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Quelles retombées de quelles crises ?(1)
Publié dans El Watan le 31 - 01 - 2009


De quelle(s) crise(s) parle-t-on ?
On devrait donc se suffire de ce diagnostic et des quelques recommandations qui l'accompagnent et vaquer à nos occupations l'esprit rassuré. Dès lors, pourquoi s'inquiéter de la chute brutale des prix des hydrocarbures ? Pourquoi douter de la solidité des Bons du Trésor américain ? Pourquoi évaluer les plans de relance économique annoncés çà et là par les différentes autorités internationales et nationales ? Faut-il avoir l'esprit bien compliqué pour continuer de se poser des questions ?
Et pourtant, fin janvier 2009, le problème est-il toujours et uniquement «la crise financière internationale» ? Celle-ci n'est-elle pas, en quelque sorte, l'arbre qui cache la forêt des crises multiformes qui secouent, depuis plusieurs décennies, ce nouveau capitalisme patrimonial (ou rentier) qui domine la planète suite à l'émergence de la mondialisation au cours des années 1970 ?
Dès lors, face à cette énième convulsion de ce capitalisme, l'Algérie est-elle en aussi bonne position ?
Plus encore, au-delà de la crise financière internationale et des autres crises multiformes, le pays n'est-il pas lui-même secoué, depuis des décennies, par une ou des crises internes susceptibles de perturber plus ou moins fortement sa position ?
Dans tous les cas, aux niveaux international ou interne, les crises sont-elles conjoncturelles, et isolées les unes des autres, ou sont-elles systémiques, c'est-à-dire co/substantielles des modes d'organisation, de fonctionnement et de régulation de l'économie mondiale en général et de l'Algérie en particulier ?
Au plan international, on est également très loin d'avoir une vision consensuelle de la crise. Sur sa nature, ses causes et ses origines ou ses effets, il y a une multitude d'explications, de définitions et de remèdes. En Algérie même, de nombreux experts ou hommes politiques ont abordé cette question, et c'est le plus normalement du monde qu'on y constate la diversité des opinions. On peut toutefois regrouper toutes ces analyses autour de deux grandes conceptions.
Pour certains analystes, la crise qui secoue le monde depuis plusieurs mois ne serait qu'une variante spécifique et plus agressive d'une succession de bulles spéculatives qui éclatent périodiquement et ébranlent plus ou moins fortement, au moment du flux et à celui du reflux, des économies désormais mondialisées. Depuis la crise de la dette du tiers-monde des années 1980, il y eut plusieurs crises financières en Amérique du sud (Mexique, Argentine, Brésil), en Asie (1994), en Russie (1997), puis la crise des valeurs de la «nouvelle économie» en 2001. Révélée par un krach brutal des valeurs de l'indice Nasdaq, celle-ci a surtout frappé les entreprises de l'économie réelle, qui avaient racheté des start-up technologiques à un prix élevé, le plus souvent par un recours excessif à l'endettement auprès des marchés obligataires et des banques. On peut ranger les experts de la Banque mondiale ou du FMI dans cette première catégorie d'analystes.
Pour d'autres spécialistes, la crise révélée par la «crise des subprimes» est la plus brutale et la plus dangereuse manifestation de la crise structurelle et globale du capitalisme patrimonial (rentier) sous sa forme néolibérale. Elle en signe l'acte final. Elle révèle de façon violente la crise de son mode d'accumulation et de régulation. A l'échelle mondiale, selon ces spécialistes, l'accumulation des richesses et leur allocation se réalisent avec difficultés d'où une sous-consommation chronique : la productivité, alimentée à la fois par la révolution des NTIC et par la formidable compression de la part des salaires dans le revenu mondial, fait face à une insuffisance chronique de la demande solvable. Cependant, celle-ci est sans cesse masquée par le recours systématique à l'endettement et par la transformation des créances issues de l'endettement en actifs financiers (la fameuse titrisation). Sur fonds de répartition particulièrement inégalitaire des revenus au détriment des salaires, l'endettement ainsi conçu vise deux objectifs essentiels : permettre la consommation de l'Etat et des ménages, ce qui accroît la demande globale et fait «disparaître» la sous-consommation ; rentabiliser au mieux les activités spéculatives, en permettant de valoriser au mieux les résultats de la production, afin de dégager les meilleurs taux de rentabilité pour les opérateurs des marchés financiers (banques, assurances, fonds de pension et autres hedge funds ; leurs actionnaires et leurs gestionnaires).
Pourquoi le processus se déclenche-t-il aux USA ?
Selon la conception que l'on a de la crise deux réponses peuvent être apportées.
