Redouane Tahri, à peine quarante ans, originaire de la wilaya de Béchar, à plus de 1000 km au sud-ouest d'Alger, est un documentariste animalier autodidacte. Il a passé plus de 3 années de tournage dans le désert pour réaliser sa première œuvre. Un documentaire de près de 3 heures, intitulé La terre perdue. Redouane, qui est informaticien de formation, est aussi un fin connaisseur du monde animal et fervent militant écologiste. Pourtant, il n'a jamais fait d'études spécialisées dans ce domaine. L'idée de réaliser un documentaire animalier, nécessitant des moyens humains, matériels et financiers colossaux, n'a pas surgi de nulle part. Elle est le résultat d'un long combat qui n'a malheureusement pas abouti. La faune saharienne est de plus en plus menacée. Le massacre des espèces animales rares et protégées, telle la loutre d'Europe à Béchar en est l'exemple. Les chasseurs l'ont exterminée. Il n'en reste actuellement que quelques sujets. «Nous avons tiré la sonnette d'alarme, déclenché les sirènes, sur le danger qu'encourt cet animal. Les services des forêts ignoraient même l'existence de cette espèce à Béchar…», dit-il. Des zones entières ont été presque vidées par des braconniers, à l'instar de celle d'Oued Namous, naguère peuplée par les trois espèces de gazelles : la leptocère, la dorcas et la gazelle de l'Atlas. «Mes amis de l'Association écologique pour la protection de l'environnement, de la faune et la flore de Béchar et moi, avions à maintes fois dénoncé cet état de fait. Personne ne nous a écoutés. J'avais compris qu'il fallait agir autrement», dit-il. Et quoi de mieux que les médias, la petite lucarne pour tout dire, pour se faire entendre ! La démarche du jeune documentariste s'appuyait sur deux grands axes. Tout d'abord, essayer de faire connaître le patrimoine naturel et la biodiversité d'une partie du Sahara algérien qui demeurent méconnus. Les travaux réalisés dans ce sens se comptent sur les doigts d'une seule main. Il s'agit souvent de reportages télé et non pas de documentaires. «Une fois cette richesse vue et connue, ce sera déjà un grand pas, car je veux en quelque sorte responsabiliser mes concitoyens quant à l'importance de préserver la nature. Le Sahara n'est pas seulement des gisements de pétrole et de gaz». Et qui sait, les pouvoirs publics auront peut-être un minimum de sens de responsabilité et agiront pour sauver ce qui reste. C'était en 2013 que la décision fut prise. Redouane se dote de quelques caméras sophistiquées et d'un drone qu'il embarque à bord de son véhicule 4×4. Il prend la route vers le désert, où il passe plusieurs jours seul au milieu des mers de sable, ou sur les cimes des montagnes de l'Atlas saharien. «J'aime l'aventure. J'ai dormi dans des grottes, sur le sable à la belle étoile. J'ai parcouru de longues distances à pied en poursuivant de loin des animaux rares. Tout cela pour un tournage de quelques secondes. C'était à la fois dur et agréable à vivre», se souvient-il. Au Sahara, l'aventure est souvent synonyme de risques à prendre. De dangers à affronter. C'est ce qui arriva à notre documentariste aventurier. En poursuivant un renard durant une nuit d'hiver, son véhicule s'enlise en plein oued Bouzekri. «J'ai passé des heures à essayer de le sortir, en vain». Epuisé, désespéré, il tente une dernière astuce. «J'avais mis des morceaux de mon chèche sous les roues pour leur éviter de patauger. Par miracle, ça a marché !», raconte-t-il. «Je me suis éloigné d'une centaine de mètres du lit de la rivière pour me reposer. Une demi-heure plus tard, l'oued Bouzekri s'est furieusement réveillé. J'entendais de loin les grondements de ses crues. Je crois qu'une nouvelle vie m'était écrite». Les mésaventures se poursuivent encore. Et pas des moindres. Comme se réveiller un bon matin et sentir un étrange corps froid qui te colle à l'arrière du bras. Et que cette chose est une vipère. «Elle m'avait tenu compagnie durant toute la nuit sans que je me rende compte. Elle avait bien apprécié la chaleur. Sa morsure aurait été fatale». Les choses n'étaient pas aussi faciles sur le plan technique. Dans son rôle de cameraman, Redouane se voyait souvent obligé de faire le débrouillard, de trafiquer les caméras pour pouvoir réaliser des plans aériens ou sous l'eau. Pour pouvoir filmer des animaux sauvages, ultra sensibles, il faut se fondre dans la nature. D'où la nécessité de maîtriser les technique de camouflage. «Ce ne sont pas des acteurs humains à qui l'on a affaire, mais à des animaux imprévisibles. Il faut beaucoup de patience et de savoir-faire pour réaliser un documentaire animalier. C'est toujours difficile pour une première tentative». Après le tournage, place au montage, à la composition de la musique, à faire la voix du narrateur ou au commentaire, etc. Toutes ces tâches ont été assurées par une seule et même personne, le documentariste. «Heureusement que j'apprends vite. Je m'adapte facilement à toutes les situations. Sinon la mission aurait été très difficile». Il a fallu aussi innover et apporter une touche personnelle lors du montage. Le documentaire, réalisé en Full HD, a été segmenté en 6 épisodes de 26 minutes chacun. «Dans chaque épisode, je raconte des histoires, des anecdotes, dont des animaux sont les acteurs». C'est l'exemple de l'histoire de l'écureuil de Barbarie qui vivait sous le même toit avec un lézard agama, en parfaite harmonie. L'histoire des sœurs tortue, celle des aigles, des mouflons à manchettes et autres. «Le téléspectateur verra des scènes inouïes de cohabitation entre les animaux…» Une fois le projet finalisé, une bande-annonce a été mise en ligne sur Youtube. En l'espace de quelques jours, de grandes chaînes de télévision internationales affichaient leur intérêt pour le travail. Des contacts ont été établis, des négociations entamées et des sommes faramineuses proposées. Mais pour Redouane, l'argent n'est pas une fin en soi. Les offres ont été rejetées. «Ce serait une sorte de trahison si j'avais accepté. La majorité des téléspectateurs algériens n'auront pas accès au documentaire, car ce sont des chaînes cryptées», explique-t-il. L'option de vendre le produit à une chaîne de télévision privée algérienne est donc inévitable, même si l'offre n'est pas alléchante. «Le prix est trente fois inférieur à celui proposé par les chaînes étrangères», dit-il avec un léger sourire. Dans la bande-annonce du documentaire, il est question d'un monstre. Un monstre que la communauté scientifique prenait pour éteint. Surprise ! Le redoutable et mystérieux animal existe toujours, caché quelque part en Algérie. C'est ce que le téléspectateur découvrira, ainsi que d'autres surprises tout au long des six épisodes. Le documentariste animalier, Redouane Tahri, ne compte pas s'arrêter à stade. Un projet de réalisation de la saison II du documentaire est en gestation. Cette fois-ci, le tournage se déroulera au nord de l'Algérie, avec un matériel plus sophistiqué et une nouvelle approche dans le tournage, promet-il.