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«La Constitution tunisienne a été imposée par la société civile»
Publié dans El Watan le 24 - 05 - 2014

-Tout le monde vante la nouvelle Constitution tunisienne. Qu'est-ce qui justifie, selon vous, ce satisfecit général ?
Deux choses justifient le satisfécit général par rapport à la Constitution tunisienne. D'abord la méthode. La Tunisie a opté pour la voie la plus longue, la plus difficile et la plus risquée, celle de l'adoption du texte fondamental par une Assemblée constituante, c'est-à-dire par les élus du peuple. La Tunisie a rejeté les options utilisées dans le monde arabe et ailleurs, celles des Constitutions octroyées ou écrites par des commissions d'experts élus ou non élus et soumises ensuite à référendum. Elle a opté enfin pour la rédaction de la Loi fondamentale du pays, non pas à partir de l'ancienne Constitution de 1959 ou d'un projet quelconque, mais à partir d' «une feuille blanche». Ces choix, bien que très démocratiques, comportent des risques majeurs d'enlisement et de discussions byzantines, d'autant plus que c'est la première fois dans l'histoire du pays que des questions aussi importantes sont portées sur la place publique. De plus, ce qui fait l'originalité majeure de cette Constitution est que c'est un texte écrit par la société civile soutenue par les forces vives du pays.
Plusieurs choix fondamentaux dans cette Constitution ont été imposés par la société civile qu'il s'agisse de l'identité de l'Etat, de la place de l'islam, de celle de la femme et de la constitutionnalisation de ses acquis, de l'ouverture de l'enseignement aux langues et civilisations étrangères, de la liberté de conscience, de l'encadrement strict des limites aux libertés, du pouvoir judiciaire, du contrôle de la constitutionnalité des lois, des droits de la 3e génération… Les exemples sont encore plus nombreux. Ce qui fait que chaque disposition sera lue et interprétée dans les prochaines années, voire les décennies, à la lumière de cette dynamique et du rôle joué par cette société civile. En bref, «la méthode tunisienne» a abouti à quelque chose de consensuel, alors que les autres pays du «printemps arabe» ont pratiquement tous échoué.
En deuxième partie, il y a lieu de mettre l'accent sur le contenu de cette Constitution. Je pense qu'au-delà de ses faiblesses et de ses ambiguïtés et sous réserve de ce que sera son application, nous avons un texte unique dans le monde arabe et musulman. Tant en ce qui concerne les droits et libertés, ou même le type de régime politique choisi, ainsi que les autres innovations (instances constitutionnelles par exemple), la Constitution tunisienne est un texte moderne qui épouse son temps. La Tunisie renoue ainsi avec son histoire constitutionnelle inaugurée par la Constitution de Carthage en passant par celles de 1861 et de 1959.
-Plusieurs observateurs pensent qu'il y a eu surtout un grand soulagement vu les craintes dues à la présence des islamistes d'Ennahdha au pouvoir et aux contenus des premières moutures que le camp démocrate, la société civile et vous-même aviez contestés. Qu'en pensez-vous ?
Oui, il y a eu un soulagement considérable. Surtout que les islamistes étaient vainqueurs aux élections et n'ont rien fait pour tranquilliser les gens. Au contraire. Ils ont annoncé la couleur dès le début en diffusant un projet de Constitution islamique et d'autres projets similaires.
Il n'y a aucune commune comparaison entre la Constitution de 2014 et les premiers projets et même avec le projet final du 1er juin 2013 paraphé pourtant par le rapporteur général et le président de l'ANC. En réalité, les premiers projets suscitaient une grande crainte : outre une mauvaise rédaction, ils étaient en recul en matière de droits et libertés, en particulier en matière d'acquis des droits de la femme et de son rôle majeur dans la société tunisienne, ou du caractère civil de l'Etat.
Nous avons vécu tout au long de ces trois années une partie de bras de fer extrêmement éprouvante où les questions identitaires dominaient tout le champ politique et constitutionnel et prévalaient sur les questions d'ordre économique et social.
C'est un véritable «combat d'élites» qui a eu lieu mais qui a montré en tout cas que ces élites pouvaient trouver un terrain d'entente et que «le corps tunisien» pouvait se défendre.
-Quelles sont les avancées enregistrées par rapport à l'ancienne Constitution et par rapport à celles des dictatures arabes et autres monarchies absolues ?
Les avancées portent d'abord sur l'affirmation du «caractère civil de l'Etat fondé sur la citoyenneté». C'est une affirmation capitale car elle fait prévaloir la citoyenneté sur toute autre appartenance.Les avancées portent aussi sur l'extension du champ des libertés. Le titre 2 relatif aux droits et libertés ajoute aux libertés, déjà consacrées par la Constitution de 1959, des libertés essentielles comme celle de conscience et de culte, les libertés académiques, l'interdiction de la torture et l'imprescriptibilité de ce crime, les droits des troisième et quatrième générations (droit de l'environnement, droit au sport, droit des personnes handicapées, droits d'accès aux réseaux d'information), etc. De même, on retiendra l'égalité entre citoyennes et citoyens, qui, même imparfaite (on aurait aimé voir plutôt l'égalité entre les femmes et les hommes) constitue un acquis considérable. Mais surtout la constitutionnalisation de l'irréversibilité des acquis de la femme consacrés par le Code du statut personnel conjuguée à la parité est un véritable rempart contre les tentatives régulières de mise en cause. Mais en matière de droits et libertés, l'apport le plus important est incontestablement celui de l'encadrement strict des limites aux libertés (article 49). Il n'est plus possible – comme dans le cadre de la Constitution de 1959 – de limiter les libertés par la loi. Désormais, le législateur pourra, certes, organiser l'exercice des libertés ou même les limiter, mais il ne pourra le faire qu'en respectant des conditions strictement énumérées : ne pas porter atteinte à l'essence du droit, toute restriction doit être justifiée, être proportionnelle à sa cause, être compatible avec un Etat civil et démocratique, et être contrôlée par le juge.
