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« La société algérienne n'est pas née le 18 novembre »
Rachid Sidi Boumedine-Sociologue, urbaniste :
Publié dans El Watan le 31 - 12 - 2009

Rachid Sidi Boumedine est sociologue. Il est l'un de nos meilleurs spécialistes de sociologie urbaine. Il est l'auteur de plusieurs études et articles sur les problématiques de la ville et les rapports entre pouvoir et territoires. Dans cet entretien, il examine pour El Watan la portée sociologique de la « campagne de Khartoum ».
Vous avez certainement suivi comme tout le monde le fameux match du 18 novembre, et ceux d'avant. Beaucoup de choses ont été dites par rapport à cette confrontation avec l'Egypte, et surtout, sur l'après 18 novembre. Quels enseignements en tireriez-vous personnellement en tant que sociologue ?
En vérité, le fait de Oum Dourmane est révélateur de beaucoup de choses. Premièrement, il a révélé la capacité de réactivité du pouvoir quand il le veut. Cela veut dire qu'entre le samedi soir et le dimanche matin à 10h, quand M. Bouabdallah a annoncé le pont aérien, des mesures ont été prises. Et donc, quand l'Etat veut, il est capable de faire des choses. D'ailleurs, c'est impressionnant comme démonstration de force militaire. Il y a même un journal israélien (Le Jerusalem Post) qui a fait un commentaire en disant que si les Algériens sont capables d'organiser un transfert de 10 000 supporters en trois jours, c'est inquiétant. Il faut dire que cela ressemble beaucoup à ce qu'ont fait les Américains en Irak. Les Américains ont mis une semaine pour envoyer 5000 hommes.
Deuxièmement, cela montre une volonté en haut lieu de surfer sur la vague. Cela révèle indirectement autre chose, comme par un effet boomerang, car la question qui se pose désormais est de savoir pourquoi l'Etat qui visiblement peut faire donc beaucoup de choses, ne l'a pas fait dans d'autres domaines. Voilà six mois qu'on nous rebat les oreilles avec cette histoire de grippe porcine, et, au final, rien n'est préparé. On nous dit à chaque fois que le métro va être fonctionnel incessamment et toujours rien. Et cela vaut pour un bon nombre de problèmes irrésolus. Force est de se poser, dès lors, la question : est-ce que l'Etat ne « peut » pas ou bien ne « veut » pas agir ? C'est à se demander avec un brin de méchanceté si la destruction de l'économie publique n'a pas été faite sciemment. A croire que le pouvoir se désintéresse totalement de son peuple et que la seule chose qu'il veut, c'est la paix sociale.
Ce qui a motivé le pouvoir à déclencher cette incroyable « opération Khartoum » n'était-ce pas d'une certaine manière, d'après vous, le souci « d'acheter la paix » justement et prévenir une explosion populaire après l'amère défaite du 14 novembre ?
Je ne peux pas deviner. J'analyse simplement le fait Oum Dourmane. Et je dis qu'il a révélé plusieurs choses. Nous avons vu des choses inimaginables, des passeports établis en 24 sinon en 2 heures… Une mobilisation digne d'une grande puissance. On a vu en même temps comment le peuple s'est pris en charge. Et l'ENTV qui va jusqu'à interviewer des Kabyles en kabyle sans doublage ni traduction ! Comme par enchantement, le berbère n'est plus considéré comme une langue étrangère. Elle a révélé, tout comme la presse d'ailleurs, que dans les plus petits recoins d'Algérie, les gens ont partagé la même chose, le même élan ! C'est dire l'esprit de communion qui régnait. Cette allégresse et ce partage montrent qu'à cette occasion le peuple a réalisé qu'il était capable de faire des choses. Remarquez comment trois ou quatre jours avant le match du 14 novembre, les gens étaient très courtois les uns envers les autres et envers les femmes, c'est dire…
On peut parler d'une atmosphère de « fraternité » ?
Oui. Le fait est que les Algériens se sont retrouvés en tant que « chaâb », en tant que peuple dans lequel les uns et les autres se sont reconnus dans leur diversité. C'est la seule explication. Quand ils se sont vus dans les journaux, à la télévision, ils se sont reconnus comme un même peuple. Il leur fallait un signe de ralliement et ils ont choisi le drapeau national qu'ils se sont réapproprié comme symbole partagé. Ils n'ont pas « adhéré » au patriotisme. Le pouvoir parlait d'un élan de patriotisme. Le pouvoir considère le patriotisme comme sa marque déposée, un monopole d'Etat, quelque chose qui serait l'apanage de la « famille révolutionnaire », et si on n'en fait pas partie, on n'est pas un patriote (regardez le cas de Djamila Bouhired). Je suis assez âgé pour vous dire que beaucoup de mes copains de classe et amis sont des chouhada. Jamais l'un d'eux n'aurait imaginé prendre ou voler les droits d'autrui. Aucun d'eux n'a lutté pour la villa et le caviar.
