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La diva de la nouba
Publié dans El Watan le 11 - 05 - 2013

L'une d'elles, au 19e siècle, a marqué durablement les esprits des adeptes de l'art musical andalou. Exigeante, autoritaire, conservatrice et moderne en même temps, elle forçait le respect de ses contemporains par sa maîtrise du répertoire musical algérois qui lui valut d'être la seule femme élevée au rang de Maâlma, ou maîtresse émérite. Ainsi était Yamna bent El Hadj El Mahdi. Née en 1859, à une époque où le monde musical était exclusivement masculin, elle a su se frayer un chemin dans un milieu peu habitué aux incursions féminines. Vers l'âge de dix ans, elle présentait déjà de belles capacités pour le chant comme pour la pratique instrumentale. Curieuse, elle s'initiait en se faufilant discrètement dans un café de son quartier, pour écouter un musicien réputé qui maniait le guenibri avec aisance. Le manège de Yamna attira l'attention de Cheikh Hassen Ben Brihmat, directeur de la dernière médersa de La Casbah. Grand érudit et mélomane, il est en admiration devant le potentiel artistique évident de Yamna. Malheureusement, l'époque n'encourage pas la pratique musicale par les jeunes filles. Les traditions sont là, implacables, cela ne se fait pas !
Cheikh Ben Brihmat, en homme intelligent et éclairé, va user de son influence et trouver une façon de permettre l'épanouissement artistique de la future Maâlma. Homme pieux, respecté par toute la communauté, il décide de parler au père de Yamna, lui demandant d'accepter que sa fille vienne chez lui pour aider son épouse dans l'accomplissement des tâches ménagères. El Hadj El Mahdi accepte et, ainsi, Yamna commence un apprentissage des plus enrichissants. Cheikh Ben Brihmat lui enseigne la langue arabe et ses subtilités. Auprès de lui, elle comprend et apprend les poésies andalouses. Des témoignages recueillis auprès de la famille Brihmat nous apprennent que c'est son fils, Sid Ahmed Ben Brihmat, interprète et musicien militaire, qui fait découvrir à Yamna la nouba et ses secrets. Elle s'entraîne à la mémorisation du répertoire. Quelques années plus tard, en 1876, quand son père décède, elle n'est plus une enfant fragile mais une jeune fille pétrie de culture qui ne demande qu'à s'épanouir. Elle prend sa vie en main et décide d'aller à la rencontre de son art et de toutes les techniques vocales et musicales. Elle recherche la perfection. Yamna continuera de se rendre chez les Ben Brihmat pour de petits concerts privés qui faisaient la joie de la famille et qui lui permettaient de se parfaire. Elle est subjuguée par son ainée, Cheikha Kheïra Djabouni, qui anime les fêtes familiales. Yamna, encore à la recherche de son style, la suit et s'en inspire. Son talent se révèle chaque jour un peu plus. Multi-instrumentiste, elle manie aussi bien la mandoline que le violon, la kouitra, le tar, l'oud, le piano et même le qanoun !
Les groupes de femmes-chanteuses – appelées messemaâtes, d'bayate, meddahate ou encore fqirate – ne se produisaient que lors des fêtes familiales, dans des milieux exclusivement féminins. Kheira Djabouni et Kheira Tchouchana, joueuses de kouitra, dirigeaient des ensembles très recherchés pour leur répertoire de aroubi, haouzi, zendani, madih et même de classique andalou. Quand ces deux cheikhates décèdent, Hanifa Ben Amara et Aïcha El Khaldia, membres de leurs troupes, les remplacent. C'est alors qu'apparaît Yamna bent El Hadj El Mehdi.
Elle révolutionne le monde musical par ses connaissances techniques très poussées. Née dans la seconde moitié du 19e siècle, Yamna est surtout celle qui a décidé de marcher sur les pas des grands maîtres, tels Maâlem Mnemeche (1809-1891), Mohamed Sfindja (1848-1908), Mouzino (Saul Durant)… Elle les côtoie, fréquente le salon que Sfindja a construit dans son jardin à Bouzaréah et où il enseigne la musique. Yamna a une mémoire phénoménale. Sa formation auprès de ces derniers grands maîtres, renforce son assurance déjà affirmée. Elle va dans le détail de son art, aimant la précision par dessus tout. Elle en arrive même, parfois, à pousser dans leurs derniers retranchements certains artistes confirmés, tel son contemporain, Mohamed Ben Teffahi (1870-1944). Elle se mesure et débat avec Edmond Nathan Yafil (1874-1928) sur les poésies andalouses mais aussi avec Kouider Bensmaïl (1850-1922), auteur de la désormais légendaire poésie Sidi Sahnoun et de Ayaw neghenmou selouane, ode à Sidi Abderrahmane Eth Thaâlibi.