Pour les tenants de la première approche, c'est l'avidité et l'irresponsabilité des spéculateurs américains, sur fonds de dérégulation et d'absence de transparence dans les opérations financières liées à l'octroi des crédits immobiliers (les subprimes), qui a conduit à la crise. L'ampleur et la rapidité avec laquelle la crise s'est répandue aux Etats-Unis s'expliquent alors par des raisons plus ou moins techniques et organisationnelles : les abus et le laxisme de la profession bancaire dans l'octroi des prêts immobiliers (hypothécaires) à des ménages mal informés, l'irresponsabilité générale occasionnée par la dissémination des risques liés à ces prêts par le biais de leur titrisation et leur cession sous des formes sophistiquées et par «paquets» à des fonds spéculatifs (les hedge funds), la complaisance des agences de notation chargées d'évaluer ces risques, les moyens de contrôle insuffisants des autorités de surveillance bancaire…
Dans les conditions de la mondialisation néolibérale, et alors que les prix de l'immobilier s'effondrent, ces «crédits toxiques» ont «infiltré» une multitude de produits financiers générés par d'innombrables opérateurs à Wall Street ou ailleurs dans le monde, grâce à la magie des réseaux informatiques et satellitaires, et «contaminé» en temps réel la santé des banques (dépréciations d'actifs, énormes pertes, faillites, crise de confiance) conduisant à la contraction du crédit, puis à son effondrement (credit crunch), et au blocage de l'économie productive (automobile, construction, distribution, secteur de la PME…), avec son lot de plans sociaux (chômage technique, arrêts de production, licenciements, fermeture de sites…). Les effets seraient donc proportionnels au degré de «contamination» des banques et des pays concernés. En seraient plus ou moins «exclus» les banques et pays non «insérés» dans les réseaux économiques et financiers planétaires. D'où le diagnostic particulièrement flatteur délivré en la matière à l'Algérie par la Banque mondiale.
Pour les tenants de la seconde approche, la crise a débuté aux Etats-Unis car ce pays est le cœur du capitalisme patrimonial et Wall Street son poumon. C'est là que la toute puissance des marchés financiers est organisée et centralisée. C'est là que l'Etat et les ménages y sont les plus endettés. C'est là que le Complexe militaro-industriel est le plus imposant.
Après avoir décidé unilatéralement, dès 1971, de suspendre la convertibilité du dollar en or et de faire de la monnaie américaine la nouvelle référence internationale, les autorités américaines cherchent à mobiliser l'épargne mondiale. C'est chose faite à compter du début des années 1980 (au moment de la crise de la dette du tiers-monde). Celle-ci est attirée pour financer l'endettement abyssal du pays grâce à deux décisions de la Federal Reserv Bank : forte augmentation du Prime Rate, le taux d'intérêt de base américain servant de référence au monde, et hausse de la valeur du dollar. Et ce fut un flot régulier d'épargne provenant d'Allemagne et du Japon. Maintenant s'y ajoutent l'épargne des Chinois et celle des pays pétroliers. Dès lors, en 2006, la dette publique américaine atteint 11 000 (onze mille) milliards de dollars. En 2007/2008, le déficit budgétaire est de 454 milliards de dollars. Les prévisions pour 2008/2009, hors plan de relance (de l'ordre de 800 milliards de dollars), sont de 1200 milliards de dollars, soit 8,3% du PIB ! C'est presque trois fois supérieur à la norme établie pour les pays de l'Union européenne (maximum de 3% du PIB). Quant aux ménages, sous l'ère Bush, leur endettement est passé de 7680 milliards de dollars (2001) à 13 825 milliards de dollars (2007), soit un taux d'endettement moyen de 140% (contre 68% en France).
C'est donc bien aux Etats-Unis que le mode de régulation (suraccumulation/sous-consommation) y a le plus poussé le mécanisme de surendettement de l'Etat (privé de ressources fiscales, notamment sur les bénéfices et les hauts revenus) et des ménages (privés de salaires). On le sait, pendant les trente glorieuses la demande globale, soutenue par la régulation publique, tirait la production et la croissance, grâce à un partage équitable de la valeur ajoutée entre salaires et profits (au détriment des rentes). Les salaires bénéficiant ainsi des gains de productivité. Ce fut une période de «neutralisation» des rentiers et de l'économie improductive. A l'ère du capitalisme patrimonial, la suraccumulation tire désormais la demande globale, sous la seule régulation des forces du marché, grâce au recours systématique à l'endettement, pour «compenser» le déséquilibre des revenus créé en faveur des revenus du capital, notamment les rentes financières.
Les revenus du capital sont ainsi passés de 25% du revenu national à 35% au cours de la période, symbolisant l'extrême polarisation sociale (c'est-à-dire l'écart entre les 1% les plus riches et les autres) à laquelle on a abouti (une polarisation plus forte que celle qui existait à la veille de la crise de 1929).
Pour cela, il a fallu restructurer de façon radicale l'appareil de production et l'organisation du travail : concentration et centralisation du capital physique et bancaire, recul de l'Etat, affaiblissement des syndicats, allongement de la durée du travail pour «compenser» la baisse des salaires réels, plus grande précarité, faible protection sociale, licenciements massifs, multiplication du nombre de pauvres (y compris parmi ceux qui travaillent), délocalisations à grande échelle notamment en Asie ( les sociétés américaines y réalisent de meilleurs profits), structuration et insertion des pays émergents dans la nouvelle division transnationale du travail, mise au pas violente des réfractaires et «sécurisation» des approvisionnements géostratégiques (énergie, matières premières).
