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Le second front de la guerre d'indépendance
Publié dans El Watan le 27 - 08 - 2006

En cette nuit du 25 août 1958, s'ouvrait en France le «second front» de la guerre d'Algérie. Et pendant plus d'un mois, une véritable guerre clandestine secoua le sol français. Des commissariats, des casernes, des centrales à gaz furent attaquées, le pétrole algérien extrait à Hassi Messaoud brûlait dans les vastes dépôts
de l'étang de Berre…
Avant que le temps qui passe n'efface de la pensée collective, les actions d'éclat de ces hommes et femmes anonymes qui arrachèrent notre liberté, n'est-il pas juste d'évoquer leur sacrifice ? Et au risque de froisser la modestie des vivants et la mémoire des disparus,
ne convient-il pas de les citer nommément, pour
éviter que l'ombre, qui les recouvre aujourd'hui, ne leur conteste à jamais la place qui leur revient. Car les héros ne sont pas toujours ceux que l'on hisse sur le pavois(1). Le 22 août 1958 se tient à Sceaux, dans la banlieue sud de Paris, la réunion ordinaire mensuelle de la direction du FLN en France. Y participent : Saïd Bouaziz, Ali Haroun et Kaddour Ladlani représentant le Comité fédéral. Moussa Kebaïli, Mohamed Haddad, Amor Ghezali et Ahmed Benattig dit «J3» sont les chefs des quatre wilayas. Mais cette fois-ci l'ordre du jour de la réunion pour l'examen mensuel des rapports organiques et financiers comporte également l'ultime vérification du dispositif, avant l'heure H. Tout est au point. Aucun imprévu n'a perturbé le programme établi à Cologne un mois plus tôt. On confirme le planning et on se sépare. Le compte à rebours commence.
25 août, 0 heure. Coup de tonnerre dans un ciel serein
Le peuple français dans sa grande masse découvre par la presse, le 26 au matin, que la guerre vient de franchir la Méditerranée, au moment même où il commençait à s'en accommoder. Commissariats, postes de police et casernes attaqués, dépôts de carburants incendiés, voies ferrées sabotées, objectifs économiques atteints, policiers et militaires abattus, raffineries en flammes et quartiers entiers évacués… tout cela en une seule nuit.
Peut-on en dresser le bilan exact ?
Dans la région parisienne, les commandos, sous les ordres directs de Mohand Ouramdane Saâdaoui et Mohammed Mezrara dit Hamada, passent à l'attaque. A 2h 5, l'annexe de la préfecture de police, 66, boulevard de l'Hôpital à Paris, est visée. Sur les quatre policiers de garde, trois sont tués, le quatrième grièvement atteint. Les hommes pénètrent dans les lieux, allument des bidons d'essence. L'incendie fait diversion et l'épais nuage de fumée qui s'en dégage va protéger leur fuite. Menée par Diafi et Messerli, l'action aura permis la prise d'un pistolet-mitrailleur 38 et d'un pistolet automatique de 9 mm. Le commissariat du XIIIe arrondissement est arrosé de rafales de mitraillette. Quai de la Gare, un dépôt d'essence est touché. La cartoucherie de Vincennes est visée. On se propose de la faire sauter. L'attaque, dirigée par Larbi Hamidi dit Amar, a lieu à 3 h. Mais des policiers alertés quelque temps auparavant patrouillent. Elle se solde par une intense fusillade : un policier tué, plusieurs blessés et du côté du FLN deux tués et huit blessés.
L'objectif de Vincennes a été manqué à cause d'une préparation hâtive. Mohand Akli Benyounes dit Daniel, alors responsable de région dans la Wilaya I, explique vingt-cinq ans plus tard :
En ce qui concerne la cartoucherie, mon chef de wilaya de l'époque – Moussa Kebaïli – m'avait demandé de lui remettre une trentaine d'éléments sûrs, absolument inconnus de l'organisation et non fichés par la police. J'ai donc choisi 26 militants convaincus, plus le responsable habituel du choc. Ces hommes devaient subir un entraînement intensif pour être prêts à engager l'action au jour J. Moi-même, en tant que régional, j'ignorais d'ailleurs que celle-ci était fixée au 25 août.
