance de « Rokia » écoutons la : « En de longs jours et surtout de longues nuits, j'ai lutté contre les Djinns au point de me révolter contre mon père. Je suis venue voir le Cheikh pour échapper aux représailles toujours redoutables de mes possesseurs ». Elle nous répond parée de vigilance et de discrétion. « Après les formules incantatoires le Cheikh m'a donné un verre rempli d'eau et de l'huile d'olive, je l'ai bu d'un trait, au bout d'un certain temps, il s'est levé pour se diriger vers une collection de bâtons suspendus à une poutre. Je devais m'allonger sur le ventre pour recevoir une série de coups sans brancher, cela malgré la douleur atroce. L'éventail des brutalités était trop varié pour être rapporté dans le détail, nous nous sommes arrêtés à l'essentiel rapporter l'information l'objet des séances est une forme de délectation sadique s'abritant derrière le sacré. Le second entretien effectué, auprès du Cheikh Misbah, la trentaine demeurant aux environs de la localité de sidi Benyahia, nous a rapprochés d'un soubassement social. Il conte son mal alors que nous buvions une tisane de Thym cueilli dans la montagne près de la tombe d'un marabout de la région par une servante du Taleb. « Le recours à la Rokia est préférable à toute la science médicale. La première séance du Cheikh se limita à nouer un mouchoir encensé dans lequel il mit de la semoule du sel, sucre et charbon, « le temps d'une gorgée et Cheikh Misbah continue. », « au bout de sept révolutions complètes autour d'un Nafekh (brasera) brûlant de Djaoui les sortilèges qui contrecarraient les projets de mon mariage explose une fille adorable ». Le résumé de notre interlocutrice n'ajoute qu'un témoignage à une dimension compensatoire d'un vécu sexuel étranglé par une dote qui réprime toute possibilité de matérialisation. Notre seconde étape nous a amené chez un autre Taleb dans la localité de Kristel près du mausolée Sidi Moussa, qui fonde sa pratique de la « Rokia » sur les brûlures avec les pointes de feu et les coups de bâton. Dans la région de Béthouia, les uns sont persuadés qu'a l'aide de ces procédés fart œuvre utile, les autres bien au contraire le déclarent Charlatan, escroc qui exploite honteusement la crédibilité des gens. Au contact du vieux si Abdeselam Essousi d'origine marocaine ayant obtenu la nationalité algérienne on apprend que « les techniques du Taleb consistent dans l'immolation requise par les Djinns avant l'incantation qui conduit successivement à la transe la cérémonie des brûlures et enfin la toilette au moyen de coups de bâtons ». Dans le cas de cette femme divorcée le traitement a commencé avec l'application d'une amulette diluée qui a servi à la lotionner pendant 3 jours. Toujours selon ses dires. « Cette prescription n'ayant pas eu l'effet escompté, le vieux Cheikh Essoussi est passé aux brûlures de pointe sur les parties intimes et les coups de bâton furent la dernière étape. A ma demande expresse, les séances ont pris fin sans résultat, devait elle nous dire. Mais le cas le plus dramatique est celui d'un jeune atteint par la gangrène qui n'a pas vu se réaliser la baraka du Cheikh après des semaines de torture physique incommunicable. Il se trouve aujourd'hui à la dernière extrémité. Interrogé lui aussi par les soins de notre journal, il déclare que « le Taleb vient de lui ordonner de dormir pendant une semaine dans le cimetière d'une colline face à un groupe de chaumières. C'était le moyen propice et l'innovation des morts pour chasser ton mal ». Hâve squelettique, doulace, violace, sa face émaillée et le râle de ses lèvres répète inlassablement. « Emmenez-moi à l'hôpital ». Le drame de ce malade a été transplanté de la science médicale moderne dans l'animissime de la préhistoire. En règle générale ceux qui sollicitent les faveurs de la « Rokia » le font par le détraquement psychologique ou de pression sociale. Ce phénomène n'est rien d'autre que l'expression d'un niveau mental dont l'indigence se combine à l'épuisement nerveux. Une formule qui fortifie beaucoup de survivances préhistoriques.