Pour cela, il aura aussi fallu mobiliser les ressources du monde du travail (y compris par le redéploiement des dépenses sociales vers la Défense) et de la recherche autour de l'économie de guerre et du Complexe militaro-industriel. Il n'est qu'à voir la bonne santé économique et financière des activités de certains groupes industriels répondant aux commandes de la Défense américaine : Northrop Grunman, Boeing, Lockeed Martin, Mac Donnel Douglas ou même Halliburton. Il n'est pas jusqu'à quelques «sociétés militaires privées (PMC)» qui décrochent plus de 100 milliards de dollars/an de contrats gouvernementaux.
Il est tout de même remarquable que les tensions et les conflits se soient multipliés dans le monde (notamment dans les pays pauvres) alors que la chute du Mur de Berlin, en 1989, scellait la fin de la guerre froide. Les Etats-Unis sont engagés dans de nombreux conflits depuis cette date. Ils gèrent des centaines de bases militaires dans le monde. Ils sont le premier producteur et le premier exportateur mondial d'armements. Un passage d'un article publié dans le New York Times du 28 mars 1999 par un proche conseiller de Madeleine Albright, la Secrétaire d'Etat à la Défense, résume on ne peut mieux la situation : «Pour que la globalisation fonctionne, l'Amérique ne peut avoir peur d'agir comme la superpuissance omnipotente qu'elle est. La main invisible du marché ne fonctionnera jamais sans un poing visible. McDonald's ne peut prospérer sans Mac Donnel Douglas, le constructeur de l'avion F15. Et le poing visible qui protège le monde grâce à la technologie de la Silicon Valley s'appelle armée (de terre) américaine, force aérienne, marine de guerre et marines.» No comment ! Sur fond de lutte contre le terrorisme, après le traumatisme du 11 septembre 2001, la multiplication des conflits par l'Administration Bush (Irak, Yougoslavie, Afghanistan, Somalie…) alimente le creusement des déficits et la hausse permanente du budget de la Défense : globalement, celui-ci avoisine les 800 milliards de dollars en 2009 (soit 5,5% du PIB, contre 6,2% à l'époque de Reagan et 9% pendant la guerre du Vietnam) et 55% des dépenses de recherche publique (130 milliards de dollars) sont consacrées à la recherche militaire… A titre de comparaison globale, les budgets militaires de la Chine et de la Russie sont relativement plus modestes (respectivement de l'ordre de 50 et 33 milliards de dollars). Plus largement, on constate que les dépenses militaires mondiales, soit 1200 milliards de dollars en 2006, ont augmenté de plus de 37% depuis la première guerre d'Irak et que la part des USA y est de 46% ! C'est dire que «lorsque le canon tonne… le rentier chantonne.» Pourtant, il suffirait de 50 milliards de dollars pour éradiquer la faim dans le monde ! C'est aux Etats-Unis que, sur fond de désindustrialisation/délocalisation (hors secteurs de Défense et de haute technologie) et faute d'une véritable amélioration de la productivité (moins de 1%/an) la spirale spéculative s'est formée puis déplacée d'une activité à l'autre (valeurs technologiques, matières premières, immobilier, énergie, alimentaire, armement…).
C'est aux Etats-Unis que le phénomène de titrisation s'est le plus sophistiqué et développé, et que les banques ont le mieux joué le jeu des rentiers de la finance sous l'œil bienveillant (complice diraient certains) de la Federal Reserv Bank (et du couple Greenspan/Ben Bernanke). Grâce aux mesures de décloisonnement et de déréglementation des marchés, prises dès les années 1980, «tout titre peut être vendu dans le monde sans qu'on sache ce qu'il représente exactement.» La diffusion au reste du monde a donc été instantanée. C'est aussi dans ce pays qu'on a créé le plus grand nombre d'opérateurs (des milliers de hedge funds) et multiplié les produits financiers (les produits dérivés). Ainsi, entre 2002 et 2007, les montants notionnels (engagements) sur ces produits dérivés sont passés de 100 000 (cent mille) milliards de dollars à 516 000 (cinq cent seize mille) milliards de dollars, soit 35 fois le PIB américain ! Faisant courir à toute la planète des risques insensés, au point que certains parlent des produits dérivés comme d'une «véritable arme financière de destruction massive», et donnent ce précieux conseil : «Si vous voulez parier, allez à Las Vegas. Si vous voulez traiter les dérivés, que Dieu vous protège.»
Last but not least, c'est là que la vision théorique et idéologique du capitalisme patrimonial est la plus élaborée, consacrant la victoire de Milton Friedman sur John Maynard Keynes, de l'alliance des rentes et profits sur le compromis fordien entre profits et salaires, du couple épargne/endettement pour la spéculation financière sur le couple épargne /investissement pour le développement des activités productives, de la rentabilité à court terme sur les gains à moyen et long termes, du lobby militaro-industriel sur les défenseurs de l'environnement et de la paix…
L'Algérie est-elle en bonne position pour faire face à cette crise ?
Quelle que soit l'explication qu'on donne de la crise, il n'en demeure pas moins que sa brutalité, son ampleur, et sa durée probablement longue, dans un monde désormais mondialisé, devraient retenir toute l'attention des différents décideurs. On le sait maintenant, la bulle spéculative ne s'est pas cantonnée au secteur immobilier américain, ni à la sphère financière, ni au seul espace américain.
