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Un amour algérien
Publié dans El Watan le 23 - 05 - 2015

Nous pouvons à présent, pour ce qui est de littérature algérienne contemporaine, plurielle sur le plan de la langue et qui doit s'assumer telle quelle, rajouter l'histoire de Salim et de Nina, héros postcoloniaux d'une Algérie nouvelle mais déjà vouée à l'épreuve de sa propre liberté, une Algérie qui finira, dans une fuite en avant insensée vers la dictature et la déroute, par faire renoncer nos deux héros à l'amour, donc à la vie.
Djilali Bencheikh a écrit sur le tard. On peut dire plus précisément qu'il s'est attelé tardivement à l'œuvre littéraire car il écrit en réalité depuis bien longtemps, au moins parce qu'il fut journaliste toute sa vie professionnelle durant. L'écrivain qui sommeillait en lui s'est révélé à 55 ans avec un talent et une efficacité qui en disent long sur sa modestie presque maladive.
Cette modestie inhérente à sa personne le mena à prendre sa plume et à prétendre à la littérature bien plus tard que ce qu'il aurait sans doute pu faire. C'est une certaine «littérature de l'urgence» des années quatre-vingt-dix, ne pouvant le satisfaire tant elle incluait beaucoup de médiocrité, et traitant parfois brutalement et sans talent des drames immédiats de l'Algérie, qui le décida à sortir de son silence littéraire pour publier un premier roman. Celui-ci se révéla d'emblée comme un œuvre majeure.
Jean-Luc Einaudi, historien du 17 octobre 1961 à Paris, à qui j'ai «fait lire» le livre alors, en profita pour en faire part dans la nouvelle édition, aux Presses Universitaires de France, de son essai sur Lisette Vincent intitulé : Un rêve algérien. Einaudi regrettait en effet dans un passage de la postface du livre sur cette institutrice, née en Algérie en 1908, qui s'engagea contre la colonisation et pour l'indépendance de son pays, n'ait pas pu être là pour lire le premier roman de Djilali Bencheikh, car c'est un texte qui sonnait pour lui comme un appel à la réconciliation de l'Algérie avec elle-même.
C'était en 1999 et le roman, publié aux éditions Séguier et situé entre l'autobiographie et l'autofiction, car avec Djilali Bencheikh c'est difficile de savoir, s'intitulait Mon frère ennemi. Il s'agissait en fait d'un premier opus d'une trilogie (jusqu'ici en tout état de cause), celle de Salim, le double de Djilali, un jeune Algérien né au milieu des années quarante dans la vallée de l'oued Chélif qui fait son apprentissage de la vie dans une Algérie soumise à la blessure coloniale ; laquelle blessure la plongera dans une atroce mais nécessaire guerre de libération, puis enfin dans le faux aboutissement d'une indépendance et d'une liberté qui se révéleront comme étant celles de tous les dangers.
C omme les très talentueux écrivains-journalistes Kamel Daoud et Yahia Belaskri, avec respectivement Meursault, contre-enquête aux éditions Barzakh, puis Actes Sud et Les Fils du Jour aux éditions Vents d'ailleurs, et comme le cinéaste Merzak Allouache, pour ne citer que ceux-là, qui ont construit dans la période présente (le film de Merzak Alouache Les Terrasses est sorti d'ailleurs le 29 avril 2015 à Paris) des œuvres importantes, Djilali Bencheikh, lui-même journaliste-écrivain, vient de rajouter à ses écrits, visiblement, et comme les autres, à son corps défendant, une pièce maîtresse d'une grande force, qui revendique et qui raconte une Algérie vraie, complexe mais décomplexée, riche de sa diversité mais poussée dans la tragédie.
Une Algérie que gagnerait à connaître sa jeunesse actuelle et ses commentateurs aveuglés par l'arbre de l'actualité immédiate, qui cache la forêt de l'histoire d'un pays attachant et meurtri s'effondrant tous les jours sous nos yeux, presque dans l'indifférence générale et dans la douleur de ses enfants d'hier ou d'aujourd'hui.
Djilali Bencheikh est un écrivain important en particulier parce que sa littérature est imbriquée dans son vécu et inversement désormais. Après ce premier roman, surgira en 2007 le second volume de Salim, qui signifie à peu près «intact» en arabe, autre roman personnel dont le beau titre, Tes yeux bleus occupent mon esprit, aux éditions Elyzad, évoque de façon directe l'amour et l'éloge de l'autre sexe dans une globalité qui touche le corps et l'âme, une des caractéristiques de l'œuvre de Djilali Bencheikh.
Il se situe dans les années-collège d'un jeune homme brillant, naïf, amoureux, aimant et assoiffé de savoir ; un jeune homme «intact» dans un monde de folie, par opposition à la folie de Salim (Homq salim ou folie intacte) traduction et adaptation algérienne du Journal d'un fou de Gogol par Abdelkader Alloula.
Un jeune homme qui lorsque la guerre d'Algérie pointe à l'horizon, au sortir d'une petite enfance largement racontée dans Mon frère ennemi, tombe amoureux de Françoise, symbole d'une autre France que celle de l'oppression coloniale, fille d'un capitaine de l'armée française pour compliquer le tout, à qui il réussit à faire croire que son père était «journaliste» au lieu du «journalier» qu'il était réellement, et dont les beaux yeux bleus le font mourir d'amour. Un amour déjà ici fantasmé et rendu impossible par la prison de l'Histoire : «Ai-je le droit de l'aimer sans trahir les miens ?.