Ce soir-là, ces militants s'emparent dans un garage des voitures nécessaires à l'action, non sans avoir auparavant ligoté le gardien et attaquent la cartoucherie. Nous avons déploré un mort. Plusieurs policiers sont tués ou blessés. Le résultat n'a pas été à la mesure de nos espérances, parce que, à la suite d'une erreur d'interprétation, d'autres groupes ont agi avant l'heure prévue, alertant ainsi la police qui patrouillait aux alentours. Dès lors, l'effet de surprise n'a pu jouer en faveur des assaillants.
Des dépôts de pétrole à Gennevilliers et à Vitry sont incendiés. Toujours à Vitry est attaquée une usine de montage de camions militaires. Sont aussi visés, mais sans succès, un hangar à l'aéroport du Bourget et une usine à Villejuif.
Dans le découpage géographique de l'OS(2), la Normandie constitue une région militaire confiée à Omar Tazbint, dit Abdou, chef de région avec Arab Aïnouz comme adjoint et Abderrahmane Skali comme artificier. Ces trois hommes, avec leurs éléments — une trentaine au maximum — vont mener les opérations du 25 août et des jours suivants jusqu'à leur arrestation, intervenue le 29 septembre. A Port-Jérôme, près du Havre, la raffinerie Esso-Standard est sabotée. Muni d'un bâton de nitroglycérine, un fidaï détruit la cuve, son compagnon Abdelmadjid Nikem, chargé d'en faire sauter deux autres, est déchiqueté par l'explosion. La centrale de gaz de Rouen est attaquée avec succès et l'affaire ne sera jugée que les 6, 7 et 8 février 1961, les auteurs du sabotage ayant dû comparaître pour de nombreuses autres affaires(3). Une tentative d'attaque contre le commissariat central de Rouen est stoppée par la police qui intercepte la voiture du commando et saisit la bombe destinée à être lancée sur le bâtiment. Lors du désamorçage, l'engin explose, tuant et blessant plusieurs policiers. Le commando compte un mort : Omar Djillali.
A Elbeuf, un brigadier-chef est grièvement blessé. Plusieurs attaques seront menées à Evreux pour lesquelles les fidayne Mohamed Tirouche et Ali Seddiki, condamnés à mort, seront guillotinés en 1960. Au Petit-Quevilly, près de Rouen, le dépôt pétrolier est saboté. Malgré la présence de la police qui, faisant usage de ses armes, tue un militant et en blesse un autre, le commando parvient à incendier quatre cuves de carburant d'une contenance de 4000 m3. Compte tenu des nombreux objectifs économiques et militaires recensés par l'OS dans le midi de la France, cette zone est subdivisée en plusieurs circonscriptions ou «régions militaires». Le chef en est Ouahmed Aïssaoui, aidé par l'artificier Ouznani.
Deux agents de liaison, Yamina Idjerri, dite Antoinette et Rabia Dekkari, dite Djamila, assurent un contact permanent avec Paris où se tient l'état-major de la «Spéciale». Les quatre subdivisions ont respectivement à leur tête : Chérif Meziane, dit Allaoua, pour la première région ou Marseille-Centre ; Ali Boulbina pour la deuxième région ; Ahmed Belhocine pour la troisième ou Port-de-Bouc ; enfin Ali Betroni, dit Abdelaziz, pour la quatrième, englobant Bordeaux et Toulouse. Ces cadres avec leurs hommes — moins d'une centaine pour toute la zone sud — vont en quelques jours déclencher une vague de sabotages impressionnante. Dans son rapport, Aïssaoui a décrit le détail des objectifs attaqués cette nuit du 25 août et dressé le bilan — somme toute modeste à ses yeux — de l'action dans sa zone :
Première région : Mourepiane, Cap Pinède, Les Aygalades. Moyens utilisés : pour le premier objectif, une bombe à retardement, munie d'un mécanisme d'horlogerie. Pour le deuxième, deux petites bombes étanches à retardement.
