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Ibn Rochd, Adonis et l'exégèse du 11 septembre
15e rencontres d'Averroès (Marseille
Publié dans El Watan le 19 - 11 - 2008

Marseille, 7 novembre. L'effigie d'Obama fait la une de tous les magazines. « Obama, la dernière chance » titre Marianne. La cité phocéenne n'a pas été en reste dans la célébration de la victoire de « magic Barack ». « Il y avait une folle ambiance le soir du 4 novembre et on ne savait plus si c'était l'effet Obama ou bien la victoire de l'OM », dit Jany, responsable à la Friche La Belle de Mai, un lieu de création dédié aux spectacles vivants.
Ce jour-là, l'OM avait battu le PSV Eindhoven 3-0, match comptant pour la Ligue des champions. Les terrasses de la Canebière, du Vieux-Port et de la Castellane sont bondées. Il fait soleil. « Il y a eu des pluies diluviennes comme Marseille n'en a pas connu depuis très longtemps », confie Jany. Malgré cela, il y a foule à l'entrée de l'auditorium du parc Chanot, attenant au célèbre stade Vélodrome. C'est un peu l'équivalent du Palais des expositions des Pins Maritimes, à Alger. L'auditorium, d'une capacité de 1200 places, est plein comme un œuf. Il abritera les trois tables rondes des fameuses Rencontres d'Averroès, des débats de haute voltige qui sont le clou (et la clé) de ces rencontres.
« Il y a ‘'eux'' et ‘'Nous'' , et rien entre »
Cette 15e édition des Rencontres d'Averroès est placée sous le signe de l'Islam. C'est ce que confirme le titre générique de cette édition « Entre Islam et Occident, la Méditerranée ? » « Que se passe-t-il dans les relations entre une rive et l'autre de la Méditerranée ? Les tensions, les incompréhensions, les refus et les replis semblent s'accumuler ces dernières années et se cristalliser autour de l'opposition Islam/Occident. Deux mondes sont-ils en train de se faire face ? (…) Quel est le foyer de cette discorde ? Où se trouve le noyau de tous ces discours de violence et de guerre ? Allons-nous vers des temps obscurs ? », peut-on lire dans « l'édito » de ces Rencontres. « Il s'agit, à l'occasion de cette 15e édition, d'aller au cœur du sujet, d'interroger les fractures historiques, culturelles, religieuses ou politiques et d'esquisser les formes de leur possible dépassement » ajoute le même texte. « L'opposition Islam/Occident est en effet devenue structurante. Elle se présente comme un lieu commun très largement répandu dans les opinions et abondamment relayé par les médias. Il y a ‘'eux'' et ‘'nous'' et rien entre ». Au rayon livres, tenu par la librairie Regards, le dernier (et excellent) roman de Salim Bachi trône avec élégance Le Silence de Mahomet. Dans la salle, le nom du Prophète de l'Islam orne la première table ronde « Entre Mahomet et Charlemagne, faille irréductible ou monde commun ? » Une rencontre d'une grande érudition qui donne ainsi le la de cette 15e édition. A la tribune, éclairée par une lumière feutrée, dans une ambiance « lounge », sont agglutinés autour d'Emmanuel Laurentin, journaliste à France-Culture, des spécialistes émérites : Ali Benmakhlouf, philosophe, membre de l'Institut international de philosophie, Jocelyne Dakhlia, historienne à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, et Marwan Rashed, éminent helléniste, professeur à l'Ecole normale supérieure de Paris. Cette première table ronde s'intéresse à l'aspect historique de l'opposition Islam / Occident. L'historienne Jocelyne Dakhlia, sans diminuer de l'importance des situations conflictuelles qui ont eu pour théâtre l'espace méditerranéen, n'en considère pas moins que ce même espace a fonctionné comme un « continuum absolu, avec des circulations incessantes de part et d'autre de la Méditerranée ».
Libérer le champ du savoir
Pour sa part, Marwan Rashed insistera sur le rôle de « passeurs » joué par les musulmans à l'ère d'Ibn Rochd et autres savants qui ont transmis nombre de traditions : hellénique, syriaque, persane, hindoue et autre. « Mais on ne sauve pas Baghdad des bombes en disant que Khawarizmi y a inventé l'algèbre au 9e siècle », regrette-t-il. Marwan Rashed fait remarquer que « l'absence de démocratie dans le Monde arabe a induit une absence de savoir, à défaut d'un gouvernement qui impulse une motivation au savoir ». Usant d'une métaphore, il dira : « Je ne rends pas service au Monde arabe en faisant des théorèmes. Nous sommes contraints de faire des théorèmes à certaines heures de la journée et de la politique le reste du temps », tant, pour lui, la liberté de chercher est intimement liée à la libération du champ scientifique et partant, du champ politique. L'observation de Marwan Rashed est encore plus pertinente lorsqu'il est question du champ épistémologique lié à l'anthropologie du fait islamique et à l'interprétation du corpus coranique. Abondant dans le même sens, et faisant sienne une citation de l'écrivain palestinien Emile Habibi, Jocelyne Dakhlia dira : « Je me sens comme un poirier qui donne des pommes de terre. » Pour Ali Benmakhlouf, il est important de restituer à la raison sa place dans la pensée musulmane en rappelant qu'aux temps forts de la philosophie islamique, « la théologie était synonyme de sciences humaines ». « Il y a eu une carence terrible au niveau des sciences humaines, parce que les institutions politiques ont favorisé la création de départements d'études islamiques sans créer de département de philosophie. L'université est investie par le seul discours islamiste. Les islamistes tiennent un discours sans contrepoids », déplore-t-il.
