Abdelaziz Bouteflika – qui à 82 ans briguera de manière insensée un 5e mandat présidentiel en avril prochain – n'a pas toujours été ce vieillard grabataire manifestement incapable de diriger son pays», ainsi commence l'article de la journaliste Céline Lussato, «Bouteflika, les archives secrètes» dans L'Obs de ce jeudi. «Dans les années 1960 et 1970, alors ministre des Affaires étrangères de la jeune Algérie révolutionnaire, il était l'un des personnages les plus en vue de la scène internationale. Les plus espionnés aussi. Surtout par les services de renseignement et les diplomates français, dont L'Obs a étudié les notes, certaines déclassifiées à notre demande», ajoute la journaliste. Et un peu plus loin : «C'est en Machiavel imbu de lui-même et corrompu que ces archives dépeignent celui qui, en 1963, prend la tête de la diplomatie algérienne, à 26 ans seulement : un ‘‘personnage dénué de scrupules, doté d'une intelligence aiguë et d'une très grande ambition, capable de risquer sa mise sur un seul coup''. Quel contraste avec l'homme qu'il est devenu ! Et pourtant quel écho au temps présent dans ces documents historiques : coups bas, manigances, huis clos insondable au sommet de l'Etat, soupçons d'enrichissement personnel…. comme si rien ou presque n'avait changé»… «Alors que le Sdece, l'ancêtre de la DGSE, connaît les moindres détails biographiques des grands leaders de la guerre d'indépendance, ils ignorent presque tout de celui qui occupera la scène politique algérienne durant les soixante années suivantes… Quand il devient ministre, ils n'ont même pas de photo de lui. Mais, très vite, les agents se renseignent sur ‘‘ce jeune homme frêle et fluet''». «…‘‘Esprit subtil et plein d'entregent, c'est un négociateur retors.'' Il apparaît rapidement comme un grand manipulateur, épris de pouvoir. L'homme de tous les complots. Et d'abord du plus célèbre d'entre eux, qui renverse, le 19 juin 1965, le premier président de l'Algérie indépendante, Ahmed Ben Bella, dont le très jeune ministre est, selon Paris, le véritable instigateur.»… «L'ambitieux ne s'arrête pas à ce coup d'éclat. Dans les tortueux arcanes du pouvoir algérien, Abdelaziz Bouteflika réussit à éliminer tous ses rivaux. Y compris, selon les Français, l'épouse du nouveau chef de l'Etat.» «Cette dernière, lit-on dans une note du Quai d'Orsay du 7 octobre 1974, portait ombrage à ceux qui, comme le ministre des Affaires étrangères, avaient jusque-là l'exclusivité de l'accès direct auprès de Houari Boumediène»… Comment s'y est-il pris pour éliminer cette épouse ? En menaçant de salir sa réputation grâce aux réseaux diplomatiques qu'il contrôle… Il y a peut-être plus grave. Plusieurs assassinats politiques ordonnés à Alger ont été orchestrés dans les ambassades. Ainsi, le 18 octobre 1970, le héros de l'indépendance devenu opposant, Krim Belkacem, est victime à Francfort d'un complot planifié, selon le Sdece, par l'attaché militaire de l'ambassade d'Algérie à Paris. Le ministre était-il derrière ? A-t-il couvert ? «En tout cas, l'homme cherche à imposer le respect. Il tient aux manifestations de déférence, aime, découvre-t-on au fil des archives, être courtisé, flatté. ‘‘Extrêmement sensible aux égards et très susceptible'', ‘‘il aime la publicité'', peut-on lire dans un document de préparation du voyage officiel du ministre à Paris en 1974». «En pleine guerre froide, et alors que Moscou courtise ce leader des non-alignés, Paris pense avoir trouvé un allié de poids en la personne de Abdelaziz Bouteflika à qui on reconnaît alors un statut de ‘‘second personnage du régime''. Lui-même n'hésite pas à souligner lors d'un entretien avec le ministre Louis de Guiringaud qu'il continue, ‘‘comme tous les Algériens, à considérer l'Algérie comme la fille spirituelle de la France.''» … «Son mentor, le président Boumediène, ‘‘a lui-même donné des ordres pour (qu'il soit) surveillé.'' Un espionnage qui ‘‘a surtout pour but de recueillir des éléments sur les écarts de mœurs''. La réputation de séducteur du ministre est notoire. On lui prêtera même une idylle avec la comédienne Jean Seberg. Pendant des années, rien ne semble pouvoir l'atteindre». Quelle serait la réaction de Abdelaziz Bouteflika aux services de renseignement et du Quai d'Orsay qui ont ouvert leurs archives à L'Obs, lui qui ne s'exprime plus oralement ? De ses proches ? – «Un printemps… qui suscite admiration, espoir et anxiété» Dans une chronique ayant pour titre «Un printemps à Alger», le journaliste Pierre Haski note qu'«il flotte un parfum de printemps, en cette fin février 2019, en Algérie. Un printemps qui redonne vie à un peuple que l'on disait résigné face à l'impossibilité du changement, tétanisé par le souvenir des ‘‘années de plomb'' qui, il y a plus de deux décennies, avaient fait quelque 200 000 morts.»Et aussi : «Les Algériens connaissent bien sûr tous les risques, les démons de leur propre pays, les logiques inhérentes aux ‘‘printemps'' qui tournent court, ou qui passent trop vite à l'hiver'' ; et c'est justement parce qu'ils savent tout ça qu'ils sont si fiers d'avoir eu l'audace de descendre dans la rue pour dire non.» Et de conclure : «Personne n'attendait ce ‘‘printemps arabe'' à retardement, qui suscite admiration, espoir et anxiété.» N. B.