On l'a vu, après s'être effondré aux Etats-Unis, le marché immobilier s'est retourné (ou a accéléré sa chute) dans plusieurs autres pays, notamment européens (Espagne, France, Grèce…). Cette crise multiforme ne concerne pas que les pays impliqués d'une manière ou d'une autre dans la débâcle immobilière américaine. Elle propage chaque jour un peu plus et sous diverses formes ses «métastases» dans toutes les banques, dans tous les secteurs de l'économie sur tous les continents.
Ainsi, à titre d'illustration, en Chine, où le modèle exportateur semblait donner d'excellents résultats en termes de croissance depuis plusieurs mois, les ménages perdent confiance et les industriels s'inquiètent. L'immobilier chinois connaît aussi un ralentissement (20%) et des milliers d'usines touchées par la baisse de la demande mondiale, par la hausse des coûts de production, et par l'augmentation des risques d'impayés sont menacées de fermeture à court terme dans le sud du pays. Il y a quelques mois, l'«Association des entreprises à capitaux étrangers de Dongguan» (sud de la Chine), estimait que la demande extérieure allait baisser de 30% avant fin janvier 2009, ce qui entraînerait la disparition de 25% des 45 000 usines installées dans les régions de Canton, Dongguan et Shenzhen.
Dans ces conditions, le 9 novembre 2008, le gouvernement chinois a approuvé un vaste plan de relance de 4000 milliards de yuans (586 milliards de dollars), principalement en direction des PME, de la construction et des infrastructures, afin de donner un coup de fouet à la demande intérieure sur les deux prochaines années, mais aussi de rassurer les exportateurs ainsi que les pays fournisseurs (énergie, matières premières, équipements) et clients (Etats-Unis et Europe). Malgré cela, on estime aujourd'hui que plus de 10 millions de Chinois ont déjà perdu leur emploi. Et les prévisions de croissance à 8% (taux le plus bas depuis plus d'une décennie) ne devraient guère arranger les choses !
Par ailleurs, cette crise a été amplifiée par les perturbations déclenchées sur le marché international de l'énergie (pétrole). Particulièrement interconnecté aux marchés financiers, celui-ci a également connu sa spirale inflationniste pendant plus de trois ans. Alimentée en partie par les énormes besoins induits par la croissance des pays émergents (notamment la Chine), celle-ci a été relancée avec la crise des subprimes pour être ensuite brutalement attisée par la spéculation financière au point d'atteindre des sommets historiques à plus de 150 dollars le baril. Comment expliquer autrement l'éclatement aussi violent de cette bulle et la chute du prix du pétrole à moins de 40 dollars en quelques mois, alors que le ralentissement de la croissance mondiale est estimé entre 3 et 5% en 2009 ?
Parallèlement, pour freiner la hausse du prix des carburants pétroliers on a même tenté de développer des «carburants verts». Pour cela, on a mobilisé de grandes superficies pour cultiver des plantes susceptibles de donner des «agro-carburants» de substitution. Le résultat en a été catastrophique. D'immenses superficies de terres ont été détournées, parfois illégalement, de leur vocation alimentaire, au détriment de millions de petits paysans condamnés à la famine. Les productions agricoles, déjà fortement perturbées par les changements climatiques, par la hausse du coût de l'énergie, ont chuté au moment où la demande des pays émergents (notamment en viandes, céréales, lait, huiles…) montait en flèche. Résultat : flambée des prix alimentaires au niveau mondial, spéculation sur la nourriture de base, et émeutes de la faim.
Que dire également et de façon plus générale des manœuvres spéculatives qui ont fait exploser les prix de certaines matières premières utilisées dans l'industrie ou la construction ?
Pour couronner le tout, comment ignorer le formidable impact de tout ce processus sur l'environnement et l'aggravation des risques écologiques : le risque énergétique (effet de serre, pollutions industrielles et urbaines) ; le risque nucléaire (explosions, prolifération militaire ou terroriste) ; le risque alimentaire (conflits pour l'usage des sols, famines, émeutes de la faim) ?
Dès lors, qu'en est-il pour l'Algérie ? Selon certains, le matelas de réserves de change (estimées à 133 milliards de dollars fin juin 2008) et la faible connexion du système bancaire national au système financier mondial devraient permettre au pays d'échapper, ou à tout le moins d'amortir la crise dans sa dimension financière. Les réserves placées en Bons du Trésor américain seraient aussi solides que l'Etat américain lui-même, et continueraient de rapporter, bon an mal an et comme «tout patrimoine géré en bon père de famille», des intérêts de l'ordre de 4 milliards de dollars. Et d'ajouter (et avec humour ?), que «le secteur bancaire national est sûr et pérenne», et que «la Bourse d'Alger résiste mieux que Wall Street à la tempête financière mondiale, ce qui devrait rassurer les investisseurs et attirer les IDE» ! Soyons sérieux : la Bourse d'Alger comporte 2 entreprises cotées et 3 entreprises à obligations ; la capitalisation (moins de 0,2% du PIB) y est quasi nulle ; le niveau des transactions ne permet même pas de couvrir les frais de fonctionnement de la jeune institution. Il aura d'ailleurs fallu un sérieux coup de pouce des autorités en février 2008 (émission de 145 milliards de dinars d'obligations, soit 1,5 milliard d'euros) pour éviter son «effondrement». Dont acte.
