Le système éducatif algérien alimente beaucoup de débats et surtout se débat dans une crise qu'aucun programme politique ne peut restaurer. Et pour cause : au menu de l'instruction manque l'essentiel : l'appétence intellectuelle, par manque de goût à la vie, généré par le climat social dépressif et l'environnement économique récessif. Or, depuis plusieurs décennies, elle est également infectée par l'islamisme, contaminée par la bigoterie, corrompue par la pensée archaïque, travaillée par la régression sociale et intellectuelle, après avoir vécu un âge d'or de la rationalité introduite par la Révolution d'Atatürk. A contrario, la langue hébraïque nous administre la preuve de la primauté de l'économie sur les gesticulations politiques et artifices académiques linguistiques. L'hébreu fut des siècles durant la langue rituelle et liturgique de la religion juive. La langue hébraïque était devenue une langue exclusivement religieuse utilisée pour le culte, quasiment en voie de disparition. Or, depuis la création de l'Etat colonial d'Israël, grâce au développement prodigieux de son économie, l'hébreu a su se moderniser au point de se hisser en langue scientifique. C'est la formidable puissance de l'économie qui a permis d'accomplir cette révolution linguistique. Aucun décret ni loi constitutionnelle ne peuvent transformer une langue « domestique » ou « morte » en langue dynamique et scientifique. Aucune réforme ne peut révolutionner une langue sans transformation radicale de la société, sans modernisation de l'économie. Sans conteste, la langue, en fonction de son contenu philosophique et politique et des forces économiques qui la portent, peut se révéler réactionnaire ou révolutionnaire. Il y a des Algériens intégralement arabisants, pourtant extrêmement cultivés et politiquement révolutionnaires. Comme il existe des Algériens francophones, pourtant dramatiquement incultes et politiquement réactionnaires. Voire fascistes. Une langue peut connaître des temps de gloire, puis subir des déboires. La preuve par la France. La France, pays des Lumières, dotée d'une langue lumineuse, aujourd'hui sombre dans la médiocrité. Son système scolaire est en faillite. Sa population verse dans l'obscurantisme politique, l'intégrisme populiste. Son Etat, dans le racisme institutionnel et le bellicisme velléitaire (elle n'a même pas les moyens de ses ambitions militaires, cette France grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf). Ce n'est pas la langue qui génère les bêtes immondes, mais la décadence économique du moment qui les produits. La langue française, hier langue des révolutionnaires, est devenue l'idiome des réactionnaires. Hier langue du Progrès, elle est devenue parlure de la régression. Pour revenir à l'Algérie, certes, quantitativement, elle a accompli une véritable révolution en permettant à 100% de ses enfants d'être scolarisés, mais, qualitativement, le résultat est malheureusement catastrophique. L'Algérie n'éduque pas, elle endoctrine, elle « salafise ». De là provient l'échec scolaire de nombreux élèves qui décrochent précocement du système éducatif. Sans omettre la dramatique baisse du niveau scolaire. Ainsi que le soulignent les auteurs du Manifeste : « Et c'est bien ce dont souffre notre pays : autant sa population scolarisée est impressionnante par son nombre, grâce aux efforts financiers colossaux consentis par l'Etat national, autant sa formation est médiocre et son expression linguistique d'une intolérable indigence ». La sécularisation de l'enseignement, objectivée par la rationalisation des contenus scolaires, est fondamentale afin de former des élèves libres dotés d'un esprit critique. Dans tous les pays modernes, la distinction entre la raison et la foi dans le curriculum scolaire est inscrite dans le système éducatif. À l'instar des pays développés de « culture chrétienne », dans le sillage de la politique de séparation entre « l'Etat et l'église », l'Algérie doit procéder à la séparation entre croyances religieuses et sciences. Cette rationalisation des contenus scolaires doit devenir obligatoire. La science est par essence sécularisée. Elle s'exerce dans le champ d'investigation du réel avec des règles méthodologiques spécifiques, inhérentes à sa démarche de construction rationnelle et à ses finalités de recherche fondée sur l'observation et l'expérimentation. Elle est totalement autonome des dogmes religieux qui ressortissent de la croyance bâtie sur des vérités éternelles indiscutées et indiscutables, inscrites dans une conception séculaire de la primauté de la foi sur la raison. Dès lors que les valeurs humaines s'inspirent de la religion, fondée sur le mystère, l'individu inséré dans une telle société corsetée par la religion doit impérativement se plier devant ce mystère insondable, et donc renoncer à utiliser son intelligence pour explorer les fondements de l'univers et de la société. Nul doute, un enseignement focalisé sur l'apprentissage des matières religieuses, par essence figées, est incapable de répondre aux besoins d'une éducation rationnelle contrainte de s'adapter aux mutations sociétales et scientifiques de notre époque moderne en perpétuelles transformations. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que l'économie algérienne n'intègre pas dans le procès de production toujours aussi atone. Toute une jeunesse, souvent fortement diplômée, parvenue à l'âge d'entrer dans la vie active, demeure exclue du marché du travail lilliputien, et vit en marge de la société, sans perspective d'insertion professionnelle. Prisonniers d'une société encore archaïque incapable d'accomplir la transition vers la modernité, étouffés par un enseignement médiocre assaisonné de religiosité islamique, les jeunes algériens ne trouvent pas d'opportunités d'épanouissement de leurs facultés intellectuelles, et finissent par démissionner de la vie et sombrer dans l'anomie. En réalité, on ne peut réformer le système éducatif algérien sans révolutionner préalablement les structures sociales archaïques sur lesquelles repose l'enseignement. On ne bâtit pas une pédagogie moderne dans une société encore prisonnière de mœurs conservatrices, séquestrée par la religion. En particulier, quand la langue arabe est érigée en langue sacrée par la religion islamique, quand elle est consubstantiellement incorporée à l'islam, à qui elle sert de servante de sa pensée théologique, de vectrice exclusive de l'apprentissage coranique, quand l'islam est déclaré religion d'Etat, enseigné obligatoirement à l'école. Quoi qu'il en soit, on ne peut moderniser la langue arabe dans une société dépourvue d'une économie productive, un pays à l'économie fondamentalement rentière. C'est le développement économique qui soutient et promeut la langue, non l'inverse. Ce n'est pas l'esprit qui guide le monde. C'est le monde concret qui façonne l'esprit. Ce n'est pas la conscience qui détermine l'être, c'est l'être social qui détermine la conscience. Ce n'est pas la langue qui développe l'économie, c'est l'économie qui dynamise la langue. À économie sous-développée, langue sous-développée. À la vérité, la langue arabe est victime et de l'instrumentalisation opérée par les islamistes qui l'ont dégradée en un exclusif idiome religieux inquisitorial et belliqueux, et de l'incurie des successifs pouvoirs monolithiques qui lui a amputé ses capacités d'expression scientifique évolutive faute d'investissements productifs et de progrès économique. Aujourd'hui, il faut redonner à l'arabe ses lettres de noblesse, pour renouer avec la noblesse des lettres arabes, « revenir à la langue arabe classique, qu'il soit entendu qu'elle n'a rien de sacré et n'a nul besoin d'être sacralisée pour être appréciée et aimée », comme l'écrivent les auteurs du texte « Sauver l'école ». « Cette langue technique, avant d'être l'expression caractéristique du Coran, fut celle des poètes-rhéteurs, des orateurs, des devins et des prêtres du paganisme arabe », précisent les auteurs. Pour ce faire, il faut « scientifiser » la langue arabe par la purgation de ses archaïsmes religieux. La langue arabe dispose de potentialités remarquables en matière d'enseignement, mais malencontreusement obérées par la prégnance du contenu religieux islamique envahissant et invalidant. Dans la situation de l'Algérie, doublement pénalisée, et par le sous-développement économique et par le poids écrasant de la religion islamique salafiste, toute modernisation de la langue arabe est illusoire sans réformes structurelles pédagogiques et transformation sociale et économique. Pour accomplir la modernisation de l'école algérienne, l'Algérie doit réaliser une double révolution. D'une part, se soustraire au plan de l'Education Nationale de l'emprise délétère de la religion afin d'expurger l'enseignement de ses scories islamiques salafistes « pour former de futurs citoyens libres, capables et perspicaces dans leur jugement et leur prise de décision ». Comme l'écrivent les auteurs du manifeste : « Il est du devoir de la nation de l'arracher à l'hégémonie du néo-salafisme qui la gangrène depuis des décennies ». D'autre part, transformer radicalement l'économie par l'impulsion d'un modèle de développement industriel novateur, « pour gagner la bataille de la production », source d'enrichissement économique mais aussi gage d'optimisation du système éducatif, et, par voie de conséquence, de perfectionnement scolaire des élèves algériens. Tout le reste, n'est que Littérature ! Dans notre pays plongé dans les ténèbres de l'arriération économique, le désarroi social et la détresse psychologique, certes les vieilles bougies de la religion peuvent réconforter, mais il nous faut surtout allumer les projecteurs modernes de la Connaissance scientifique, vectrice du progrès, pour s'extraire enfin du ténébreux tunnel obscurantiste pédagogique islamique, creusé par le sous-développement économique, encouragé depuis l'indépendance par les successifs pouvoirs monolithiques ennemis de la Raison raisonnante, fossoyeurs de l'esprit libre, de la pensée dissidente et de la critique radicale. A suivre….