Et pour le troisième, deux charges télécommandées. Opération réussie sur les deux premiers objectifs ; pour le dernier, les charges n'avaient pas fonctionné.
Deuxième et troisième régions : raffineries de Berre, Lavéra, La Mède, Sète. Aucune charge télécommandée n'avait fonctionné. L'attaque proprement dite, du point de vue organisation, avait pleinement réussi, puisque nos éléments, conduits par leurs chefs de groupe, avaient pénétré dans les lieux, placé les charges sur les vannes, déroulé les fils et en étaient ressortis sans avoir été remarqués.
Quatrième région : Port-la-Nouvelle, La Rochelle. Les charges télécommandées ont fonctionné sur le premier objectif qui a brûlé.
Peu enclin à l'exagération, le responsable de l'OS pour la zone Sud, paraît d'une modestie qui ne traduit sans doute pas les résultats réels de la «nuit rouge», ni l'impact certain qu'elle obtint sur les medias. Si la presse souligne les attentats manqués contre les dépôts des sociétés Shell et British Petroleum à Saint-Louis-les-Aygalates près de Marseille, à la Mède, au Cap Pinède, à Frontignan près de Montpellier, à la raffinerie de Lavéra, elle informe sans le vouloir que le FLN dispose désormais de techniciens capables d'utiliser des engins sophistiqués et des bombes télécommandées. Elle ne peut davantage passer sous silence que, simultanément à ces actions manquées, le dépôt de la Mobil Oil près de Toulouse brûle encore.
Deux réservoirs ont sauté provoquant un incendie dont les flammes atteignent plus de 100 m de hauteur et les colonnes de fumée sont visibles à 20 km. Mobil Oil perd ce jour-là 8000 m3 de carburant. Mais c'est l'affaire de Mourepiane qui, tant pas ses conséquences immédiates que par les péripéties judiciaires qui s'ensuivront, caractérisera dans les mémoires ce «second front» ouvert la nuit du 25 août 1958. Quatorze ans plus tard(4), Albert-Paul Lentin décrit ainsi l'action : «L'opération capitale est cependant celle qui est dirigée contre le plus grand dépôt de stockage de carburant du sud-est de la France, celui de Mourepiane, dans la banlieue nord de Marseille, non loin du port. Là, l'attaque est précédée par une manœuvre de diversion. Des Algériens allument, à 21 h, plusieurs foyers d'incendie dans les forêts de l'Estérel de manière que plusieurs équipes de pompiers chargées de combattre le sinistre s'éloignent de Marseille(5). A 3 h 15, l'explosion fait sauter les deux réservoirs et secoue tout le quartier de l'Estaque. Un incendie qui éclaire tout le ciel de Marseille ravage 7 des 14 bacs. Nouvelle explosion à 8h 45, après que l'on eut fait évacuer en toute hâte les habitants des quartiers en danger, puis le soir, à 20 h 20, formidable explosion qui détruit toutes les installations qui avaient jusque-là échappé aux destructions. Un pompier – Jean Péri – est tué. Il y a 19 blessés, parmi lesquels le maire de Marseille, Gaston Defferre, qui s'était rendu sur les lieux et qui a été touché à un pied. Le feu brûle encore à Mourepiane pendant dix jours… 16 000 m3 de carburant ont été détruits.» Rappelant les faits en 1972, Aïssaoui estimait prudemment que cette nuit du 25 août aurait pu être une catastrophe pour la France. Mais au moment même, le Provençal titrait : «C'est une catastrophe nationale». Comme il fallait s'y attendre, la répression se durcit. Un couvre-feu pour les Nord-Africains est instauré dès le 27 août dans le département de la Seine, le 3 septembre dans le Rhône et le 4 en Seine-et-Oise. Les «chasses au faciès» se multiplient à Paris, Marseille, Lyon, Belfort et les «transferts» en Algérie se développent. Tout «basané» devient suspect et les Algériens emplissent les hôpitaux désaffectés, comme Beaujon, ou les casernes spécialement aménagées pour eux.