Il est plus vraisemblable de penser que l'Algérie sera plus ou moins fortement «contaminée», à la fois par les évolutions du marché obligataire américain, par l'évolution des conditions d'accès au crédit pour les importations de biens et services nécessaires à l'approvisionnement de la population, des entreprises et des projets d'investissement, par les évolutions induites sur le marché pétrolier, et par les choix stratégiques opérés en matière de développement.
Pour ce qui est de l'énergie, il ne fait aucun doute que la chute du prix des hydrocarbures est une très mauvaise nouvelle pour le pays : celle d'une crise énergétique structurelle qui n'a pas fini de produire tous ses effets. La chute des prix devrait durer toute l'année 2009, et probablement une partie de 2010 (malgré les «décisions» prises par l'OPEP le 17 décembre 2009 au sommet d'Oran). Mais, ce n'est là que la partie immergée de l'iceberg énergétique : la chute des prix n'est que l'épiphénomène, relativement conjoncturel, qui précède la véritable tempête structurelle, celle du prochain choc à la hausse. Celui-ci devrait résulter de plusieurs contradictions : une récession à court terme (au moins dans les grands pays consommateurs) face à une reprise à moyen terme ; une hausse de la demande à moyen terme face à une limitation des ressources ; une hausse de la production face à une baisse des investissements… A priori, et bien qu'on ne puisse prévoir les réactions des différents acteurs du marché énergétique mondial, en Algérie, une nouvelle hausse des prix du pétrole devrait réjouir les partisans de l'économie rentière, de l'exploitation effrénée des gisements et de l'accumulation de recettes pétrolières de plus en plus importantes. Mais sera-ce là le meilleur moyen de sortir de la crise ? Rien n'est moins sûr, comme on le verra plus loin.
En attendant, à court terme, l'éclatement de la bulle spéculative, conjuguée au ralentissement de la demande mondiale en hydrocarbures, aura forcément des effets importants sur une économie dépendante à plus de 98% des recettes d'exportations correspondantes. Cela est d'autant plus préoccupant que ces ressources conditionnent, à elles seules, l'action de l'Etat et le niveau des dépenses publiques de fonctionnement et d'investissement, comme elles déterminent les capacités à l'importation du pays. Or, on connaît le niveau élevé de dépendance extérieure, notamment pour les produits essentiels à la vie de la population (alimentaires, santé…) et au fonctionnement des entreprises.
Compte tenu de l'état de délabrement persistant du secteur industriel (public et privé), des agressions spéculatives subies par le foncier agricole, de la faible participation de la production locale au PIB et de l'impossibilité à court terme de faire de «l'import substitution», et face à un niveau relativement incompressible d'importations pour couvrir les besoins essentiels de la population, que faire si le prix du pétrole demeure encore longtemps au-dessous de 50 dollars ? Que faire si les conditions de crédit à l'importation se durcissent ? Puiser dans les réserves de change ? Jusqu'à quand ? Réduire de manière drastique les importations ? Reporter les projets d'investissement programmés ou à l'étude ? Avec quelles conséquences en termes d'emploi, de revenu, d'éducation, de santé, de logement, de transport… ? Comment faire dans un pays où la croissance n'est pas le fruit de la dynamique marchande, autonome et performante des activités productives hors hydrocarbures, mais le résultat des commandes obtenues auprès de l'Etat par des entreprises surveillant avec fébrilité le niveau autorisé des dépenses publiques, lui-même conditionné par le volume aléatoire de recettes fiscales d'origine pétrolière ? Les traces des dégâts occasionnés par le contrechoc pétrolier de 1986 sont encore présentes dans le paysage économique et social du pays et devraient aiguiser la vigilance à l'égard de cette nouvelle crise.
Dans le cadre de cette vigilance, une question essentielle mérite d'être posée : le mode actuel d'insertion de l'économie de l'Algérie dans la division transnationale du travail est-il un gage d'amortissement de la crise ou un facteur d'aggravation des effets de la crise ? En d'autres termes, pour affronter les effets de la crise (ceux déjà perçus et ceux qu'on n'a pas encore identifiés), l'Algérie doit-elle conforter son économie rentière, basée sur un modèle mono producteur et mono exportateur d'hydrocarbures, et renforcer ses positions importatrices pour couvrir les besoins fondamentaux de la population ? Doit-elle continuer d'ignorer le déclin accéléré des autres secteurs productifs nationaux (industrie et agriculture) et «compenser» cela par le lancement ou la poursuite de grands travaux infrastructurels et l'appel non maîtrisé aux IDE, faisant la part belle aux partenaires étrangers et à l'exportation de capitaux par le biais des profits engrangés (plus que ce que rapportent les Bons du Trésor américain) ? Pis, doit-elle continuer à ignorer le caractère non renouvelable de ses ressources énergétiques actuelles, quand on sait qu'au rythme actuel de production les puits de pétrole seront asséchés dans moins de 20 ans ? On rétorquera qu'il y aura encore du gaz. Et après ?
