La présidente de la Commission des libertés individuelles et de l'égalité (Colibe), Bochra Belhaj Hmida, a indiqué, dans une récente déclaration sur Diwan FM, que le président d'Ennahdha, Rached Ghannouchi, a refusé de rencontrer les membres de la commission. L'idée de la rencontre était envisagée dans le cadre d'une demande adressée à tous les partis politiques pour donner leur avis sur le rapport de ladite commission. Ils ont tous accepté à l'exception du mouvement islamiste, qui a refusé de donner son avis, toujours selon la députée du bloc nationaliste. Cette dernière n'a pas donné les raisons de ce rejet, se limitant à mettre l'accent sur ce refus. «Cela ne nécessite pas d'être sorcier pour comprendre. La raison est évidente», s'est limitée à dire la députée. Le leader des islamistes d'Ennahdha, Rached Ghannouchi, refuse de parler du rapport de la Colibe pour ne pas se dévoiler sur les questions des libertés et de l'égalité, et préserver l'image, plutôt positive, des islamistes tunisiens aux yeux de l'Occident. Enjeux Ce n'est pas un hasard, si le président Beji Caïd Essebsi a attendu la troisième année de son mandat pour annoncer, le 13 août de l'année dernière, la création de la Colibe. Ce n'est pas, non plus, innocent que le rapport de la commission ait été remis au Président en juin dernier, soit deux mois avant la Fête de la femme du 13 août, soit un temps suffisant pour préparer les décisions envisagées suite aux recommandations du rapport. Il est clair que Beji Caïd Essebsi veut mettre Ennahdha à l'épreuve à la veille d'une année d'élections générales, à travers des décisions embêtantes pour la direction du mouvement islamiste. Si Ghannouchi accepte ce que va décider Beji Caïd Essebsi, cela créerait une zizanie au sein des islamistes. Si Ghannouchi refuse, cela le discréditerait aux yeux de l'Occident. C'est la raison pour laquelle le leader d'Ennahdha demande au président de la République de trouver des compromis. Toutefois, ce n'est pas l'objectif du président de la République qui essaie, plutôt, de montrer à l'opinion publique, locale et internationale, qu'il a essayé, en vain, de transformer le mouvement religieux en parti civil. L'objet du rapport de la Colibe sied à merveille avec les visées du Président, puisqu'il traite des questions des libertés et de l'égalité, très chères à l'Occident et très révélatrices sur l'évolution d'Ennahdha. Dilemme Les islamistes d'Ennahdha se trouvent face à un véritable dilemme avec ce rapport de la Colibe qui traite de questions aussi délicates que l'égalité d'héritage, l'homosexualité ou la peine de mort, considérées comme tranchées par la religion. D'une part, la base attachée à la religion, des islamistes, considère que c'est une atteinte à la religion que de débattre de telles problématiques et il ne faut pas perdre ses sympathisants. D'autre part, le souci de montrer la «modernisation» du mouvement Ennahdha, notamment pour l'Occident, pousse à l'ouverture. Par ailleurs, le débat sur le rapport de la Colibe rappelle étrangement des débats antérieurs à l'adoption de la Constitution du 27 janvier 2014, notamment en 2012 et 2013. Ennahdha a essayé, durant ces tiraillements, de ne pas se prononcer sur les questions litigieuses, tout en défendant le droit des islamistes radicaux à s'exprimer et ne pas se sentir «opprimés». Les manifestations étaient organisées par Ansar Chariaa et Hizb Ettahrir, pas Ennahdha. L'histoire se répète de nouveau en ce moment. La clique à Noureddine Khadmi, ex-ministre des Affaires religieuses de la troïka, Ridha Jaouadi, l'imam radical de Sfax, limogé suite à ses excès, et Abdelmagid Najjar, le membre de l'Assemblée nationale constituante, a multiplié les conférences et organisé quelques manifestations contre le rapport de la Colibe. Des sympathisants d'Ennahdha ont certes animé ces marches et conférences, mais le mouvement ne s'est pas, officiellement, prononcé sur la question. Le porte-parole d'Ennahdha s'est limité à dire que les questions posées par le rapport nécessitent un véritable débat. Le problème, c'est que l'issue ne dépend pas d'eux. Mais, plutôt, du président Beji Caïd Essebsi, à l'origine de la Colibe et le décideur des suites à donner à son rapport.