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Pour que l'officialisation de tamazight ne soit pas une énième «diversion identitaire»
Publié dans El Watan le 12 - 01 - 2016

On ne peut que se féliciter d'un tel progrès, quand bien même il se ferait dans un cadre autoritaire, celui de la modification d'une Constitution, elle-même imposée au mépris des règles les plus élémentaires du jeu démocratique.
On ne peut que s'en féliciter parce qu'il s'agit de l'aboutissement d'une longue lutte et, surtout, parce qu'avec cet article 3 bis, une autre politique linguistique est, enfin, théoriquement possible.
Doit-on, cependant, s'en tenir à cette satisfaction et rendre grâce au régime d'avoir été, pour la première fois depuis l'indépendance, à l'initiative de la promotion des langues ancestrales de l'Algérie ? Le régime étant ce qu'il est, c'est-à-dire autoritaire et manipulateur, la question se pose : quel serait le but inavoué recherché derrière la décision d'officialisation du «tamazight» ? L'interrogation est d'autant plus légitime que cette décision a été prise dans un contexte de reflux quasi complet des mobilisations populaires en Kabylie.
Le régime s'est-il persuadé, dans une émouvante et soudaine inspiration, des droits linguistiques des minorités berbérophones ? Non, assurément. Bien qu'elle jette, comme nous l'avons dit, les bases d'une politique linguistique autre que ce bilinguisme officieux et inassumé arabe-français, l'officialisation du «tamazight» n'est pas forcément synonyme de résolution de la «question berbère». Elle ne sera que le début du chemin qui sera long et tortueux si les masses berbérophones organisées n'entrent pas en jeu pour le raccourcir.
Une opération de diversion et de neutralisation des élites kabyles
Maquillées en questions «identitaires» passionnelles, les questions culturelles sont, aux mains des régimes en crise, de redoutables instruments de manipulation des masses. Cela se vérifie jusque dans une vieille démocratie parlementaire comme la France, où, en 2009, nous avons cru rêver en voyant Nicolas Sarkozy et Eric Besson lancer un énième débat byzantin, ledit «débat sur l'identité nationale» française.
En Algérie, les fondements de la domination exercée par le régime sur la société sont secoués par le tarissement des revenus extérieurs de l'Etat, il a naturellement intérêt à focaliser l'attention politique moins sur le nouveau Code des investissements ou la suppression des subventions publiques que sur les prétendues préoccupations «identitaires» des Algériens. La reconnaissance du «tamazight» en tant que langue officielle semble destinée, de ce point de vue, à servir de gigantesque diversion. Les polémiques ont déjà commencé sur son opportunité, voire sa pertinence.
Elles seront nourries par les officines compétentes en matière de pervertissement du débat public, et ce, afin que la réorientation brutale de la politique économique du pays s'opère avec le moins de dégâts possible pour les gouvernants et la camarilla d'affairistes auxquels ils sont plus que jamais acoquinés. L'annonce de la reconnaissance du «tamazight» comme langue officielle semble avoir un autre intérêt pour le régime : la neutralisation, par leur intégration dans l'administration, l'Education nationale, la future académie de la langue berbère…, de nouvelles élites kabyles (je dis bien «kabyles», car ni dans les Aurès ni dans le M'zab la reconnaissance pleine et entière du fait linguistique berbère n'est une revendication de masse).
Tout en étant des concessions au mouvement de boycott de l'école, la création du Haut-commissariat à l'amazighité (HCA) et l'introduction du «tamazight» dans le système scolaire ont servi, en 1995, à mobiliser une partie significative des militants du Mouvement culturel berbère (MCB) pour pourvoir des centaines d'emplois ouverts dans l'Education nationale et au sein du HCA.
Il n'est pas sans signification que la disparition du MCB de la scène politique ait coïncidé avec la naissance de cette instance : après 1995, les mouvements de contestation en Kabylie (les manifestations de 1998 suite à l'assassinat de Matoub Lounès, le Printemps noir de 2001) ont dû se donner des directions relativement nouvelles et inexpérimentées, beaucoup d'«animateurs» du MCB ayant été «neutralisés». La nouvelle opération d'intégration des élites kabyles dans les rouages étatiques permettrait au régime, de surcroît, d'atteindre deux autres objectifs : associer la Kabylie à une unanimité spécieuse sur la nouvelle Constitution, et réduire les risques de radicalisation de la jeunesse kabyle autour de la question linguistique, radicalisation qui pourrait fournir de nouveaux contingents au Mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie (MAK).