A l'inverse, n'est-il pas salutaire, à l'occasion de cette crise, de modifier progressivement la place et le rôle qui sont fixés à l'Algérie par le capitalisme patrimonial mondial ? Au lieu de continuer à pomper sans limites et à exporter de l'énergie (de préférence à bon marché) pour assurer le développement des pays consommateurs, n'est-il pas venu le temps de réorienter cette production et ces exportations vers le développement du marché intérieur et des activités productives nationales ? N'est-il pas temps de réhabiliter ces activités pour réduire le poids des importations et en modifier la structure ? Autant de questions dont les réponses dépendent de la manière dont sont conçus, au niveau international et en Algérie, les scénarii de sortie de crise.
Comment sortir de ces crises ?
Bien sûr, pour sortir de ces crises, l'Algérie a besoin d'une certaine visibilité externe et interne. Au plan interne, les autorités ont mis en place divers mécanismes pour surveiller l'évolution du marché obligataire américain et celle du marché pétrolier international (en particulier au sein de l'OPEP). Au plan international, elles attendent de savoir comment les puissants de ce monde, réunis en G8 et autres G20, envisagent eux-mêmes cette sortie.
Pour l'heure, on le sait, les Etats-Unis, l'Europe, le Japon, la Chine, la Russie… ont rapidement paré au plus pressé en cherchant à faire baisser la fièvre bancaire et financière (plans de sauvetage des banques), et à éteindre les débuts d'incendie se déclarant dans certains secteurs de l'économie réelle en présage à la récession attendue pour 2009 (plans de relance, d'aide et de soutien à l'automobile, aux PME, aux entreprises exportatrices…).
En novembre 2008, les réunions du G8 et du G20 (auxquelles l'Algérie n'a pas été conviée) n'ont pas vraiment dégagé de solutions radicales. Hormis quelques grandes lignes d'un plan de lutte contre la crise, le G20 s'en est tenu à des déclarations de principe et a chargé les ministres des Finances de préparer des mesures concrètes d'ici avril 2009. On y a cependant parlé de «mesures budgétaires et monétaires pour stimuler la demande intérieure», de la «nécessaire refonte du système financier international», «de la nécessité de réguler et surveiller tous les marchés, produits et acteurs…y compris les agences de notation». Dans ce sens, engagement a été pris de «réformer les institutions financières internationales…pour qu'elles reflètent mieux l'évolution des poids économiques respectifs des pays dans l'économie mondiale, en particulier des pays émergents». Est-ce à dire que le pouvoir de décision va se «démocratiser» au FMI et à la Banque mondiale ? Rien n'est moins sûr. Cela est donc bien maigre. Il n'empêche, au-delà des grands-messes internationales, une chose est désormais évidente : le retour en grâce de la régulation publique, après une sorte de mise en quarantaine imposée par la logique rentière et néolibérale du capitalisme patrimonial.
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Peut-on pour autant annoncer, comme le font certains, la mort du capitalisme patrimonial, la fin du règne théorique de l'école de Chicago (celle de Milton Friedman) et le retour en grâce des politiques keynésiennes ? Ce serait aller vite en besogne.
De mon point de vue, en 2009, le monde, sous la direction des Etats composant le G8 ou le G20, devrait choisir, selon l'importance réelle de la crise, l'état des forces en présence qui en a résulté dans les différents pays, et le poids réel des pays «exclus» du G20, entre deux scénarii principaux, et relativement antagoniques, de sortie de crise.
Le premier scénario de sortie de crise «par le bas» consisterait à regrouper toute une série de mesures (organisationnelles, techniques, financières, fiscales, politiques…) à prendre par les Etats pour construire et mettre en œuvre une sorte de «Néo Fordisme Rentier» (NFR). Les Etats auraient pour charge à travers leurs interventions, de conforter le fonctionnement du capitalisme patrimonial, d'assurer la relance de la croissance et de la productivité, de le protéger contre la faiblesse de la demande globale et le recours intempestif à l'endettement, contre les excès de la recherche de rentabilité à court terme, contre les trop grandes pressions à la baisse des salaires. Il s'agirait aussi de réformer certaines pratiques bancaires (définition des fonds propres, règles prudentielles) et financières, d'harmoniser les normes comptables, d'améliorer le contrôle, de s'assurer du bon fonctionnement de l'intermédiation et d'en limiter la sophistication… Le FMI et la Banque mondiale (réformés ou non) y trouveraient un rôle renforcé : celui d'assurer l'interface entre marchés financiers et économie réelle, et seraient chargés de prévenir toute future crise du mode d'accumulation et de régulation du capitalisme patrimonial, par la mise en œuvre et le contrôle du dispositif dans chacun des pays membres.