Avec Nina sur ma route aux éditions Zellige paru en 2015, c'est une certaine mémoire indispensable, nouvelle en littérature, vivifiante et libératrice de l'Algérie, qui s'exprime à nouveau dans le style dense et drôle, léger et intense qui est celui de Djilali Bencheikh. Le décor premier est l'Alger du milieu des années soixante, Salim est un étudiant en économie fier, libre, indépendant et engagé pour son pays, militant au parti communiste algérien, parti interdit mais toléré avant la victoire définitive du «clan d'Oujda» qui écartera Ben Bella du pouvoir.
C'est la fin de cette première période, certes incertaine et imparfaite, de l'histoire de l'Algérie, mais jonchée de soleil, de belles filles et de libération des sens en même temps que du pays, qui nous est racontée là avec force détails : une Algérie comme si nous y étions, un roman où les noms des personnages célèbres sont vrais : Jean-Pierre et Louis Bénisti, Jacqueline Guerroudj, Che Guevara, Houari Boumediene et Ahmed Ben Bella, et puis d'autres encore.
Des personnages tous rencontrés, dans un Alger insoupçonnable aujourd'hui, par le jeune et incandescent Salim, dont le cœur et le corps brûlent de désir, à la recherche de l'amour sincère, d'une femme avec laquelle il faut, il faudra construire l'Algérie nouvelle.
C'est en Tunisie finalement, pays plus petit mais plus ouvert et moins meurtri ou plus ouvert car moins meurtri, lors d'une rencontre officielle entre les jeunes des deux pays, qu'il connaîtra les premiers émois physiques impensables encore pour lui en Algérie, émois qui vont ébranler des interdits séculaires avec la belle et enflammée Nachida qui brûle de sa frustration algérienne : «Nachida reçoit dans l'oreille des mots
réprouvés par trois générations de nos ancêtres». Elle lui fera connaître de vrais plaisirs physiques, mais encore superficiels et peu approfondis.
C'est dans le même temps qu'il rencontrera une jeune femme fragile et aérienne, qui ne répond en rien aux canons habituels de beauté mais qui porte en elle une force mystérieuse, physique et intellectuelle, qui finira par avoir raison définitivement du cœur, puis donc du corps de Salim. C'est ainsi que l'amour de Nina est rentré progressivement mais de manière irréversible dans la vie de Salim : «Toute la semaine, je murmure le prénom de Nina et la caresse en pensée en égrenant les heures et les minutes».
Dans cette Algérie jeune et prometteuse, sous ce soleil magnifique qui fut «à l'origine» de la mort de l'«Arabe» aliéné de Camus dont Kamel Daoud vient de ressusciter la mémoire pour ne pas le laisser mourir deux fois, Salim achève sa formation intellectuelle et amoureuse, l'apprentissage du militantisme semi-clandestin, la rédaction d'un premier article sur une féministe algérienne de la première heure dans le journal de l'Union nationale des étudiants algériens (UNEA) à laquelle il appartient et où il rencontre des personnages emblématiques de cette époque d'ébullition charnelle et intellectuelle et puis les baisers dans une salle obscure faute de mieux et le volcan de l'amour fou comme tous les amours vrais.
La certitude de la possible construction d'un magnifique nouveau monde suivi de la désillusion de la dictature. Voilà ce que nous raconte ce roman d'amour et de vie. Le paradis perdu de l'Algérie, de l'amour, de la construction intellectuelle, de la sexualité que Djilali Bencheikh aborde tout en douceur et sans concession, ce qui fait de lui un précurseur du genre.
De l'altérité, de la fraternité, de la langue française qui est le lieu de la réflexion et un véritable «butin de guerre», selon la conviction et les termes de Kateb Yacine.
La France colonisatrice, ennemie de l'Algérie nouvelle et indépendante, qui s'est construite par opposition, est bien distincte de la France de l'humanisme, des lumières, de la liberté et des valeurs universelles. Et c'est cette France idéale naguère et réelle dans le Paris pré-soixante-huitard, qui va devenir un refuge forcé lorsque «le redressement révolutionnaire» de 1965 rompt la quiétude première de Salim, achevant ainsi d'assouvir en Algérie son besoin charnel, intellectuel et vital de Nina.
Paris sera aussi l'ouverture vers un ailleurs européen, vers d'autres horizons féminins, tel un voyage initiatique, accompagné d'un amour éternel dont la fontaine ne se tarira pas.
Nina sur ma route est avant tout le roman d'une Algérie perdue à jamais et méconnue des générations présentes.
C'est aussi, et dans le prolongement, le roman de l'espérance d'une Algérie inhérente, paradis pourtant possible, mais devenu impossible et fantasmé par la génération qui vécut cet élan de liberté inédit qui succéda à l'indépendance. Une Algérie partie avec les rêves qui firent place à la désillusion, une Algérie touchée, palpée comme le corps jeune et tendre de Nina dans les mains hésitantes de Salim. Une Algérie, un amour perdu qui s'identifie à la passion amoureuse de Salim, avec laquelle il connut un brasier furtif qui le hante : «Je me souviens de toi, je me souviens de tout» seront les derniers mots du roman, faisant formidablement écho aux premiers : «Alger est une fille lascive, envoûtante, surtout à la sortie de l'été».
Une œuvre majeure ainsi qu'un bel hymne à la femme, une très belle histoire d'amour qui préfigure les ténèbres à venir comme un lointain mais audible écho à Amos Oz, dont le lecteur, connaisseur de l'Algérie et de ses tragédies ne peut sortir indemne. Le lecteur néophyte y apprendra à connaître cette Algérie dont nous nous souvenons désormais si peu, coincés que nous sommes à l'intérieur d'une forme d'amnésie collective. Une histoire d'amour d'une rare intensité ancrée dans une nouvelle et toujours riche littérature algérienne, qui pourra panser tant de blessures et donner une raison d'espérer aux nouvelles générations.
Djilali Bencheikh, «Nina sur ma route», roman. Editions Zellige, Paris. 2015.


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