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Massacres du 8 mai 1945 : Retour sur un complot à huis clos
Publié dans El Watan le 08 - 05 - 2010

Soixante-cinq ans après, les massacres du 8 Mai 1945 perpétrés à huis clos à Sétif, Guelma et Kherrata n'ont toujours pas livré tous leurs secrets. Enquêtant depuis des années sur un sujet encore et toujours d'actualité, d'autant plus qu'il est l'un des points de discorde entre l'Algérie et la France allergique à toute idée de repentance, El Watan livre en exclusivité des faits publiés pour la première fois.
Tant d'erreurs et de contrevérités ont été rapportées à propos de la milice, des exactions sommaires, des fosses communes, du supplice de collégiens, du massacre des populations des douars, du porteur de l'emblème national et d'autres faits ayant porté un sacré coup à l'historiographie de ces douloureux événements …
Belkhired et la balle tirée du balcon
Parti la veille à Alger où il s'était réfugié pendant une année, Hacène Belkhired, le chef scout et un des principaux organisateurs de la marche du mardi noir, n'a pas pris part à l'événement. Placés à la tête du cortège, les scouts étaient sous la coupe de son beau-frère Abdelkader Yalla. Au déclenchement des hostilités, celui-ci reçoit une balle au pied tirée d'un balcon. Raconté par Houria Belkhired (sœur d'Abdelkader Yalla et épouse de Hacène Belkhired) ce fait est confirmé par les récits de nombreux témoins signalant la participation de colons ayant tiré des coups de feu à partir des balcons. Ces témoignages démontrent clairement l'implication directe de certains colons ayant prêté main forte aux forces de police. Pour les spécialistes en charge de cet épineux dossier, ce fait n'est pas anodin d'autant plus qu'il remet en cause de nombreuses « versions » relatives à ce sujet précis. « Piégés et hébétés, les marcheurs couraient dans tous les sens », dira Lakhdar Taârabit, un des principaux acteurs de l'époque.
L'emblème national intrigue
L'encombrante présence de l'emblème national était la goutte qui a fait déborder un vase trop plein. Aïssa Cherraga dira : « J'étais surpris d'apprendre quelques instants avant l'entame de la marche, que j'aurai l'insigne honneur de porter le drapeau national. Le choix des organisateurs, qui s'était porté sur ma petite personne, n'était pas fortuit : j'étais le plus grand parmi la foule. La question de la taille était prépondérante dans la décision de nos aînés. » Toujours selon lui, les banderoles portant divers slogans « Vive l'Algérie libre et indépendante », « Libérez Messali », « Libérez les détenus politiques », « Vive la Charte de l'Atlantique », « Nous voulons être vos égaux », attirent l'attention des colons au balcon de leurs appartements et aux terrasses des cafés de la rue de Constantine (ex-avenue Clemenceau), intrigués en outre par un drapeau tricolore, lequel a été confectionné la veille par Aïssa Doumbri avec les tissus offerts par Bachir Amroune et Mohamed Fettache. Informé par le commissaire Valère, adjoint du commissaire central Tort, qu'un drapeau tricolore rouge, blanc et vert garni d'un croissant et d'autres banderoles portant atteinte à la souveraineté de la France, sont agités, le sous-préfet ordonne à son interlocuteur de confisquer ces pancartes et ce bout de tissu. Aïssa Cherraga ajoutera : « Son instruction, qui sera appliquée à la lettre, fera date. Evoluant dans un ordre impeccable, la foule, qui entonne de vive voix ‘‘Hayou chamel, Hayou ifrikia'', est brusquement freinée par l'intrusion des policiers qui donnent dès lors le coup de starter à plus de deux mois d'hostilités. C'était au niveau de l'ex-café de France, situé au cœur de la cité, que tout a commencé. Bousculé et malmené par quatre policiers ayant tout tenté pour ‘‘saisir' le symbole d'une nation, pour qui rien ne sera plus comme avant, je ne voulais en aucune manière céder. En se rendant compte que je titubais, le jeune Bouzid Saâl jaillit de la foule pour reprendre et hisser haut l'étendard de la patrie. Ne voulant en aucune manière remettre le symbole de la souveraineté d'une nation, celui-ci âgé à peine de 22 ans, fait fi des menaces. Prenant ce refus d'obtempérer comme un affront, un policier tire à bout portant sur le jeune Saâl Bouzid qui s'écroule. Dans cette bousculade, il est difficile de déterminer avec exactitude, qui d'Oliviéri (chef de la brigade mobile), de l'inspecteur Laffont ou Tort était l'auteur de cet odieux crime. Pour l'histoire, l'effusion de sang incombe aux policiers qui ont tiré le premier coup de feu. Dire que des armes sont sortis des burnous et gandouras des marcheurs, c'est faire injure à la vérité. » Ammi Aïssa qui nous fit une autre confidence, certifiée quelque temps après par Amar Guemmache dit Saout Laârab, (un fidèle compagnon de Ferhat Abbès) : « Evacué vers l'hôpital colonial, le jeune Bouzid succombe entre les mains d'un infirmier algérien, Hocine Lakhlif, qui deviendra dans les années1950 un des plus grands joueurs que l'USMS ait jamais enfanté. » Cette précision est du premier porteur de l'emblème national, ayant rendu l'âme le 1er avril 2010.