Dans ce scénario, les politiques publiques de relance, notamment les politiques de grands travaux, ne remettraient pas en cause la logique d'accumulation du capitalisme patrimonial, ni l'alliance des rentes et profits au détriment des salariés, ni le recours à l'endettement public (on estimait, récemment encore, que les emprunts obligataires pour 2009 devraient bondir de plus de 3000 milliards de dollars, dont les deux tiers aux Etats-Unis. Merci les contribuables !) et privé pour assurer la demande globale. Tout juste en gommeraient-elles les aspects les plus insupportables pour les pauvres (extrême pauvreté, surendettement, famines) et les plus risqués pour les riches (effondrement des patrimoines) et pour tout le système. Tout juste tiendrait-on compte des limites «naturelles» qui s'opposent à la poursuite en l'état du mode d'accumulation actuel (question environnementale, sécurisation des ressources non renouvelables, crise sociale, conflits militaires…). De manière fondamentale, il ne s'agira de modifier ni le mode d'accumulation, ni celui de la régulation, ni celui de la répartition des richesses et des dépenses, encore moins celui de l'équilibre global des forces civiles et militaires.
En d'autres termes, il s'agira de soumettre la régulation publique à la régulation par les marchés, d'améliorer la croissance et la productivité pour donner des miettes aux salariés et pauvres du monde, de réhabiliter Keynes pour sauver Friedman ! Car, à l'occasion de la crise, on a compris que la rentabilité financière à court terme recherchée par les rentiers suppose tout de même une rentabilité à moyen et long termes de l'économie réelle, ce qui suppose une croissance régulière de celle-ci et des profits pour les entreprises productives. On a par ailleurs compris que le mode actuel de production et de consommation énergétique ne pourrait pas permettre à toute la population mondiale de vivre selon les standards imposés par le capitalisme patrimonial, à moins de disposer d'autres planètes semblables à la nôtre ou d'asphyxier la Terre (réchauffement climatique, pollution, réduction de la biodiversité…).
Le second scénario de sortie de crise «par le haut» consisterait, selon une démarche similaire, à organiser les multiples interventions des Etats dans l'objectif essentiel de construire et mettre en œuvre un «Néo Fordisme Productif» (NFP). Il s'agirait alors d'une démarche de rupture progressive avec le capitalisme patrimonial pour lui substituer un «capitalisme néo-managérial».
Les Etats auraient pour charge, à travers leur régulation, de modifier la logique rentière de fonctionnement du capitalisme. Ils auraient pour objectifs d'assurer la relance de la croissance et de la productivité, de déconnecter la demande globale de l'endettement, en reliant à nouveau efficacement productivité et salaires et en assurant un rééquilibrage de la part des salaires et des profits dans le revenu national (ce qui signifie un recul de la rente).
Ils auraient aussi pour mission de réhabiliter les objectifs de rentabilité à moyen et long termes, de réorganiser et de contrôler le système bancaire et financier en assurant, notamment, une meilleure transparence de l'intermédiation bancaire et de l'intermédiation financière, hors de tout mélange des genres.
Dans ce second scénario, les politiques publiques de relance, notamment les politiques de grands travaux liés à l'environnement, à l'énergie, à l'eau, à l'éducation, aux infrastructures, à la recherche…, remettraient en cause la logique d'accumulation du capitalisme patrimonial, et l'alliance des rentes et profits au détriment des salariés. Il est plus que temps de revenir à la dynamique productive du couple salaires-profits et, comme le recommandait Keynes, «de marier les investisseurs à leurs actifs» de sorte à neutraliser à nouveau les rentiers de tous bords. Les investisseurs ont certes des droits, mais ils ont aussi des devoirs. Ils ont une responsabilité financière, mais ils ont aussi une responsabilité sociale et environnementale. De la sorte, il sera possible de lutter efficacement contre les inégalités économiques et sociales, pour la gestion et la protection de l'environnement, pour un développement humain et durable pour tous. De manière fondamentale, il s'agira de modifier radicalement le mode d'accumulation, celui de la régulation, celui de la répartition des richesses et des dépenses, et donc celui de l'équilibre global des forces civiles et militaires. Dans ce cadre, il reviendrait à l'ONU ou à une de ses agences d'assurer la cohérence du lien entre marchés financiers, économie réelle et développement durable, et de proposer toutes mesures internationales pour prévenir les déséquilibres financiers, commerciaux, économiques, militaires susceptibles de mettre en cause le développement durable pour tous.
En d'autres termes, il s'agira de construire une véritable régulation mixte (publique/marchande), en tant que mécanisme intégré d'allocation optimale des ressources, d'améliorer la croissance et la productivité pour en partager équitablement les fruits entre les entreprises et les travailleurs productifs, de réhabiliter Keynes pour mieux, selon son bon mot, «euthanasier» de façon théorique Friedman !
Entre ces deux scénarii, lequel l'emportera ? Assistera-t-on à un mixage des deux ?