Si aujourd'hui l'un de mes amis surgissait de sa tombe et qu'il voyait son fils habiter une villa et rouler en 4x4, il s'étranglerait sur-le-champ, car il s'est battu pour son peuple, pour la justice, pas pour posséder des biens. Cet amour de la patrie est fortement ancré en nous. Les Algériens n'ont pas rallié brusquement un élan patriotique. Le peuple n'a fait que récupérer l'un de ses symboles. Le drapeau est le sien. Il ne s'est pas rallié à la bannière de l'Etat. Pas au symbole de la légitimité de l'Etat. Il a repris son bien conquis en 1962. S'il trouvait le moyen de se draper avec, de l'incruster dans sa peau, il le ferait. C'est pour cela d'ailleurs que toute cette fête ressemblait tellement à 1962, même si la plupart d'entre eux n'ont pas vécu 1962. Cette prise de conscience du peuple qu'il est un peuple, qu'il est « Le Peuple », a produit un élan énorme à tel point qu'avant même le pont aérien, les gens commençaient à envisager un déplacement par bus pour aller à Khartoum.
Les gens se sont donc mobilisés spontanément, sans attendre la réaction de l'état…
L'état a surfé sur la vague, il a pris le train en marche. Les appareils centraux de l'état sont parfaitement conscients de la nature de ce mouvement populaire. Ils savent pertinemment que ce n'est pas quelque chose de superficiel mais une impulsion profonde. Et cette communion dans la diversité pouvait déjà être observée depuis un certain temps dans les fêtes de mariage par exemple où vous ne pouvez plus trouver une fête sans « zwits rwits », sans raï, sans chaâbi, sans staïfi, sans chaoui, sans hawzi, sans heddaoui… C'est impossible ! C'est dans cette diversité que se reconnaît notre peuple. Alors, quand on vient nous dire que nous ne sommes pas des Arabes… Dezzou maâhoum ! Je ne suis pas seulement « moi », berbère ou je ne sais quoi, je suis « nous ». Pourtant, chacun est comme il est. Je suis Algérien précisément parce que je suis Oranais. En kabyle, ils disent : « ledzeyer thamurth ennegh ». Le Sétifien est d'autant plus Algérien qu'il est staïfi et reconnu comme tel. C'est parce que tu le reconnais comme staïfi que tu reconnais son identité particulière, que, finalement, tu le reconnais comme Algérien. N'ont été ébranlés dans cette polémique sur l'arabité ou la non-arabité de l'Algérie que ceux qui en ont fait un fonds de commerce.
Justement, les commentateurs hostiles du pays du Nil ont largement insisté dans leur campagne sur un leitmotiv, à savoir que « l'Algérie n'est pas arabe ». A partir de là, on a vu diverses personnalités algériennes monter au créneau pour affirmer l'amazighité de l'Algérie…
D'ailleurs, il faut saluer à ce propos la pertinente contribution de Kamel Bouchama et celles de beaucoup d'autres… Personnellement, les prémices de cette reconnaissance de soi-même, moi je l'ai datée des années quatre-vingts. Par la suite, elle s'est forgée à travers plusieurs facteurs. Et dans la conjoncture actuelle, elle est simplement révélée. Il y a donc un changement public des repères culturels.Le régime égyptien a joué son va-tout à l'occasion de ces matches. Quand on connaît la maîtrise qu'a l'Egypte des phénomènes de rue comme ils l'ont montré avec l'encadrement du mouvement « Kifaya » chaque fois qu'il fait une manif', on ne va pas me raconter que des supporters ont échappé à leur contrôle. En tout cas, ils nous ont rendu service en posant le problème de l'identité algérienne. La réponse générale et unanime a été : « Nous ne sommes pas Arabes, et après ? » Autre acquis : aujourd'hui, il se dit publiquement qu'Orascom a bénéficié d'avantages excessifs. A l'époque, c'était un tabou. Pour moi, ce qui est important est que l'ensemble de mon peuple a pris conscience de soi dans sa diversité. Il est utile de relever qu'il a adopté ces jeunes joueurs de l'équipe nationale, et la dimension de notre diversité qu'ils représentent, sans s'occuper de leurs papiers. Ces joueurs qui nous ont brillamment montré que « Yes We Can ! ».
Après le 18/11, pensez-vous qu'il y a quelque chose de fondamentalement changé, en définitive, au sein de la société algérienne ?