Eloge de la laïcité
Moins empreinte de précieux et nettement plus polémique, la deuxième table ronde avait pour problématique « Entre Islam(s) et laïcité (s) : fractures durables ou convergences possibles ». Autour de Dominique Rousset, journaliste à France-culture, ont pris place Franck Frégosi, responsable scientifique de l'Observatoire du religieux, Abdennour Bidar, philosophe, Mustapha Cherif, penseur et théologien, et Cengiz Aktar, économiste. Franck Frégosi soulignera au cours du débat toute la difficulté à donner une définition arrêtée de la laïcité. Pour lui, la laïcité suppose de « récuser toute référence à la religion comme source de légitimité » en postulant que « la laïcité est un élément fondamental de l'idée républicaine ». Il précisera que le travail de sécularisation de la vie politique en Europe et en France a commencé, « alors même que le christianisme était le système dominant ». F. Frégosi insistera sur le fait que la question de la présence de la religion dans la cité ne concerne pas que l'Islam. « Par essence, la religion a du mal à être dessaisie de sa sphère d'influence dans la cité », dit-il. Et de faire remarquer : « Toutes les religions sont globales. L'Islam n'est pas plus globalisant que le judaïsme ou le christianisme. La question qui se pose consiste à trouver l'équivalent de la laïcité dans le texte coranique. » Franck Frégosi constate avec une pointe d'inquiétude que « c'est le religieux qui fait tout ». « Il faut, je ne dirais pas un primat du politique sur le religieux, mais il ne faut pas tout ramener à la religion. » Pour Abdennour Bidar, « il faut dédramatiser cette question et évacuer l'idée d'une confrontation nécessaire entre Islam et laïcité. » L'auteur de L'islam sans soumission. Pour un existentialisme musulman (Albin Michel, 2008) estime ainsi que les deux termes ne sont pas forcément antinomiques, comme cela est répandu de ce côté-ci de la Méditerranée.
Le multiculturalisme en question
La présence de l'Islam en Occident est liée, observe-t-il, à l'avenir du multiculturalisme et du multiconfessionnalisme qui caractérise les sociétés modernes. « Nous sommes aujourd'hui en présence de plusieurs cultures en cohabitation. Il faut œuvrer pour que le vivre-ensemble, l'espace commun, ne se retrouvent pas atomisés face à ce florilège de croyances. » dit-il. Bidar cite à ce propos quelques exemples édifiants comme le fait d'exiger des horaires de piscine spécialement pour les femmes ou de se faire examiner par des médecins de même sexe. Il mentionne également un autre exemple pertinent, celui de la « laïcité des morts » comme il l'appelle. « L'inhumation dans le carré musulman, le droit de choisir sa mort, pose la question de la laïcité des morts, pas que des vivants. Est-ce qu'on ne doit être enterrés qu'entre nous ? », s'interroge-t-il. Autant de faits du quotidien qui renvoient d'après lui à la « limite de la demande culturelle dans l'espace commun ». Des questionnements qui, pour légitimes qu'ils sont, ne prennent pas en charge le rapport au sacré, tel qu'il se manifeste dans nos sociétés musulmanes où le religieux surdétermine tout. En témoigne chez nous la récente condamnation en première instance de citoyens à Biskra pour soi-disant atteinte à la morale du Ramadhan. L'auteur de Self Islam (Le Seuil, 2006) pense que l'Islam a amplement sa place en Europe pour peu qu'il consente à faire « une cure d'amaigrissement pour dire les choses avec légèreté ».