Elle s'enrichit de ces échanges et, en 1880, quand elle constitue son premier orchestre, elle entend respecter la filiation spirituelle qui la lie à ses illustres prédécesseurs. Intransigeante, elle ne tolère pas la médiocrité, n'acceptant auprès d'elle que les meilleurs musiciens. On cite en exemple le violoniste virtuose, Cheikh Mahmoud Oulid Sidi Saïd (dit Qelb Eddelaâ, décédé à Blida en 1932), très apprécié aussi pour ses interprétations de hawzi. Tous les orchestres de ce temps étaient à dominante israélite. Celui de Yamna marquait sa différence en ne comptant que des musulmans. Avec son orchestre masculin, Yamna anime des mariages pour une assistance masculine, affront suprême pour ses concurrents et rivaux. De nombreuses inimitiés se révèlent qu'elle gérera en travaillant plus dur et en s'imposant davantage sur la scène algéroise. En plus de la nouba classique, elle reprend tout le patrimoine des qaçaïds, domaine réputé masculin, genre aroubi, quadriète, madih dini (sacré) ou profane. Seule femme à maîtriser tous les répertoires, elle s'impose définitivement comme Maâlma.
Pour répondre aux nombreuses sollicitations pour l'animation de fêtes familiales, elle constitua un orchestre féminin. On citera parmi les musiciennes, Haoula à la kouitra, Houria à la derbouka, Tamani au tar et elle-même au violon. Quand elle acceptait la célébration d'un mariage, elle se montrait très pointilleuse et insistait sur le respect des us et coutumes. D'un côté, cette femme très moderne et progressiste n'hésitait pas à briser les tabous et d'un autre elle tenait au respect des traditions, symboles de la société qu'elle voulait faire évoluer à sa manière. Le peu qu'on sache de la vie privée de Yamna nous donne à penser qu'elle aimait le faste et la belle vie. Ceux qui l'ont connue ont véhiculé l'image d'une femme qualifiée de «mouloukia» (littéralement «royale», qui aimait prendre ses aises). Yamna fut sans doute la première femme algérienne, et la seule à Alger, à posséder une voiture avec chauffeur.
Mahieddine Bachtarzi parle, dans ses mémoires, du cérémonial des mariages observé jusqu'en 1914, et en vigueur dans les milieux aisés. Les chanteuses en charge de l'animation de ces grandes cérémonies acceptaient «le contrat» après engagement de la famille. Un mariage durait sept jours. L'usage était que, pendant tout le temps d'une noce, l'ensemble musical au complet était logé et nourri sur les lieux-mêmes de la fête. Plusieurs mois auparavant, la maîtresse de maison prenait à sa charge les frais de couture des costumes de la Maâlma et de ses musiciennes. Elles s'accordaient toutes deux sur le choix des étoffes et des couleurs. Yamna ne dérogeait jamais à cette coûteuse tradition, avec, de plus, des exigences particulières pour les menus. L'orchestre était installé sur des matelas dans le patio de la maison. Derrière l'orchestre, se tenaient des haddarate chargées de maintenir l'ambiance par la danse et les youyous. Les dames plus âgées se mettaient en retrait. Il y avait aussi les ferradjates, femmes du quartier qui venaient assister au spectacle. Il n'était pas pensable de rater Maâlma Yamna dans son Dakhli M'samai, Rana Djinek, célèbre hymne à la mariée. Spécialité purement féminine, elle lui a donné sa forme et en a fait l'incontournable et majestueuse ouverture marquant le début de chaque mariage jusqu'à nos jours. Un mariage animé par Yamna était un véritable événement chargé d'une intense émotion.
