Qualifié par des orthophonistes de virus. Même s'il ne faut pas diaboliser, l'écran ravage les enfants. Les résultats sont là. Visite dans un cabinet d'orthophoniste. Il est 11h. Nous sommes dans un cabinet pour des troubles du langage et des apprentissages. Un cabinet d'orthophoniste des plus classiques à Ouled Fayet à Alger. Il n'y a plus de place dans la salle d'attente. Les parents sont là à attendre au minimum une heure, leurs enfants. D'autres sont partis faire un tour. Dans la première salle, des ateliers collectifs sont en cours. Un peu dans le coin, une séance individuelle pour un autre enfant. Puis, dans une seconde salle, sur une table, quatre enfants assis, suivre et répondre aux questions de «tata». A la troisième salle, «tonton» entouré de trois petits enfants qui essayent de répéter après lui la prononciation de quelques lettres. Juste à côté, deux autres séances individuelles se tiennent aussi. Le cabinet est noir de monde. Il y a des va- et-vient de plusieurs orthophoniste. Des enfants qui arrivent au fur et à mesure. Des parents qui demandent certains détails et s'inquiètent pour l'évolution de la thérapie de leurs enfants. Une impression : personne n'entend l'autre. Une anarchie ? Mais non. Chacun connaît sa tâche. On suit l'enfant individuellement même si le travail doit se faire dans certains cas dans le groupe. Les enfants qu'on appelle par leur prénom sont tellement habitués qu'ils sont pressés de rejoindre leur salle. Les enfants ? De quoi souffrent-ils ? Ils sont, à quelques exceptions près, des «enfants de l'écran». Des enfants ayant été exposés à l'écran dès le jeune âge. C'est-à-dire entre 0 à 3 ans ou de 0 à 5 ans. Certains sont surexposés même. Diagnostic : c'est néfaste pour le cerveau de l'enfant, puis pour ses capacités d'apprentissage. Le constat est là, Mme Toumi, l'orthophoniste et responsable de ce cabinet, tire la sonnette d'alarme: «Depuis une dizaine d'années, je reçois tous les jours en consultation orthophonique de plus en plus d'enfants en très grande difficulté, ayant des retards de parole, de communication et des troubles du comportement et surtout des difficultés d'apprentissage». En cause, l'écran. Télévision, smartphone ou des jeux vidéo. Elle explique encore : «Sincèrement je reçois des enfants qui ne seraient pas arrivés dans mon cabinet s'ils avaient joué, bougé, sauté, touché, couru, senti, testé leurs équilibres, des activités indispensables à leur développement cérébral et physique». Car, on le sait tous, l'enfant construit ses bases, sa pensée, son raisonnement, en manipulant, en cherchant, par essais et erreurs. Il s'agit donc de nouvelles «pathologies» liées au virtuel. Mme Toumi ne parle pas de pathologie mais d'«enfants d'écran». Il n'existe pas encore de définition scientifique de ce phénomène, mais l'orthophoniste le nomme comme une «épidémie silencieuse». Car, le cerveau est formé par des stimuli externes et plus il y en aura, mieux ce sera pour le cerveau, il doit être développé et nourri. L'enfant a besoin d'échanger avec l'adulte pour apprendre à communiquer et construire son langage. Mais que se passe-t-il au cerveau face à l'écran ? Ce dernier s'interpose entre les deux, lui vole le temps nécessaire aux échanges humains et à la découverte sensorimotrice du monde et estompe la frontière entre l'enfant et son environnement. Outre les exemples détaillés, on trouve aussi des enfants ayant un isolement social. L'enfant manque ainsi d'interactions humaines. 1 Difficulté du langage De nombreuses études ont montré que la télévision retarde statistiquement le développement du langage et entraîne des difficultés scolaires. Le projet thérapeutique de Mme Toumi ne constitue pas une intervention directe sur le langage mais il s'intéresse aux fondements de la construction de la pensée, dans le but de l'aider à progresser sur les plans cognitif, langagier et relationnel. «Nous proposons des activités protologiques sans les orienter et les diriger par une règle ou une consigne, il suffit que nous disions (fais-moi kif kif) et l'enfant devine notre pensée.» Nous utilisons des outils ludiques, et purement orhophoniques. Un conseil aux parents ? Les mots utiles pour l'enfant sont souvent appris plus facilement. Les mots peuvent être plus facilement stimulés parce qu'ils sont courts et fréquents dans les conversations avec les jeunes enfants. Ne demandez pas à l'enfant de répéter les mots mal prononcés pour qu'il continue d'avoir du plaisir à parler. Abandonnez vos tâches, vos activités, votre portable pour vous concentrer sur la conversation de votre enfant. 