Merad préside la cérémonie d'installation des walis suite au mouvement partiel opéré par le président de la République    Investissement : baisse prochaine des taux d'intérêt par les banques    Algérie-Zambie : signature d'un accord de coopération dans le domaine de l'Enseignement supérieur    Athlétisme / Ligue de diamant 2024 : l'Algérien Slimane Moula sacré sur 800 m à Suzhou    Cause palestinienne: Goudjil dénonce la passivité de la communauté internationale    Ghaza: les manifestations contre l'agression sioniste gagnent les campus européens    Ghaza : le bilan de l'agression sioniste s'élève à 34.388 martyrs    Belmehdi rencontre les représentants du Conseil national autonome des imams et fonctionnaires du secteur    La DSA lance un appel en faveur des agriculteurs pour s'impliquer dans l'opération    Vers le renouvellement du cadastre des terrains    Une porte-parole du Département d'Etat américain démissionne en raison de la politique de Washington    Génocide à Ghaza : La plupart des corps découverts dans les fosses communes des hôpitaux ne sont pas identifiables    La Réunion consultative entre les dirigeants de l'Algérie, de la Tunisie et de la Libye, une «réussite»    Sonatrach signe un protocole d'entente avec la société omanaise OQ Exploration & Production    Affaire USMA – RSB, la CAF saisit le tribunal international    Algérie Télécom sponsor officiel du tournoi zonal d'escrime de qualification aux Jeux Olympiques 2024    L'amie de la Révolution algérienne Briou André Alice Jeanne n'est plus    Saisie de 935 comprimés de psychotropes, 287,71 g de kif et 5 suspects arrêtés    Arrestation de 2 voleurs grâce au numéro vert 1548    Arrestation    Espagne: saisie de 25 tonnes de haschich dans un camion de melons en provenance du Maroc    Festival du film méditerranéen à Annaba : "130 ans de cinéma italien à travers le regard des critiques", objet d'une conférence spéciale    Un modèle de l'unité et de la cohésion du peuple algérien dans sa résistance à l'occupation française    Une voix claire et retentissante doit être accompagnée d'un bon niveau de langue pour bien communiquer oralement    Un célèbre acteur néerlandais a embrassé l'islam    La préservation de la mémoire nationale conditionnée par l'utilisation des technologies modernes    Favorable au MCA, lutte acharnée pour le maintien    Ould Ali (JSK) : «Tout mettre en oeuvre pour redorer le blason du club»    Boughali au Caire pour prendre part aux travaux de la 6e conférence du Parlement arabe    Accidents de la circulation : 44 morts et 197 blessés en une semaine    Championnats d'Afrique individuels de judo : Dris Messaoud (-73 kg) et Amina Belkadi (-63 kg) sacrés    NESDA: près de 9.900 projets financés en 2023    Festival du film méditerranéen d'Annaba : "Bank of Targets" inaugure les projections du programme Viva Palestine    Chanegriha impitoyable à la préparation au combat    Les médias conviés à une visite guidée du Centre de formation des troupes spéciales    Le ministre de la Justice insiste sur la fourniture de services de qualité aux citoyens    Témoignage. Printemps Amazigh. Avril 80        L'ORDRE INTERNATIONAL OU CE MECANISME DE DOMINATION PERVERSE DES PEUPLES ?    Le Président Tebboune va-t-il briguer un second mandat ?    L'imagination au pouvoir.    Le diktat des autodidactes    Prise de Position : Solidarité avec l'entraîneur Belmadi malgré l'échec    Suite à la rumeur faisant état de 5 décès pour manque d'oxygène: L'EHU dément et installe une cellule de crise    Pôle urbain Ahmed Zabana: Ouverture prochaine d'une classe pour enfants trisomiques    El Tarf: Des agriculteurs demandent l'aménagement de pistes    Ils revendiquent la régularisation de la Pension complémentaire de retraite: Sit-in des mutualistes de la Sonatrach devant le siège Aval    Coupe d'afrique des nations - Equipe Nationale : L'Angola en ligne de mire    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



« Tout ce qui est populaire est dévalorisé »
Rachid Bellil (Sociologue et chercheur au CNRPAH à Alger)
Publié dans El Watan le 23 - 07 - 2008

Sociologue et chercheur au Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (CNRPAH), Rachid Bellil aborde dans cet entretien le thème de la littérature orale. Celle-ci est à la fois acte et discours qui mettent en lumière la réflexion de la société sur elle-même et son système de représentation à un moment donné de son existence. Cependant, la société vit des mutations, d'où le risque de disparition de cette littérature.
Quelle est aujourd'hui la place de la littérature orale dans la recherche scientifique en Algérie ?