Enfin, malgré quelques faiblesses, la Constitution innove en matière de rôle dévolu à l'opposition (article 60) et d'équilibre des pouvoirs et de contrôle de la constitutionnalité de lois mais aussi en matière d'instances constitutionnelles indépendantes.
-On peut dire que le peuple tunisien, citoyens et élites, est parvenu à sortir indemne d'un virage décisif. Qu'est-ce qui a le plus aidé la Tunisie pour parvenir à ce dénouement heureux ?
Je pense qu'il y a réellement une «exception tunisienne» par rapport à tout le monde arabe et peut-être même musulman en plus de la conjonction heureuse d'une pluralité de facteurs externes qui a contribué à la réussite du dialogue national. D'abord la place historique de la centrale syndicale en tant que pilier de la société civile et dont le poids pèse considérablement sur les débats publics et politiques. La chance de la Tunisie est que la place de l'armée est occupée par l'UGTT qui a toujours joué un rôle de rempart contre la violence et les dérives de toutes sortes. En deuxième lieu, en Tunisie, la tradition des associations est séculaire. Plusieurs milliers d'associations se déploient actuellement pour défendre le modèle tunisien et dont le rôle a été essentiel en matière de rédaction de la Constitution et de transition démocratique pacifique. Pour ne citer qu'un seul exemple, l'Association tunisienne de droit constitutionnel a joué un rôle important pour améliorer la rédaction et le contenu de la Constitution de 2014. Mais elle n'est pas la seule. Ce serait une erreur que de finir sans citer le rôle de la femme qui constitue une composante essentielle de «l'exception tunisienne». La femme tunisienne n'a pas d'égale dans aucun autre pays arabe. Je pense que c'est la principale porteuse du modèle tunisien de modernité et de modération. Je pense aussi que des facteurs externes ont joué en faveur de la réussite de l'expérience tunisienne. Ainsi, il est important de souligner que la présence de l'islam politique dans les sphères politiques a été accompagnée de violence dans de nombreux pays et constitué un terreau favorable au terrorisme. Il a été aussi incapable de résoudre les problèmes sociétaux des citoyens. De plus, cette option semble lâchée par l'Occident qui ne voit plus en lui une alternative aux dictatures corrompues ni aux pouvoirs autoritaires.
-L'Algérie s'oriente vers une réforme constitutionnelle. La Libye a déjà installé la commission des 60 qui va rédiger la nouvelle Constitution. Comment la nouvelle Constitution tunisienne pourrait-elle inspirer les voisins de la Tunisie ?
Je pense qu'aucun modèle n'est exportable. C'est lapalissade que de dire que chaque pays a ses spécificités. Mais il y a des valeurs universelles. Je pense que le pouvoir, quel qu'il soit, doit être à l'écoute de son peuple. C'est parce qu'elles ne le font pas que les dictatures, ou les pouvoirs autoritaires, disparaissent. A un moment ou un autre, les pouvoirs oublient que sans légitimité, toute autorité est condamnée à dépérir. Même les despotismes éclairés ne peuvent pas être éternellement éclairées. Les pouvoirs ont tout intérêt à s'ouvrir et permettre à l'opposition de s'exprimer au sein d'instances élues et légitimes. Cela désamorce les crises, évitera les frustrations et la violence.
Pour la Libye la situation est nettement plus compliquée par le phénomène du tribalisme, la violence et les armes qui circulent dans tout les pays. Certains pays ont pu concilier entre le tribalisme et une forme de démocratie. Mais on ne sait pas si la Libye peut s'en sortir, même avec une bonne Constitution. Car ce n'est pas un problème de Constitution. De nombreux pays se sont enlisés dans des guerres civiles avec de bonnes Constitutions ! Il faut au préalable pacifier la société. Mais ceci exige beaucoup de sagesse…
-Pour finir, la Tunisie a-t-elle échappé de manière définitive au totalitarisme ?
On n'est jamais prémuni contre l'autoritarisme. Même les sociétés les plus avancées dans la démocratie doivent sans cesse renouveler leurs mécanismes de contre-pouvoir et être vigilantes.
Il ne faut pas croire que la Tunisie est rentrée définitivement dans l'ère de la démocratie. Des retours en arrière sont tout à fait possibles si les véritables problèmes (économiques et sociaux) ne sont pas résolus. De plus, tout dépendra aussi de la manière avec laquelle la Constitution sera appliquée par les nouveaux gouvernants issus de prochaines élections dans les quinze années à venir. La démocratie n'est pas seulement une procédure mais surtout une manière d'être et une culture.
Certes, les principaux protagonistes semblent comprendre que la voie du milieu est la meilleure. Les partis à référence religieuse peuvent-ils comprendre qu'ils doivent cesser de croire qu'ils ont pour mission de changer le mode de vie des gens ? Peuvent-ils devenir des partis politiques ordinaires et ne pas utiliser la religion à des fins de pouvoir ? Je pense que les islamistes tunisiens sont sur la bonne voie, mais ils ont encore un travail profond à faire.
Bio Express
Ferhat Horchani est docteur en droit public. Il enseigne à la faculté de droit et des sciences politiques de Tunis. Il assure la présidence de l'Association tunisienne de droit constitutionnel et est également membre du conseil scientifique de l'Académie internationale de droit constitutionnel.


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