Non, la société continuera comme elle est. Elle se sait capable de gagner malgré les insuffisances de ses dirigeants. La grande question est de savoir si le système politique qui contrôle tout, qui verrouille tout, va s'adapter et comment va-t-il évaluer sa propre survie et ses propres intérêts ? Comme sociologue, je ne dois pas émettre de jugements de valeurs…
Cette crise algéro-égyptienne aura mis à nu par ailleurs la pauvreté du paysage audiovisuel algérien et l'incapacité structurelle de l'ENTV à promouvoir notre culture, notre façon de vivre, de parler…
L'ENTV restera de toutes les façons obsolète. Elle aussi, elle vient de perdre 40% de son fonds de commerce basé sur une certaine arabité. Elle ne pourra plus faire de feuilletons à la manière de... Et les speakers de l'Unique ne pourront plus dire « kida ». Elle va être obligée de changer, pas par vertu, mais par nécessité, même si ses ressources ne dépendent pas de ses compétences.
A contrario, on a vu de quoi nos jeunes sont capables sur Youtube et autres canaux Internet.
N'avez-vous pas été épaté par leur fraîcheur, leur imagination débridée, leur créativité ?
Il ne faut pas comparer l'incomparable. Ce génie créatif fait partie de notre société. Ceux qui considèrent cela comme de la culture « underground » se trompent. Ils sont underground par rapport à l'hégémonie culturelle de l'Etat, ils ne le sont pas pour nous. Si je dis à mon fils que cela, c'est de l'« underground », il va se moquer de moi et me dira « c'est toi qui n'es pas à la page ». C'est l'Etat qui a décrété une culture officielle, avec, à la clé, la négation des productions culturelles et intellectuelles qui ne rentrent pas dans son moule. L'ENTV vient de perdre 40 à 60% de son fonds de commerce, en termes de feuilletons, en termes de manière de parler, en termes de modèle… Elle va donc fatalement être obligée de se recycler.
Certains ont parlé de regain de nationalisme en l'opposant à l'intégrisme. Partagez-vous cette lecture ?
N'opposons pas nationalisme à intégrisme, du moins, pas dans ce cas de figure. Au plus fort de ces festivités, personne n'a dit à nos femmes et à nos filles « h'ram, rentrez à la maison », et les islamistes se sont retrouvés penauds. Nous avons vécu une immense allégresse qui avait un air… familial. Et cette même attitude a paralysé la famille révolutionnaire. Cela explique la stupéfaction muette de ces deux courants idéologiques. Par contre, ce qui m'a paru inquiétant, ce sont les dérives chauvines et les expressions de haine qui ont été encouragées. C'est une manière de dévier un courant qui, par ce qu'il recèle d'acceptation des autres, est porteur de tolérance, et ce, dans le but de le récupérer au profit des faux nationalismes qui, en appelant à l'exclusion de l'Autre, font le lit de l'exclusion de catégories de citoyens sous divers prétextes : culturels, sociaux ou religieux. Je rejoins totalement le point de vue exprimé par Mme Khaoula Taleb Ibrahimi, qui, dans vos colonnes, alerte sur les conséquences totalitaires des chauvinismes. Je vous encourage à le relire.
Le surinvestissement sémantique, politique, émotionnel, d'un match de foot, n'est-il pas, dans une certaine mesure, inquiétant à votre avis en ce sens que la société algérienne semble avoir attendu un match de foot pour se débloquer ?
Pas du tout. En dehors de l'affairisme qui touche le monde du football en Algérie, il faut dire que le sport est le secteur le moins contrôlé, parce qu'on croit que celui qui joue avec ses pieds ne sait pas user de sa jugeote. C'est qu'en règle générale, on tient le sport pour une activité apolitique, un champ neutralisé. Mais on prend quand même le soin d'en contrôler les structures et les affaires qu'elles génèrent. Le hasard a voulu que c'est par cet espace qu'est passé le prétexte. Vous savez, une étincelle d'allumette représente un joule en valeur énergétique. Mais cette petite allumette va allumer un bâton de dynamite qui va libérer 10 000 joules. A l'instar de l'allumette, le match n'est que le déclencheur. Le révélateur. Il ne faut pas confondre le révélateur et le révélé. Il a donné l'occasion à des choses qui étaient latentes de s'exprimer.
Au préalable, et de longue date, il y a tout un travail qui a été fait en profondeur. Il est l'œuvre des artistes, des chanteurs, des syndicalistes, de petits trabendistes, des harraga, des émigrés qui ont réussi à l'étranger, et de toutes les composantes de notre société, dans toute leur diversité. S'il n'y avait pas eu tout cela, le combat de la Kabylie, le combat des journalistes, et toutes les autres luttes quotidiennes, la résistance populaire au terrorisme, avec leurs succès et leurs faillites, cet élan observé dernièrement n'aurait pas existé. La société algérienne n'est pas née le 18 novembre 2009. C'est tout ce mouvement souterrain qui constitue le soubassement de la société. S'il n'y avait pas eu toute cette énergie qui s'est exprimée de différentes façons, il n'y aurait pas eu cette liesse paroxystique. Maintenant, la balle est dans le camp du régime pour en tirer toutes les leçons…


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