Portrait spirituel du musulman post-moderne
Celui qui œuvre pour un « existentialisme musulman » se plaît à rêver d'une « nouvelle identité spirituelle », sorte de « musulman post-moderne à la fois croyant, agnostique et athée ». Bidar semble ainsi récuser les catégories manichéennes croyant/incroyant. Pour lui, l'homme moderne est complexe par essence et le rapport au caché est un rapport ambigu. « Il faut sortir d'une vision statique de l'histoire à la Samuel Huntington, recommande-t-il, tant l'Islam est un objet culturel très complexe. » De son côté, Aktar Cengiz fait tout un plaidoyer pour l'entrée de la Turquie – son pays – dans l'Union européenne. Auteur d'un livre inspiré directement de cette thématique, sous le titre éloquent de Lettre aux Turco-sceptiques (Actes-Sud, 2004), il considère que cette adhésion, fortement problématique, pose de plein fouet la question du rapport de l'Europe à l'Islam. « La candidature de la Turquie a jeté un pavé dans la mare. Cette éventualité d'une Turquie au cœur de l'Europe, avec 70 millions de musulmans, fait peur et dérange énormément », dit-il. L'empire ottoman était, selon lui, une espèce de « proto-UE ». « L'empire ottoman comptait 40 millions de non-musulmans. C'était de fait un empire multiethnique et multiconfessionnel », explique-t-il avant de lancer : « Le communautarisme républicain, sous couvert de modernité, tend à nier toute singularité ethnique ou religieuse. » Aktar Cengiz minimise le « danger » que représenterait pour la laïcité le parti islamiste AKP du Premier ministre Tayyip Erdogan. Le conférencier souligne que c'est grâce à l'expérience turque que les Anglo-Saxons ont inventé la formule de « musulmans démocrates », comme l'on parle de « démocrates chrétiens » en Allemagne et ailleurs. Citant Régis Debray, il relève que « chaque fois qu'on organise des élections libres dans le monde musulman, ce sont les Islamistes qui les emportent. Sinon, vous avez affaire à des régimes pro-occidentaux mais des régimes autocratiques ».
« Je préfère un incroyant ouvert à un croyant fermé »
Seul intervenant à représenter la rive Sud à cette table ronde, Mustapha Chérif conteste d'emblée l'idée qu'il y aurait un quelconque problème avec l'Islam. Pour lui, ce débat renvoie à une « situation complexe qui impose des nuances ». « Le monde est hétérogène, la question se pose d'une manière ardue. Nul n'a le monopole de la liberté », prévient-il. Mustapha Chérif est persuadé que « l'Islam est libérateur » et que « la liberté est le fondement de l'existence ». Jacques Berque disait que l'Islam est séculier dès le début. « Notre résistance n'est pas contre l'Eglise. Notre combat n'est pas le même que l'Occident », poursuit-il. Mustapha Chérif souligne que « l'Islam est religion et monde. » Un système ouvert aussi bien sur le temporel que sur l'intemporel. « Certains disent que tout est religieux, d'autres disent que tout est politique. Aujourd'hui, on nous dit que rien n'est religieux, que rien n'est politique, que tout est marchandise », dénonce le penseur algérien sous les applaudissements du public. L'auteur de L'islam et l'Occident. Rencontre avec Jacques Derrida (Odile Jacob, 2006) parle d'une déshumanisation dévastatrice comme Max Weber parlait de « désenchantement du monde ». Pour lui, la modernité ne jure aujourd'hui que « par le capital, sous le règne de l'économie de marché, de la technoscience et de la raison instrumentale ». « Ce que nous refusons, c'est l'essentialisme », ajoute-t-il, avant de professer : « Moi je m'inscris dans l'ouvert. Je préfère un incroyant ouvert à un croyant fermé. La différence est une richesse, pas une confrontation. » Mustapha Chérif s'élèvera contre la stigmatisation systématique des musulmans, notamment après les attentats du 11 septembre et les relents d'islamophobie qui suivirent, une plaie qu'il décrit comme « le prolongement de l'antisémitisme ». C'est ainsi qu'un forum pour un dialogue interreligieux a vu le jour. « C'est une structure d'alerte contre toute atteinte à la liberté de conscience », dit-il. « Ce n'est pas un front des croyants. Le dogmatisme fait que le chemin est encore long. Personne n'a la solution seul ». « On a libéré le territoire, reste à libérer les individus, hommes et femmes, de toutes les instrumentalisations. L'ordre international n'est pas démocratique », conclut-il. Question : Au terme de ces rencontres, est-on parvenu à faire aboutir ce travail de déconstruction tant souhaité de nos représentations respectives en vue de restaurer quelque chose de l'utopie andalouse et la « République d'Averroès » où cohabitaient pacifiquement juifs, chrétiens et musulmans ? Difficile à dire, tant les préjugés ont la peau dure. Néanmoins, on peut espérer qu'avec « l'effet Obama » déjà, il y ait recul de l'idéologie néoconservatrice et ses appétits impérialistes, de quoi autoriser un débat autrement plus fructueux à l'extérieur de ce bel auditorium marseillais. Quant à nous, il est à craindre avec l'épisode Adonis et la tempête que le poète libertaire a soulevée pour avoir osé une critique des néo-archaïsmes arabes, qu'on ne doive attendre longtemps avant de voir Ibn Rochd s'inviter sous nos cieux…


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