Bien malin qui pourrait le dire aujourd'hui. Si la crise s'intensifie et la récession se prolonge, on peut cependant supposer que des millions de femmes et d'hommes dans le monde vont perdre leur emploi, leur logement, l'accès à la nourriture, entraînant la dégradation de leurs conditions de vie, voire de survie, et parfois condamnés à l'errance vers des horizons qui leur sont bouchés pour raison…sécuritaire. Dès lors, dans les pays riches comme dans les pays pauvres, tout peut arriver : des émeutes, des révoltes, des guerres, mais aussi des manifestations et des négociations plus pacifiques et de nouveaux compromis politiques, entre partenaires sociaux (les entrepreneurs productifs, les salariés, plus largement la société civile) et entre Etats, contre les rentiers de tous poils, responsables de la catastrophe. Histoire de ne plus confondre rendements financiers et performances économiques, croissance financière et développement réel, fortunes de quelques-uns et misère du plus grand nombre.
Bien sûr, l'idéal serait que la crise soit rapidement surmontée et sans autres dégâts, et qu'en même temps l'alliance des rentiers et des gestionnaires se brise au profit d'une nouvelle alliance entre les entrepreneurs et les salariés. Cela suppose une formidable mobilisation populaire partout dans le monde. L'état des forces en présence le permettra-t-il, notamment aux Etats-Unis ?
Le fameux «Yes We Can» affiché par le président Barack Hussein Obama, désormais aux commandes de la locomotive mondiale, se traduira-t-il totalement ou partiellement dans les faits ? Son plan de relance, dont les ressources pourraient finalement dépasser les 800 milliards de dollars, penchera-t-il en faveur du second scénario ? Son assise populaire le lui permettra-t-elle ou sera-t-il très vite confronté à la réalité des intérêts contradictoires que ne manqueront pas de lui rappeler les lobbyistes de Wall Street et ceux du Complexe militaro-industriel (souvent les mêmes) qui ont largement contribué à financer sa campagne électorale ? En tous cas, on le voit, selon le scénario qui se profile, la position actuelle et future de l'Algérie n'est pas la même.
Sa sortie de crise non plus.
Le premier scénario intéresserait à l'évidence les partisans de l'économie rentière et nul doute qu'ils seraient prêts à se mobiliser à l'intérieur et à l'extérieur pour faire basculer le monde dans le scénario d'un «néo fordisme rentier».
En cas de victoire on en connaît les implications pour l'économie nationale : maintien et renforcement de sa position sous-traitante dans la division transnationale du travail ; renforcement de la spécialisation primaire et du modèle mono exportateur d'énergie fossile ; blocage de l'import-substitution et atrophie des activités productives nationales hors hydrocarbures ; surexploitation des ressources du sous-sol ; aggravation de la dépendance commerciale externe pour la satisfaction des besoins essentiels de la population et des entreprises…
Le second scénario intéresserait sans aucun doute tous ceux, et ils sont nombreux, qui souhaitent une rupture avec le capitalisme patrimonial et l'avènement d'un «capitalisme à visage humain» tel qu'il transparaît dans cette version du «néo fordisme productif». Comment ne pas retrouver l'espoir dans un système qui réhabiliterait l'effort productif, la répartition des richesses en faveur des revenus productifs, le respect de l'environnement fondé sur un nouveau modèle de production et de consommation énergétique, la gestion démocratique et pacifique des conflits d'intérêts… Cependant, pour qu'un tel scénario l'emporte au plan international et interne il faudra une importante mobilisation des salariés, des entrepreneurs productifs, des associations, syndicats et autres ONG démocratiques tant la résistance des rentiers sera forte. En un mot de tout ce qui fait la réalité de la régulation démocratique citoyenne à l'échelle mondiale. A l'évidence, le jeu en vaut la chandelle !
Qu'on ne s'y trompe pas, derrière la question de la sortie de crise, c'est toute la conception du développement et du patrimoine de l'humanité qui est en jeu. Selon le scénario qui s'imposera, ou l'on continuera de croire que le développement est affaire de croissance et le patrimoine de l'humanité un amas de valeurs financières logées dans les banques internationales et autres paradis fiscaux, ou l'on finira par comprendre que la croissance seule n'est rien sans le développement humain et durable, ce qui signifie que la seule richesse, le patrimoine véritable et inépuisable, c'est l'Homme libre valorisé par le travail productif. Dès lors, on mesure mieux l'enjeu vital que constitue la question de la régulation publique et le rôle central que lui accorda Keynes après la crise de 1929. Pour ce qui est de l'Algérie, on aurait pu apprendre la leçon depuis bien plus longtemps encore. Ibn Khaldoun, notre génial prédécesseur, fut un ardent défenseur du travail humain et de la propriété privée productive, fustigea le premier tout système rentier et condamna la spéculation sous toutes ses formes. Et de donner, dès le XIVe siècle, de précieux conseils en termes de régulation publique, qui n'ont rien perdu de leur modernité : «(Si l'Etat) veut amasser des trésors, que ce soient ceux de la piété, de la crainte de Dieu, de la justice, de l'amélioration du sort (des citoyens), du développement de leurs terres, de l'administration de leurs affaires, de leur sécurité et du secours aux affligés. (L'Etat) doit savoir que les trésors accumulés ne fructifient pas, à moins d'être consacrés au bien-être du peuple, à lui assurer ses droits et à le préserver du besoin.» (Al Muqqadima)
L'auteur est : Universitaire,
(1) Les Débats d'El Watan, Alger, janvier 2009


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