Deux batailles à venir pour concrétiser l'officialisation du «tamazight»
Mais, abstraction faite de ces calculs politiciens, le fait est là, têtu : l'Algérie devrait avoir bientôt constitutionnellement deux langues officielles. Ce n'est pas négligeable. Beaucoup d'Algériennes et d'Algériens s'interrogent déjà : l'officialisation du «tamazight» signifiera-t-elle l'«amazighisation» de l'administration, de la justice, etc ? Et si oui, cette «amazighisation» concernera-t-elle les seules régions berbérophones ou bien l'ensemble du territoire ? Ces interrogations, malheureusement, ne peuvent pas recevoir de réponse dans l'immédiat, aucun texte juridique ne définissant ce qu'est précisément une «langue officielle».
Certes, l'officialisation principielle du «tamazight» donnera de puissants arguments aux militants de la «cause berbère», mais elle n'aura de contenu concret que celui qu'ils y mettront, dans un mouvement complémentaire de négociation avec le régime et de pression sur lui. Dans un pays où les amendements constitutionnels sont le passe-temps favori des gouvernants, un article de la Constitution n'a pas… force de loi, aussi paradoxal que cela puisse être.
Le français n'a pas le moindre statut constitutionnel, mais il est la langue d'une partie considérable de l'économie, de l'administration, de l'enseignement et des médias, il est même, semble-t-il, la langue dans laquelle est rédigé le Journal officiel, ce qui, concrètement, signifie que la loi de janvier 1991 «portant généralisation de l'utilisation de la langue arabe» a probablement été élaborée en «langue étrangère» ! Inversement, l'arabe est LA langue officielle de l'Etat depuis 1962, mais il reste exclu de nombre de secteurs dans l'économie, la finance, l'enseignement universitaire…
Ce sont donc les rapports de force politiques sur le terrain qui déterminent les solutions pour les questions culturelles et linguistiques et non pas les professions de foi principielles, fussent-elles constitutionnalisées. Nous en avons eu d'ailleurs la preuve, sept ans durant, entre 1995 et 2002, lorsque le «tamazight» était enseigné alors qu'il n'avait pas encore été élevé dans la Constitution au rang de langue nationale. Les deux batailles à venir devront ainsi porter l'une sur le contenu de la loi organique qui fixera les «modalités d'application de l'article 3 bis», l'autre sur la définition des missions de la future académie de la langue berbère, dont la création est prévue par ce même article. Ces deux batailles seront décisives pour éviter que l'officialisation du «tamazight» ne soit noyée dans un océan d'atermoiements politiciens et bureaucratiques.
De tels atermoiements sont prévisibles. Ils seront justifiés tantôt par la nécessité de tisser un largue consensus entre «experts» sur la standardisation des parlers berbères, tantôt par le coût financier exorbitant de la nouvelle politique linguistique, dans un contexte d'austérité budgétaire…. Sans pressions populaires, ils pourraient durer des années, voire des décennies, à cause des résistances et de la force d'inertie administratives mais aussi du désir des gouvernants de prolonger le plus longtemps possible les polémiques identitaires stériles.
Au vu de son coût financier (des budgets substantiels sont nécessaires pour étendre l'usage du «tamazight» et payer les personnels chargés de sa promotion), mais aussi de la promptitude des courants conservateurs à saisir la moindre occasion pour occuper la scène, la décision d'officialisation du «tamazight» risque de ne pas être tout de suite consensuelle.
Il faut se préparer d'ores et déjà à voir s'entre-déchirer les kabylistes et le reste du monde, les arabistes et les berbéristes (héritiers de la tradition de la défunte académie berbère), les berbéristes et les néo-berbéro-nationalistes du défunt MCB, les berbéristes et les arabistes, et même les arabistes eux-mêmes, lesquels seront partagés entre leur loyauté intéressée envers Abdelaziz Bouteflika et leurs profonds instincts hégémoniques.
Ces affrontements, déjà prévus sinon «programmés», pourraient gravement retarder la concrétisation de l'article 3 bis. Seule l'irruption sur la scène des concernés eux-mêmes, les masses berbérophones, pourrait empêcher qu'ils ne se transforment en une interminable diversion «identitaire». Elle seule pourrait rappeler que le problème est concret et parfaitement définissable (quelles langues reconnaître et promouvoir ?) non pas un brumeux «problème identitaire» (qui est plus «authentique» que l'autre : «l'arabe» ou le «berbère» ?)
Moderniser le kabyle en priorité
Un dernier aspect de l'officialisation annoncée du «tamazight» mérite d'être souligné, car il pourrait fournir une justification en or aux atermoiements officiels. L'article 3 bis stipule : «L'Etat œuvre à sa promotion et à son développement dans toutes ses variétés linguistiques en usage sur le territoire national».