Dans le sillage des maîtres andalous, Yamna aidait à la promotion des plus jeunes. Un jour de 1928, Maâlma Yamna se rend à Tlemcen pour animer un mariage. Cheikh El Bakhchi lui propose d'intégrer dans son orchestre un jeune chanteur qu'il avait pris sous son aile depuis peu et qui se nommait Abdelkrim Dali. La Maâlma accepte. Elle est déjà un monument de la chanson. Quelques mois auparavant elle avait donné un grand concert au théâtre Kursall d'Alger avec Mahieddine Bachtarzi. Elle s'était produite, debout, accompagnée d'un orchestre masculin devant un public essentiellement masculin, une première dans l'histoire du spectacle algérien. Le soir du mariage à Tlemcen, Abdelkrim Dali se voit confier un tar. Yamna remarque très vite ses qualités vocales et lui demande d'interpréter un istikhbar. Abdelkrim Dali se lance dans un mode araq qui lui vaudra les félicitations et de précieux conseils de la Maâlma. La réputation de Yamna a dépassé les limites d'Alger. Elle est demandée partout en Algérie et dans tout le Maghreb. On raconte que le roi Mohamed V a assisté à l'un de ses concerts, mais surtout que le Dey de Tunis la faisait venir régulièrement pour des festivités en son palais.
Femme de tête à la prise de décision rapide et juste, Yamna a superbement mené sa carrière. Sa curiosité toujours aiguisée, elle s'intéresse à la technologie de l'époque et découvre les enregistrements sur cylindres déjà effectués par son maître, Sfindja. Elle veut fixer pour la postérité ce qu'elle a appris et apporter sa contribution à la sauvegarde du patrimoine. Aujourd'hui encore, ces enregistrements, en cours de numérisation, sont une référence parmi lesquels on a retrouvé des pièces musicales très particulières appelées «tasbihate». Répertoire méconnu, les mélodies sont calquées sur les modes andalous traditionnels, les rythmes sont très élaborés et les paroles sont du madih dini. Avec l'aide d'Edmond Yafil, de 1922 à 1928, elle fixe la quasi-totalité du répertoire sur cylindres puis sur 78 tours, héritage de 500 enregistrements, tous genres confondus, qui reste à reconstituer. Avec Tamani et Houria, elle forme un trio féminin, premier du genre, et enregistre, en 1912, la célèbre complainte, Galou l'aârab galou, sur l'histoire de Salah Bey de Constantine, hymne à la résistance. En cette fin de 19e siècle, Yamna provoque une réelle révolution artistique. Elle enregistre la magnifique poésie de Sidi Lakhdar Benkhelouf Bismillah bdit enzemam aân tedj errousla.
Il reste indéniable que sa grande proximité avec le grand Maâlem Mnemèche a contribué à la rendre aussi forte. Il est l'un des derniers grands détenteurs des trésors de la musique andalouse. La régularité des échanges avec Maâlem Sfindja et Kouider Bensmaïl, éminent meddah de son époque, font de Yamna une exception de son temps. Elle a su prendre le meilleur de ses aînés et de ses contemporains et elle a ouvert la voie à toutes les femmes qui l'ont suivie, telles Meriem Fekkaï et Cheikha Tetma qui ont assuré sa relève, mais aussi à toutes celles, bien des années plus tard, qui ont intégré les associations de musique à partir des années 30, période où le mouvement nationaliste s'affirmait et contribuait à consolider l'identité culturelle algérienne. Un bel hommage lui a été rendu vendredi 26 avril à la salle El Mougar à Alger, par la Fondation Cheikh Abdelkrim Dali. Cinq associations se sont rassemblées en la circonstance (Dar El Gharnatia et Dar El Bachtarzia de Koléa, El Djenadia de Boufarik, Es Soundoussia et La Cordoba d'Alger) pour fusionner en un magnifique orchestre d'une quarantaine de musiciens, dirigé par Nadjib Kateb. Ce bel ensemble, digne représentant de la musique sanaâ, a accompagné les chanteuses Lamia Maâdini puis Nardjess dans un choix de haouzi et aroubi. Des descendants de la famille de Maâlma Yamna ont honoré cette soirée et reçu, à titre symbolique, une plaque commémorative.
Maâlma Yamna Bent El Hadj El Mahdi s'est éteinte à l'âge de 74 ans le 1er juillet 1933 à Alger. Elle repose au cimetière d'El Kettar, incarnant pour toujours une grande artiste et une figure distinguée de la femme algérienne. 
Prochainement : La vie et l'œuvre de Cheikh Mohamed Sfindja


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