Des milliers d'entre eux sont «triés» au Vélodrome d'hiver, avant d'être internés dans les camps d'Algérie. «Retour aux sources», écriront les rares journalistes encore courageux, rappelant que naguère, au même Vél' d'Hiv, les juifs étaient, avec la complicité d'une partie de la police française, raflés puis parqués, avant d'être envoyés, dans des wagons plombés, vers les camps de la mort. Ni les contrôles renforcés ni les arrestations préventives n'empêchent l'action déclenchée le 25 de se poursuivre, avec moins d'éclat peut-être, mais non sans efficacité.
A Paris, accrochage, dans la nuit du 27 au 28 août, d'une cellule de l'OS avec un groupe de policiers. Trois d'entre eux, Chauvin, Alfred Dufrie et Louis Rougerie, sont sérieusement blessés place Denfert-Rochereau et l'adjudant-chef André Durau est atteint à la station de métro Bonne-Nouvelle. Le 31 août, attaque réussie de dépôts d'essence à Arles et de l'usine à gaz d'Alès, qui explose. Le 1er septembre, les commandos essuient un échec devant le siège de l'Office algérien d'action économique (Ofalac), avenue de l'Opéra, à Paris. Le 2, explosion d'une bombe près de Rouen. Le 3, sabotage de la voie ferrée Paris-Le Havre.
Les commandos s'attaquent, le 4 septembre, à l'aérodrome de Melun et, le lendemain, un sabotage entraîne le déraillement d'un train de marchandises à Cagnes-sur-Mer, dans le midi. Espérant rééditer leurs prouesses du 25 août contre les installations pétrolières, les fidayine du Midi visent les dépôts des banlieues de Marseille et de Bordeaux à Bègles, ce même 7 septembre. Le résultat est mince. Le lendemain, c'est le tour de la centrale électrique de la Boisse, dans l'Ain.
En rade de Toulon, les hommes de l'OS tentent vainement de fixer des charges explosives sur les coques du cuirassé Jean Bart, de l'escorteur Bouvet et du sous-marin Dauphin. Cependant, le sabotage du paquebot Président de Cazalet, qui assure la liaison Marseille-Algérie et sert à l'occasion pour le transport des troupes, fait quelque bruit. Le 5 septembre 1958, le navire quitte Marseille vers 11 h à destination de Bône. A 12 h, alors qu'il se trouve à une vingtaine de miles au large, il signale une explosion dans le compartiment des ventilateurs de chauffe, immobilisant les machines, causant d'importants dégâts et soufflant les cloisons. Un commencement d'incendie vite enrayé suit la déflagration. Le navire, en difficulté, est pris en remorque par le Djebel Dira qui se trouve dans les parages.
Treize personnes sont blessées et un chauffeur, André Barreda, qui souffre de graves brûlures, succombe deux jours plus tard. L'enquête établit qu'une bombe placée dans le compartiment des ventilateurs en était la cause. Lors de l'arrestation du groupe de Mourepiane, la police découvre qu'il s'agit des mêmes éléments. En tout, quatorze personnes dont deux femmes.
Le piétinement du combat, l'arrivée de de Gaulle au pouvoir proclamant l'intégration des «Français à part entière» dans le giron de la mère-patrie…, tout cela n'était pas pour faire monter la cote du CCE(6) auprès des Frères et alliés arabes.
L'offensive du 25 août se poursuivait. Entre-temps, parvenait à Paris le communiqué du CCE publié au Caire en date du 31 août 1958. Intitulé «Déclaration du comité de coordination et d'exécution de la révolution algérienne à propos de la guerre portée en France par le Front de libération nationale», le texte trahit, le soulagement de la direction établie en Egypte de voir le FLN reprendre un second souffle, après une lutte de quatre années, caractérisée surtout les derniers mois par un affaiblissement momentané mais certain de l'ALN, consécutif au «rouleau compresseur» passé sur l'Algérie par les 800 000 hommes de l'armée française.
A la veille des actions d'août en France, l'ALN marque militairement le pas dans les maquis. La saignée qu'elle vient de subir affecte le moral des troupes. Ainsi, dans la Wilaya III (Kabylie), les opérations commencées à l'époque avec 12 000 combattants se terminent avec 3000 survivants (7). Au point que le chef du département de la guerre, au nom du CCE, sentait le besoin de «diffuser par radio un ordre général n°1 destiné à soutenir, à encourager et à fortifier la combativité des djounoud(8) : «Grâce à votre dévouement, à votre esprit de sacrifice, à votre ardeur et votre discipline, vous réaliserez la victoire […](9).»