2 Carence de sommeil L'écran provoque évidemment des troubles du sommeil. Il donne un signal d'éveil au cerveau, la lumière des écrans affecte l'horloge biologique. «J'ai surpris mon fils de 11 ans se connecter plus tard dans la nuit, quand il a un trouble du sommeil. Pour lui, en se connectant, il va retrouver le sommeil», témoigne une maman. Des comportements simples et efficaces, selon Mme Toumi : être attentif à l'éclairage ambiant et au contraste lumineux entre l'écran et ses alentours, un bon livre est une excellente occupation nocturne. C'est simple, toutes les nouvelles données que l'enfant apprend dans la journée sont systématiquement perdues si le dernier geste avant de dormir est d'allumer l'écran. Ou pire encore, de se réveiller sur un écran. 3 Comportements alimentaires déstructurés Nous observons chez plusieurs de nos enfants suivis dans notre cabinet, témoigne l'orthophoniste, des troubles de l'oralité alimentaire, dans un contexte médical non pathologique. Des enfants sensibles à certaines textures ou certaines odeurs. Ces spécificités ont des répercussions sur leur alimentation, qui est souvent très sélective. De plus, des difficultés d'ordre moteur peuvent rendre difficile l'exécution de gestes nécessaires à la prise alimentaire. Dans ce cas une intervention orthophonique s'impose, basée sur la sensibilité tactile manuelle en plaçant les enfants en situation de découverte tactile dans un environnement ludique, sur l'introduction progressive d'un nouvel aliment, de les aider à investir positivement les zones hypernégligées par l'écran au moment de la prise alimentaire et de leur redonner du plaisir en sollicitant progressivement tous les sens. D'ailleurs, autre catégorie d'enfant victime de l'écran : grignotage et obésité infantile. 4 Troubles de l'attention Autrement dit, la télévision comme arrière-plan sonore permanent laisse les enfants s'y habituer tellement qu'ils ne peuvent plus tarder dans le silence. Ce qui se reflète dans leurs études et leur discipline en classe. Ils souffrent aussi de difficulté de concentration. «Ma fille était exposée dès son jeune âge à la télé. Je croyais bien faire en lui permettant de regarder des dessins animés et d'écouter de belles chansons pour dormir. J'insiste, elle n'était pas surexposée. Elle avait ses deux heures par jour et pas plus», raconte une maman que nous avons rencontrée. «Mais à 22 mois à peine, je remarque des gestes qui n'étaient pas normaux. Elle avait un trouble du comportement. Aujourd'hui, elle suit sa thérapie et ça donne des résultats». Un enseignant essaie alors de faire le lien : le système éducatif tente de plus en plus de faire des efforts en matière de livre et de méthode d'apprentissage, mais le niveau est de moins en moins performant. Pour cet enseignant qui se prépare à partir en retraite, l'écran a négativement influé sur les enfants et leur capacité d'attention, explique-t-il. A une certaine époque, pas lointaine, dans les années 1980 et 1970, l'écran était un luxe pour certains enfants et s'il existe, le programme qui leur était destiné ne dépassait pas un dessin animé par jour. «J'appelais mon fils qui était devant moi avec sa tablette 10 fois, il jurait qu'il n'avait rien entendu», se désole une maman. «L'enfant a du mal à soutenir son attention en classe ou dans les jeux. Il a du mal à rester concentré durant un cours, une conversation, la lecture d'un texte long. Il semble ne pas écouter quand on lui parle», explique l'orthophoniste. Thérapie ? Toumi : «Notre programme prend la forme d'atelier de 90 minutes avec 3 à 4 enfants encadrés par 2 orthophonistes.Il consiste à entraîner les facultés de visualisation et de verbalisation. Ces deux processus sont nécessaires pour l'efficience des fonctions exécutives suivantes : la mémoire de travail, la planification et le raisonnement. L'entraînement des fonctions exécutives est le noyau de notre programme, ce qui devrait permettre une amélioration des fonctions attentionnelles. Par exemple, pour développer les capacités d'attention sélective, des exercices de barrages sont proposés pour favoriser la sélection d'un stimulus pertinent.» – Article 31 1 – Les Etats parties reconnaissent à l'enfant le droit au repos et aux loisirs, de se livrer au jeu et à des activités récréatives propres à son âge et de participer librement à la vie culturelle et artistique. 2 – Les Etats parties respectent et favorisent le droit de l'enfant de participer pleinement à la vie culturelle et artistique et encouragent l'organisation à son intention de moyens appropriés de loisirs et d'activités récréatives, artistiques et culturelles, dans des conditions d'égalité.