Elle est marginale. A titre de rappel, les travaux de recherches en la matière ont commencé à l'époque coloniale. Des militaires, linguistes et pères-blancs se sont investis dans ce domaine. Ces derniers ont joué un grand rôle. Durant cette même période, des Algériens à l'exemple de Belkassem Ben Sedira, Si Amar Bensaïd Boulifa et Mouloud Feraoun ont exploré ce champ d'expression littéraire. A l'époque, des recueils et corpus sont publiés. Ils sont consacrés aux contes, poésie, récits historiques, ethnographiques, hagiographiques. Ils sont importants pour des études linguistiques, ethnographiques et anthropologiques.Cependant, il faut distinguer entre littérature orale et traditions orales. Celles-ci renvoient à l'ethnographie. Elles servent, entre autres, aux études sur un village ou une tribu. La littérature orale comprend pour l'essentiel les contes et la poésie ; on y trouve aussi des légendes. Néanmoins, les deux domaines s'interpénètrent. On peut trouver des traditions orales dans des poèmes. Après l'indépendance, la littérature orale algérienne est marginalisée, frappée d'ostracisme, méprisée, parce qu'on privilégie la culture savante et écrite. Les chercheurs algériens qui s'intéressent à ce domaine ne sont pas nombreux. Des productions sur la littérature orale amazighe ont vu le jour. Elles sont de moindre importance concernant la littérature orale arabe qui est considérée comme sous-culture, une forme dégradée de l'arabe classique, elle est dévalorisée sur le plan idéologique. Tout ce qui est populaire est dévalorisé. On se retrouve face à un paradoxe dans notre société : d'une part, on use d'une idéologie populiste et de l'autre, la culture populaire est dévalorisée.Il y avait des chercheurs qui travaillaient en dehors des institutions officielles. Au niveau institutionnel, il y avait le Centre de recherches anthropologiques, préhistoriques et ethnographiques (CRAPE) devenu aujourd'hui le Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (CNRPAH). Initialement, le CRAPE est plus porté sur la l'archéologie, la préhistoire et l'ethnographie. C'est Mouloud Mammeri qui a introduit au centre la recherche sur la littérature orale, la linguistique et l'histoire orale. Sur ce dernier volet, on peut citer les travaux de Melha Benbrahem qui a recueilli des poèmes sur la résistance populaire au colonialisme pour les étudier ensuite. Mammeri avait aussi formé une jeune équipe de chercheurs algériens. Comme il avait travaillé avec des chercheurs étrangers. Après son départ à la retraite, en 1979, la recherche sur la littérature orale a périclité.
Un des critères de la littérature orale consiste en le contact entre le créateur ou le transmetteur et l'auditeur. C'est ce qu'on ne trouve pas dans cette littérature une fois passée à l'écrit ou à l'audiovisuel. Est-ce une lacune ? Si c'est le cas, comment y remédier ?
C'est une lacune en effet. Le locuteur, le producteur, celui qui transmet est en interaction avec l'auditeur ou le public. Il existe des conditions de transmission de la littérature orale. Ce sont entre autres des conditions physiques et corporelles. Il y a aussi le contexte et l'espace. Si on est dans une assemblée du village, celui qui transmet doit maîtriser un style bien déterminé. Au champ, entre bergers, les poèmes qui se récitent, on ne peut pas les faire entendre au village où le transmetteur est sous les contraintes sociales. Entre bergers, loin du village, il y a la liberté. Dans un mausolée, il y a des circonstances qui imposent la production littéraire. La littérature orale est une littérature de groupe et de communauté. Le producteur n'est pas seul. Aussi, on ne paie pas un poète pour créer ou réciter des poèmes. C'est un cas de figure exclu. Quand on est doté d'un support neutre à l'exemple de l'audio-visuel, on consomme individuellement. Le média est neutre. C'est comme si on lit un livre. Mais on peut l'écouter en groupe.
Qui dit littérature renvoie à l'écriture, mais cela n'empêche pas de parler de littérature orale. N'est-ce pas un paradoxe ?