Apprenant la nouvelle du 25 août, rapportée par les radios internationales et amplifiée par la presse du Moyen-Orient, la direction l'a reçue «comme un véritable ballon d'oxygène», au 32, rue Abdelkader-Sarwat, siège central du FLN au Caire.
Alors que les dirigeants égyptiens, doutant d'une issue conforme aux aspirations algériennes, manifestent depuis plusieurs mois une attention moins soutenue à l'égard du Front, ils demandent à rencontrer, dès le 26, les membres du CCE présents dans la capitale. Les Egyptiens paraissent réconfortés de n'avoir pas joué une carte perdante, en soutenant la lutte du FLN. Dès l'annonce de la nouvelle, Fethi Dib — du groupe des «officiers libres», compagnon et homme de confiance de Nacer et aussi chef des services de renseignements égyptiens — souhaite rencontrer Krim et Bentobbal pour leur exprimer sa satisfaction de constater que «la révolution n'a pas perdu son souffle». En Tunisie, les deux hommes, en compagnie de Mahmoud Chérif, autre membre du CCE, sont également sollicités par Ahmed T'lili et Tayeb Mehiri, membres du gouvernement. Ils les assurent que le combat continuera «quel que soit l'homme au pouvoir en France et jusqu'à l'indépendance».
Des wilayas d'Algérie, les messages arrivent qui traduisent le contentement des djounoud particulièrement sensibles au fait que l'action du 25 août immobilise en France même 80 000 soldats. La Wilaya II (constantinois), quant à elle, accueillait avec une satisfaction évidente «l'élargissement du front constituant un encouragement pour l'ALN». «Le moral des combattants algériens, rapporte un témoin, s'est élevé du fait que tous les nationaux s'avèrent alors mobilisés à l'intérieur des frontières, comme à l'extérieur, pour atteindre le même but : l'indépendance du pays. Le fardeau, partagé par tous, devient donc moins lourd(10)». Le jour même de l'attentat à Paris contre le gouverneur Soustelle, les cars de police sont systématiquement mitraillés, rue Rivoli, dans le XVe arrondissement, à Vanves, à Issy-les-Moulineaux et à Boulogne-Billancourt. Un militaire est tué et deux autres blessés, rue Jean-Mermoz, à Joinville-le-Pont. A Metz, un capitaine de parachutistes est grièvement atteint. Le 21 septembre, le mitraillage des voitures de police se poursuit à Villejuif, à l'Haÿ-les-Roses, à Aubervilliers.
Tandis que les «groupes de choc» attaquent le commissariat d'Aulnay-sous-bois, où un inspecteur est blessé, l'OS fait sauter des usines de caoutchouc de Kléber-Colombes et sabote le relais de télévision du Havre. Ce sont également deux éléments de la «Spéciale», deux femmes, Aïcha Aliouet et Marcelle X… qui tentent le sabotage du poste émetteur clandestin de la DST, installé au troisième étage de la Tour Eiffel. Cette action va soulever un tollé général d'indignation, présentant le FLN en France comme dirigé par une équipe de terroristes.
Les moins indignés lui dénient tout sens politique. «Voyez donc, ils ne respectent même pas le symbole universel et innocent de la Ville Lumière !» On omet simplement de mentionner l'existence du relais radio spécial de la police, au sommet du monument. De toute façon, la bombe à retardement est préparée par Chaïeb avec une charge calculée pour ne détruire que le poste, sans aucun risque pour la stabilité de la tour. L'engin est découvert avant qu'il n'explose.
Evidemment, il n'était pas question — et le FLN n'en a jamais eu les moyens — de soumettre tous les soirs le territoire français à une nuit du 25 août. C'était simplement une bataille au cours d'une guerre de plus de sept ans. Il est certain, toutefois, que ce n'est pas ce «risque d'essoufflement» qui, «reconnu même par les membres les plus intransigeants du GPRA», les aurait ralliés à une décision d'arrêter les opérations militaires en France.
