«Et le site créa la ville.» André Ravereau Encore et toujours d'actualité, la Cité Antique a suscité un intérêt majeur à travers une laborieuse conférence internationale de trois journées, qui s'est déroulée du 21 au 23 janvier 2018, à l'hôtel El Aurassi. Cette rencontre, organisée par le ministère de la Culture, en collaboration, avec l'Unesco, grâce à la persévérance soutenue de Mme Hada El Hassan, chef de l'Unité des Etats arabes, au Centre du patrimoine mondial de cette instance internationale, et à la précieuse contribution du Japon, s'est révélée très instructive, féconde et fructueuse, par une nouvelle vision plus pragmatique enrichie en cela par une approche méthodologique d'expériences, de réhabilitation, de restauration et de conservation de villes et centres historiques. Une synthèse scientifiquement et pédagogiquement développée par des experts et spécialistes en la matière, de plusieurs pays d'implantation de lieux potentiels de patrimoine, notamment les villes de Rio de Janeiro (Brésil), Turin et Bari (Italie), El Qods (Palestine), La Havane (Cuba), Barcelone (Espagne) et Tunis (Tunisie). Celle-ci a été clôturée avec l'exhortation insistante du ministre de la Culture, Azzedine Mihoubi, de conjuguer tous les efforts afin, selon sa propre expression, de gagner la «Bataille de La Casbah» qui, a-t-il martelé, est l'âme existentielle d'Alger la Blanche. Il a, en la circonstance, affirmé en primeur, la détermination du gouvernement à accomplir avec abnégation et succès, cette noble mission conformément aux instructions du président de la République et aux normes définies par l'Unesco avec l'annonce explicite de mesures prioritaires parmi lesquelles la création d'un Conseil scientifique au sein du Centre national de recherches anthropologiques et d'une Agence unique consacrée à La Casbah d'Alger. Lui succédant, le wali d'Alger a, énergiquement, conforté cette irréversible option, par l'affirmation solennelle de l'intégration de la Vieille Ville au plan global du réaménagement de la capitale pour en constituer, à ce titre, la priorité absolue de ce projet futuriste de la légendaire El Bahdja, qui sera ainsi érigée en une véritable et prestigieuse mégapole de la Méditerranée au souvenir de ses proverbiales splendeurs d'antan. Une initiative et une démarche de renouveau Avec la présentation des expériences mondiales de réhabilitation et de revitalisation des centres historiques et de leur valorisation, il est apparu des modèles d'inspiration à méditer, notamment par les prouesses conceptuelles d'intervention dans les villes précédemment citées. Ceci avec une démonstration didactique illustrée par l'image quant à l'attachement viscéral des populations à leur patrimoine matériel et immatériel qui incarne leur substrat fondamental socioculturel et identitaire à préserver, à conserver et à pérenniser à travers les cycles des âges et du temps. Une heureuse symbolique de similitude avec notre Cité Antique appelée jadis «El Mahroussa», «La Protégée ou la Bien Gardée», qui est un legs civilisationnel ancestral immortalisé à travers ses vestiges et ses repères plurimillénaires de culture, d'art et de résistance à transmettre aux générations montantes, un devoir impérieux à l'endroit de celles-ci qui sont les dépositaires exclusives de droit, chargées de la pérennisation et de la fertilisation de la mémoire collective au perpétuel ressourcement de l'histoire. Avec le Penseur d'érudition Abderrahmane Djillali au ressourcement de la mémoire de la Casbah Dans ce contexte, et à ce propos, il est à rappeler également, une mémorable recommandation et conseil de l'éminent «faqih» Cheikh Abderrahmane Djillali, un enfant de La Casbah et ami de notre association, qui lors d'une inoubliable rencontre en son domicile, avec quelques membres de celle-ci, nous a savamment persuadés de valoriser les repères symboliques de culture et de savoir de la Cité Antique. Et d'ajouter en ces termes : «La Casbah est le creuset de la mémoire collective d'une civilisation plurimillénaire dont il faut redécouvrir les vestiges à éterniser pour le rayonnement d'un fabuleux patrimoine de l'humanité entière». Et en la circonstance, de ressusciter le souvenir de celui qui fut son maître à penser, le vénérable savant d'exégèse et de rhétorique de grande érudition d'universalité, le Cheikh Abdelhalim Bensmaia, fils de souche et de lignée natale de La Casbah qui altier a sillonné les rues et ruelles de celle-ci sur sa monture quotidienne, un cheval d'orgueil blanc superbement harnaché et devenu une mascotte des Casbadji, au désarroi des autorités colonialistes