Ce sont des termes contradictoires utilisés dans le but de produire des corpus. Tant que la communauté pratique son oralité, elle n'éprouve pas le besoin d'écrire. Celui-ci vient du fait qu'elle est en contact avec la civilisation de l'écrit, la domination, lesquelles suscitent la peur de disparaître. C'est une situation défensive. On prend l'arme du dominant, l'écrit, pour sauver ses propres culture et littérature. L'usage qu'on faisait de l'Islam est oral. Pourtant, il y avait des lettrés qui vivaient dans deux mondes. Ils interviennent à un moment donné par l'écrit pour rédiger un acte par exemple, mais ils peuvent participer à la production et à la transmission de la littérature orale. L'anthropologue anglais Jack Goody parle dans ces cas d'un usage restreint de l'écrit. Quand le pouvoir central domine, la communauté use du passage à l'écrit pour sauvegarder son patrimoine. Ensuite, elle revendique le passage à l'écrit en demandant l'institutionnalisation de sa langue, ses littérature et traditions orales. Elles tiennent aussi à ce qu'elles soient enseignées. Les initiateurs de telles idées relèvent d'une élite. Ils sont les plus acculturés par rapport à leur communauté. Ils se situent à l'extérieur de celle-ci. La transmission est altérée par le fait qu'ils ont intégré la culture de l'autre. Quand on baigne dans la culture de l'autre, on sent le danger qui menace la sienne. C'est par le biais de l'acculturation qu'on peut prendre conscience de la fragilité de sa propre culture. L'acculturation en tant que processus historique de mise en relation forcée avec l'autre, c'est-à-dire le dominant, ceux qui l'ont vécu le considèrent comme un phénomène profondément négatif. C'est la destruction de soi. L'acculturation confronte l'individu à l'autre (le dominant) qui le pousse à s'intégrer dans sa culture. Le dominé prend conscience de la nécessité de puiser de l'autre les instruments nécessaires pour sauvegarder sa culture. La situation de domination culturelle et d'acculturation permet de mettre à la disposition du dominé, de l'acculturé, « une boîte à outils », entre autres, l'écriture, l'enseignement et la recherche. Néanmoins, il y a des dominés qui vivent leur situation d'acculturation rongés par des sentiments culpabilisants. Ce qui peut l'orienter vers une espèce de rejet de l'autre. Alors, ils s'interdisent l'accès à cette boîte à outils. Comme disait Mammeri : « Quand l'être nié se crispe sur tout ce qu'il croit être lui, il se condamne à l'hibernation. » Or, « on ne ressuscite pas les horizons perdus, ce qu'il faut, c'est définir les horizons nouveaux. »
La littérature orale fait partie du système de représentations de la société qui l'exprime. Celle-ci vit des mutations permanentes et multidimensionnelles. Que deviennent en conséquence ces représentations ? Sont-elles condamnées à disparaître ? Le conte est multifonctionnel. Il est transmis aux enfants. Mais quand la socialisation de l'enfant ne relève pas de la famille, une des fonctions du conte disparaît. A partir du moment où les parents et les enfants sont socialisés dans l'école, le transmetteur du savoir est dévalorisé. Sous l'effet de la religion, Les Zénètes de Gourara disent : « Les contes sont des mensonges, Dieu n'aime pas les mensonges. Donc, Dieu n'aime pas les contes. »Et comme on est croyant, on ne croit pas aux contes. Il s'agit d'une dévalorisation symbolique avec des effets réels. Le conteur est ainsi marginalisé. Son statut est dévalorisé.
Que faudrait-il faire alors pour sauver de la disparition le patrimoine oral ?
L'écrit permet la conservation de la littérature orale et la circulation de ce patrimoine sans la présence physique du producteur. Elle est consommée individuellement et collectivement. Le théâtre, le cinéma, la musique peuvent jouer ce rôle de conservation et de transmission. Chez nous, ce sont les musiciens qui assument ce rôle, vu il me semble la présence physique des deux côtés, à savoir, l'artiste et le public. Les gens sont indifférents aux livres, mais déboursent de l'argent pour assister à un gala artistique.
Quelle est la dimension fonctionnelle de la littérature orale ?
Les contes constituent une production dont on ne connaît pas les auteurs, on ne cherche pas à les connaître. C'est une production collective destinée à la collectivité. La fonction consiste à transmettre un savoir et des valeurs intériorisés par la communauté. Dans la poésie, on trouve des productions d'anonymes. Il y a aussi des créations attribuées à des poètes qui ont un statut de référence. Le poème est composé sur un modèle fixe. C'est ce qu'on constate dans les neuvains de Si Mohand U M'hand. Il y a entre-temps des poèmes composés sur des poèmes déjà créés. On y ajoute ou soustrait des vers, des mots. L'ajout passe par le filtre du contrôle social pour voir si la création ne s'attaque pas aux représentations sociales. On constate que même le groupe peut supprimer des vers ou des mots d'un texte. Mais dans le milieu des bergers et des femmes, on compose des poèmes qui transgressent les normes sociales, abordent des sujets tabous. Leurs auteurs trouvent toujours des moments, un espace, un auditoire pour les réciter.
Le patrimoine oral ne reflète-t-il pas du moins en partie les structures de la société qui l'exprime à un moment donné de son existence ?
Dans la littérature orale, les valeurs sont produites et reproduites sans volonté délibérée, consciente de sauvegarder ou d'être fidèle aux valeurs du groupe. L'orchestre connaît la musique. Chacun joue sa partition, sans l'intervention d'un chef d'orchestre. Chacun a intériorisé les valeurs, normes et morales sociales. C'est ce qu'on appelle socialisation dans ce type de société orale. Pierre Bourdieu disait en ce sens que « la société orale est une société qui joue sans chef d'orchestre ».


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.