Le Comité fédéral n'a jamais reçu le 27 septembre d'ordre du GPRA lui enjoignant de «faire cesser les agressions», (comme l'a soutenu alors la presse française). Après une offensive de quelques semaines, le but fixé par la Fédération paraissait relativement atteint. Quoi qu'il en soit, retenons cette date du 27, puisque des bilans officiels ont été établis jusque-là. Entre le 21 août et le 27 septembre, ont été dénombrés 56 sabotages et 242 attaques contre 181 objectifs. Les opérations ont fait 188 blessés et 82 morts.
Nombreux ont été les militants blessés et tués les armes à la main, déchiquetés par leurs engins, abattus par les forces de répression ou assassinés sous la «question», d'autres poursuivis et arrêtés furent guillotinés. C'est pourquoi, tout en dressant un constat globalement positif, pensant à toutes ces morts gratuites, fruits vénéneux du mépris de certains pays persévérant à en maintenir d'autres sous la sujétion, il eut été souhaitable que cette bataille fût la dernière, que l'on abandonnât les bombes inutiles au plus profond d'un étang sans poissons et que l'on dise avec Malek Haddad :
La grenade a son temps
mais le temps des cerises,
celui que je préfère
est encore celui-là.
Hélas, de Gaulle refuse le rameau d'olivier tendu le 28 septembre par le GPRA qui proposait «une négociation sans préalable». Comme en Algérie, en France la grenade allait encore éclater. Il n'y avait pas d'autre choix. Les cerisiers n'avaient pas encore fleuri. Ils le feront un certain 19 mars 1962.
Notes
1- L'essentiel du texte ci-après est extrait de La 7e Wilaya Editions du Seuil Paris 1986 – Casbah Editions – Alger 2006.
2- L'Organisation spéciale chargée des actions directes. Le responsable en est Saïd Bouaziz et son adjoint opérationnel Nacereddine Aït Mokhtar.
3- Dans une note à Ali Haroun, responsable des détentions, Serge Moureaux, avocat à Bruxelles, rapportait fin décembre 1960 :
«L'affaire du gaz de France (attentat du 25 août à Rouen) avec Tazbint, Aïnouz, Skali et Bourenane, déjà condamnés à mort dans d'autres affaires, est venue les 4 et 5 décembre 1960 devant le tribunal militaire de Lille. Après deux jours de procédure (à la barre Oussedik, Zavrian, Marie-Claude Radziewski, Moureaux, Cécile Draps, Merchies), nous avons obtenu le renvoi sine die. «Malgré leur situation critique, les quatre accusés brandissent à l'audience de février le drapeau FLN ce qui — on s'en doute — n'incitera pas des juges militaires survoltés à plus de clémence».
4- Historia – Magasine n° 265 du 27 novembre 1972.
5- C'eut été évidemment une tactique valable pour le FLN, mais il semble que l'auteur ait été mal informé. En réalité, un des buts principaux de la nuit du 25 août avait été de brûler le maximum de forêts selon une ancienne directive du CCE qui entendait venger les forêts algériennes systématiquement arrosées au napalm par l'armée française sous prétexte d'en «sortir le fellagha comme le chacal de sa tanière». Ainsi, l'ensemble des «groupes de choc» de l'organisation avait pour mission cette nuit-là de mettre le feu aux forêts. Des orages locaux firent que l'opération «forêts» passa inaperçue.
6- Comité de coordination et d'exécution, organe suprême du FLN.
7- Témoignage de Abdellah Bentobbal, confirmé par les déclarations du commandant Hamimi, au cours de la table ronde tenue pour l'écriture de l'histoire de la révolution, 1er séminaire, octobre 1984.
8- Emission du Caire en date des 8 et 9 juin 1958.
9- Le texte complet de l'appel est publié dans El Moudjahid, n° 26, 4 juillet 1958.
10- Entretien avec Salah Boubnider (dit Saout el Arab), colonel de la wilaya II, avril 1984.


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