médusées par un affront de résistance culturel et identitaire aux relents nationalistes. Pour illustrer les richesses plurielles de ce patrimoine, nous évoquerons une épopée historique de La Casbah d'Alger qui fut une forteresse stratégique de la guérilla urbaine et de la résistance pendant la guerre de libération, génialement immortalisée par le film phare «La Bataille d'Alger» de Yacef Saadi et du célèbre réalisateur Italien Gilles Pontecorvo, un classique cinématographique de réputation mondiale toujours d'actualité car régulièrement projeté avec le même succès retentissant dans le monde et essentiellement en Europe. Aux crimes dévastateurs de l'OAS, l'aile protectrice d'El Mahroussa Aussi, nous tenterons de ressusciter de l'oubli un épisode d'humanisme, de solidarité et de fraternité, à une période charnière de l'histoire où, adolescents à l'époque, nous avions vécu en une circonstance particulière de péril, un véritable exode massif d'Algériens habitant des quartiers de population européenne, fuir dans l'affolement et la panique les massacres et exactions commis quotidiennement par la criminelle et sinistre organisation de l'armée secrète OAS. Avec des habitations plastiquées, des assassinats collectifs à vue et une chasse systématique au faciès arabe, ce fut un véritable carnage qui était ainsi sauvagement et continuellement perpétré contre la population civile avec la complicité assassine de l'armée et de la police françaises. Des familles entières, femmes, hommes, vieillards malades, enfants et bébés ont trouvé refuge dans une Casbah meurtrie par la guerre et surpeuplée à l'étouffement. Celle-ci les a accueillis à bras ouverts, avec ses habitants solidairement chaleureux pour partager ensemble le gîte de la fraternité de destin, dans la continuité de la longue résistance des années de braise de la répression colonialiste, sous l'aile traditionnellement protectrice d'El Mahroussa. Un souvenir marquant et poignant qui doit sceller affectivement des liens humains avec des lieux de mémoire et d'épopées de légende, à perpétuer en direction de la jeunesse et des générations futures. Voilà une fructueuse rencontre de spécialistes férus de patrimoine, venus de plusieurs continents afin d'échanger des expériences et un savoir-faire avec leurs collègues et amis algériens en vue de concentrer une synergie accrue pour la restauration de la trame urbaine de La Casbah d'Alger ainsi que la revitalisation active de ses segments socioéconomiques, en adéquation avec son statut privilégié de patrimoine naturel mondial de l'humanité. Une concertation pragmatique et scientifique qui a insufflé un élan novateur d'espoir empreint de volonté et de motivation collective, qui seront le fer de lance pour la restauration et la revitalisation de la Médina, à travers trois facteurs potentiellement décisifs et déterminants: En premier lieu, la volonté d'engouement politique du Gouvernement, traduite par l'affirmation officielle et réconfortante du ministre de la Culture et matérialisée par la création d'une Agence unique pluridisciplinaire dotée d'un Conseil scientifique, consacrée à la Casbah. Ensuite, l'intégration vitale de la restauration de la Casbah dans le plan global de réaménagement annoncé et entériné par le wali d'Alger, dont l'œuvre de modernisation et d'embellissement d'El Bahdja est quotidiennement perceptible, à la grande satisfaction des citoyens et visiteurs, admiratifs devant l'harmonie des ouvrages d'art et d'esthétique réalisés pour la valorisation patrimoniale de la ville historique d'Alger. Une innovation d'envergure planifiée a l'horizon 2030 et préalablement précédée quelques années auparavant, par une éradication salutaire d'une bidonvillisation sauvage, galopante et inquiétante qui ceinturait périlleusement Alger et dont les tentacules menaçaient organiquement l'urbanité et la citadinité civilisationnelle d'El Djazaïr. Cette conférence internationale sur la réhabilitation et la revitalisation de la Casbah d'Alger constitue un événement majeur qui, en recentrant la problématique de la Cité Antique, a inauguré une nouvelle approche pragmatique par l'échange d'expériences avec les différents pays de la planète, dont les experts présents ont brillamment développé toutes les démarches scientifiques qui ont abouti à la restauration de nombreuses villes et cités historiques dans le monde avec une constante immuable d'intégrer la gestion urbaine à la protection et à la valorisation du patrimoine. Il ressort de toutes ces expériences qu'il n'existe pas de modèle standard universel applicable à tout contexte, mais