Or, ce n'est plus un secret pour personne que la reconnaissance pleine et entière du particularisme berbère n'est une revendication de masse qu'en Kabylie et que le travail pour la promotion des langues berbères est le fait d'élites principalement kabyles. C'est probablement la seule chose sur laquelle a raison le MAK, dont le discours, en matière de simplisme, n'a rien à envier aux discours arabistes, islamistes… En d'autres termes, il n'y a qu'en Kabylie que l'officialisation envisagée du «tamazight» a une chance substantielle de porter rapidement ses fruits.
Cette chance historique pour le kabyle — et, à travers le kabyle, pour les autres langues berbères — de quitter le ghetto de la communication orale et familière pourrait être hypothéquée par la volonté — qu'elle soit sincère ou factice — de promouvoir le «tamazight dans toutes ses variétés». De plus, sur un plan strictement linguistique, dans un contexte de faiblesse incontestable du sentiment pan-berbère, l'aménagement d'une langue unique pour tous les berbérophones algériens (ce «tamazight standard» tant rêvé) risque de déboucher sur un quasi-espéranto amazigh, qui ne serait la langue naturelle de personne, créant ainsi une situation de diglossie dont le monde berbérophone se passerait bien.
Une telle situation diglossique, si elle peut satisfaire l'ego d'«experts» attachés à la création en laboratoire d'une «amazighiya fusha», ne servira pas le projet de sauvegarde des langues berbères réelles, menacées par l'extension de l'usage de l'arabe dialectal (et non pas par l'arabe fusha, et ce, contrairement à une opinion aussi fausse que répandue). Les inconvénients de cette diglossie berbère seraient d'ailleurs plus nombreux que ceux de la — présumée — diglossie arabe.
A force d'être employé dans des domaines divers et variés, l'arabe possède nombre de registres linguistiques intermédiaires entre le fusha et le pur dialectal, ce ne pourrait être le cas pour le «tamazight» avant plusieurs décennies d'usage généralisé et intensif.
Il serait donc plus indiqué de se concentrer sur la modernisation du kabyle : si elle réussit — et elle a des chances de se couronner de succès pourvu qu'elle s'en donne les moyens financiers et humains — elle servira de modèle pour les autres langues berbères (chaoui, mozabite, etc.).
«Mais allons-nous avoir plusieurs langues berbères ?», objecteront les sceptiques.
«Oui, et alors !» devrait-on rétorquer. D'abord, il faut sortir du culte de l'unicité linguistique, reflet sournois de l'unicité politique, idéologique et religieuse, qui n'épargne pas plus le monde berbère que le monde arabe ; ensuite, les parlers berbères sont divergents les uns des autres — et depuis de longs siècles probablement — si bien que faute d'un fort sentiment pan-berbère, leur unification ne se fera qu'au prix de leur désincarnation en une supra-langue standard ; enfin, la reconnaissance à la Kabylie d'une seconde langue officielle, le kabyle, ne signifie pas que cette région va quitter la maison Algérie, ni qu'elle doit avoir ce statut d'autonomie politique revendiqué par le MAK.
Elle signifie simplement la reconnaissance d'une évidence : c'est dans cette région que le «tamazight» a le plus d'atouts pour renaître sous forme de langue moderne.
Quand on se soucie des langues berbères comme d'un patrimoine en voie de déperdition, le but devrait être leur sauvegarde dans leur diversité et non pas leur unification autoritaire rien que pour doter les Berbères d'une fusha aussi pure qu'inutile. Quant à l'unité nationale, ce sont la justice, l'égalité sociale et la démocratie qui devraient lui servir de bouclier et non la multiplication des langues uniques officielles. Si elle est aujourd'hui menacée, c'est par l'injustice, la prédation débridée et l'autoritarisme et non par la diversité linguistique naturelle de l'Algérie.

* Yassine Temlali est journaliste, traducteur et chercheur en histoire et en linguistique. Il est l'auteur de La genèse de la Kabylie. Aux origines de l'affirmation berbère en Algérie (1830-1962) et de Algérie. Chroniques ciné-littéraires de deux guerres (Barzakh, Alger : 2011). Il a participé à plusieurs ouvrages collectifs, dont L'histoire de l'Algérie à la période coloniale : 1930-1962 (Alger : Barzakh/Paris : La Découverte, 2012).
Note :
1) Nous écrivons «tamazight» entre guillemets parce qu'il s'agit d'un objet théorique, qui n'a encore aucune existence réelle. Ce qui existe réellement, ce sont les langues berbères (kabyle, chaoui, mozabite, chleuh, rifain…). L'existence dans un passé lointain d'un berbère originel,
duquel auraient dérivé les langues berbères actuelles, n'est rien d'autre, pour l'instant, qu'une hypothèse de travail pour les linguistes.


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