D'une manière banale, les médias ont fait état des scènes de bombardement par l'aviation israélienne de Baalbek, site libanais dont l'humanité tout entière peut se réclamer. Des scènes d'un crime presque ordinaire tant l'indifférence ambiante se satisfait du scénario du pire. Baalbek peut être rasée sans que les voix les plus habilitées dénoncent une si grave atteinte à un pan fondateur de la mémoire universelle. Les acteurs de la protection du patrimoine mondial laissent passer ce tragique événement sans réagir. Il était du devoir des ONG à l'œuvre dans ce créneau, mais davantage encore celui de l'Unesco de mettre en garde contre des atteintes d'autant plus inacceptables qu'elles sont préméditées. Il n'y a pas que Baalbek qui est exposée à un risque majeur de destruction dans la mesure où le Liban entier est un carrefour de civilisations, tout comme le sont les autres pays de la région. Les conflits successifs du Golfe avaient souligné que les frappes militaires ne se souciaient pas de faire la part des choses. Le patrimoine archéologique irakien a ainsi été altéré ou spolié dans la foulée des actes de guerre. Dans les territoires palestiniens, ce sont des archives essentielles qui font les frais des raids israéliens. L'ONU, inquiète de l'évolution dramatique de l'escalade, est dans une large mesure impuissante à imaginer une parade aux bombardements intensifs du Liban par l'armée israélienne. Les destructions massives, celles notamment de monuments millénaires, seront mises dans le registre des dégâts collatéraux, comme cela s'est fait dans tous les cas de conflits désastreux. Quelques mois avant la chute du régime taliban, en Afghanistan, la communauté internationale s'était émue de la destruction des bouddhas de Bamian, vestiges inestimables de l'histoire humaine dans cette région du monde. Il ne peut y avoir deux poids et deux mesures dans le devoir d'alerte face à ce qui se passe au Liban. Dans un contexte de guerre totale, il est clair que les bombardiers israéliens ne feront pas de détail. Dès lors, l'opinion mondiale ne peut cultiver qu'une image nostalgique d'un Liban qui avait retrouvé le sens de la vie et de la fête. C'est une lourde responsabilité que celle des dirigeants de la planète de désamorcer un sérieux péril qui pèse sur la mémoire universelle. Une responsabilité politique mais très fortement morale aussi qu'il est du devoir des intellectuels du monde entier d'assumer. Dans une situation aussi porteuse de dangers, la position de spectateur est la plus inconfortable car face à la loi du plus fort nul ne peut savoir de quoi sera fait son avenir.