des paramètres conducteurs, susceptibles d'adaptation aux besoins spécifiques de chaque site patrimonial. Par contre, il est apparu un point commun à toutes les expériences débattues qui est celui de l'indispensable, incontournable et déterminante participation effective citoyenne de la société civile et du mouvement associatif, à l'exemple de référence de l'Association de sauvegarde du patrimoine de la Médina de Tunis. Dans le cadre de cet élan prometteur de renouveau, nous rappellerons un fait notable que nous avions observé dans les principales rues et artères de La Casbah qui se traduit par l'apparition répandue de fresques picturales esthétiques exécutées par de jeunes habitants de la Medina. Une expression d'attachement pour la revitalisation des lieux de celle-ci à travers une symbolique d'illustration de ces messages affectifs très forts à décrypter dans l'univers des aspirations juvéniles. Ainsi, toutes les conditions se trouvent aujourd'hui réunies pour une relance urgente de l'exécution du plan de réhabilitation de La Casbah avec une vision novatrice de débureaucratisation de la gestion du dossier, au profit d'un pragmatisme constructif en symbiose avec la réalité de l'état des lieux de la Vieille Ville. Avec la longue expérience de terrain du ministère de la Culture à travers ses structures respectives, l'Office de gestion et d'exploitation des biens culturels protégés — OGEBC — et l'Agence nationale des secteurs sauvegardés qui doit être capitalisée dans la perspective du plan d'action de renouveau de la wilaya d'Alger consolidé par un accompagnement citoyen à toutes les étapes successives de sa concrétisation, la tendance oscille, objectivement vers l'optimisme d'une véritable victoire de «La Bataille de La Casbah» tant attendue. Pour une Casbah vivante et non muséale avec son tissu urbain et socioéconomique Le projet sociétal de La Casbah s'articulera autour de segments d'une cité vivante et non muséale avec ses habitants, et ce, à travers son tissu urbain et socioéconomique enrichi par son artisanat, ses métiers et ses commerces harmonieusement intégrés dans un environnement culturel et civilisationnel de vestiges d'histoire et de mémoire de lieux d'un site multiséculaire d'ancestralité. L'heureuse simultanéité de la tenue de ce conclave international avec l'achèvement d'une splendide restauration de la Mosquée Ketchaoua et l'ouverture du site archéologique de La Casbah souterraine à la mythique Place des Martyrs, illuminée par les faisceaux d'un fabuleux gisement archéologique fabuleux d'histoire plurimillénaire de l'humanité, augure également, dans la symbolique, d'un présage salvateur pour la Cité Antique qui s'érigera en un véritable pôle touristique de rayonnement culturel dans son incarnation d'âme expressive du patrimoine historique et civilisationnel d'El Djazaïr. Enfin, la tenue de cette conférence internationale sur la Vieille Ville a également constitué une plate- forme d'échanges et de débats ou l'étymologie toponymique de la dénomination Casbah a été soulevée par certains participants intéressés par ce chapitre récurrent, insuffisamment développé et méconnu de larges couches de l'opinion publique. Ainsi un des intervenants a affirmé que le nom Casbah est une appellation attribuée par l'occupant français. A cela nous tenons à préciser selon nos modestes connaissances que le nom Casbah n'a point de connotation coloniale et encore moins de paternité avec celle-ci, mais remonte aux temps immémoriaux de l'histoire dont la popularité traditionnelle et générationnelle de son nom, est antérieure à l'invasion française. Ce que confirme l'approche anthropologique qui révèle que le nom d'origine berbère Taksebt qui, par traduction explicite, veut dire un indicatif de relief imprenable pour les risques de pénétration étrangères. Un lien qui semble ainsi apparenté dans la symbolique avec le nom Casbah illustrée par ses célèbres fortifications séculairement protectrices et infranchissables par l'ennemi. Par ailleurs, d'autres versions convergeant dans le même sens sont apparues en relation de la sémantique de stratégie, de défense et de fortifications en analogie avec le toponyme Casbah, ainsi éternisé par sa Vieille Citadelle. Une opportunité judicieusement d'actualité à la faveur du Plan de réhabilitation et de revitalisation de la Cité Antique à travers son histoire pour l'initiative d'un large et fécond débat instructif à dessein de découvrir l'exactitude anthropologique de l'origine du toponyme Casbah.
Par Lounis Aït Aoudia Président de l'association Les Amis de la rampe Louni Arezki Casbah