La sonnerie des morts claironnée
Malgré la panique des marcheurs, obligés de se transformer en manifestants, Sabri Seghir trouve le moyen de remobiliser et rassembler ses concitoyens à poursuivre le défilé, et ce, en sonnant du clairon. L'acharnement de Sabri s'avère fructueux. Faisant fi des balles de la répression, le cortège réussit à se reformer et atteindre le Monument aux morts où des gerbes de fleurs seront déposées. Pendant une minute, la sonnerie aux morts est claironnée par Sabri. Deux jours après, Sabri et 26 autres compagnons sont arrêtés. L'interrogatoire, les vexations et la torture seront leur pain quotidien ; Sabri sera condamné à mort, puis bénéficiera 10 mois après de l'amnistie. A l'instar de centaines de prisonniers, ce dernier subit les pires sévices à la prison de Sétif. « Un poseur de fleurs peut-il tout d'un coup se transformer en un aveugle incendiaire ? Non, d'autant plus qu'il ne pouvait le faire avec des mains nues face à une gendarmerie armée jusqu'aux dents », s'interroge cheikh Amar, pointant du doigt la France coloniale.
Le collège, garnison…
Parler des événements du mardi noir et occulter les supplices endurés par les élèves du collège Eugène Albertini (aujourd'hui lycée Mohamed Kérouani) c'est faire offense à l'histoire, à la mémoire et au patriotisme d'un important contingent d'hommes formés dans ce bastion du nationalisme et du savoir. Il est par ailleurs nécessaire de disserter sur l'occupation (ordre de réquisition n°1266/2 série A du 26 novembre 1942) du collège par les forces armées britanniques qui ont fait de l'établissement, du 28 novembre 1942 au 2 août 1944, le siège de leur état-major. Durant cette période, les cours seront dispensés au niveau de l'école indigène de garçons (actuel CEM Allem Mansour, situé en face de la poste du marché). Le collège fonctionnait sous le régime de l'externat. Les potaches de la paysannerie et des autres régions rattachées administrativement à la circonscription de Sétif n'ont bizarrement pas bénéficié des « bienfaits » du colonialisme. Sachons qu'ils ont fait les frais de l'occupation qui ne s'est guère souciée de la scolarisation des enfants d'indigènes, citoyens du 2e collège. Ce fait du prince se répercute sur les effectifs du collège, fonctionnant en 1943 avec 417 élèves. Ce chiffre est de loin inférieur aux 731 élèves, inscrits au 5 novembre 1942. Il y a lieu de souligner que le collège a été réquisitionné une première fois par le 1er Bataillon du 19e Régiment des tirailleurs algériens ayant occupé les lieux du 2 au 13 septembre 1939.
Supplices et sacrifices de collégiens
Pour avoir pris part à la marche, de nombreux élèves ont été non seulement privés de bourse, mais tout simplement exclus. A cet effet, le recteur de l'académie d'Alger prononce la peine de la déchéance des bourses à compter du 8 mai 1945, à l'encontre des élèves Mostefai Séghir, Benmahmoud Mahmoud, Maïza Mohamed Tahar, Benzine Abdelhamid, Torche Mohamed, Kateb Yacine et Zeriati Abdelkader du collège Eugène Albertini. Ils sont en outre frappés d'exclusion des effectifs (décisions n°3819-3821). Leurs camarades Lamri Abderahmane, Khaled Khodja Boualem, Keddad Bakhouche, Lameriben Nacerdine, Djemmame Abderrezak, Ferrani Ouamar, Cherfaoui Mohamed, Abdeslem Belaïd, Taklit Tayeb et Yanat Boualem firent l'objet de la même sanction le 15 mai 1945, la première mesure ayant concerné 13 collégiens dont Kateb Yacine, Abdesslam Belaïd. Mostefaï Séghir est exclu dix jours après. Abdelhamid Benzine et Taklit Tayeb (tombé au champ d'honneur durant la glorieuse révolution de novembre 1954) furent priés de quitter les lieux le 30 mai. Abdelkader Zeriati est, quant à lui, chassé de l'établissement le 20 juin 1945.
L'horreur à Bouandas
Cheikh Issaâdi L'hocine dit Lahcène, nous raconte : « Des familles entières sont exterminées à Bouandas, localité située à 70 km au nord -ouest de Sétif. Les Idir Mohand, Idir Ahmed, Idir Ali, Idir Athman, Idir Mohand-Cherif, Idir Mohand Ben Hammou, Idir Tahar, Idir Slimane, Idir Mohand El Arbi, Idir Kassa, Idir Salah, Idir Saïd, Idir Salah Ben Ali et Idir Mohand Saïd sont froidement exécutés. Le même sort sera réservé à Ouadfel Saâdi, Ouadfel Mohand, Ouadfel Rabah, Ouadfel Allaoua, Ouadfel Bachir, Ouadfel Ahmed, Ouadfel Kassa et Ouadfel Hammou. Il en sera de même pour les Ouchen Mohand Tahar, Ouchen Tayeb, Ouchen Ahmed, Ouchen Bachir, Ouchen Salem, Ouchen Ali, Ouchen Mohand et Ouchen Mohamed. Tout comme les Aftis Amzaya, Aftis Chérifa, Aftis Abdelaziz, Aftis Abdelkader, Aftis Dahbia, Aftis Rabia, Aftis Fatma, Aftis Hammou et Aftis Hocine. Ont été massacrées, les familles Dahdouh, Bahlouli, Hamdani, Issaâdi, Zoubaï, Boufous, Badache, Harouni, Mezadi, Lalmi, Nedjar, Guendouz, Ouchoufoun, Bouguenia, Chegra, Rahal, Batouche, Hadadi, Aïssaoui, Hamzi, Ghani, Amrane, Cherifi et Barghout. L'altercation entre les forces de l'ordre et des citoyens de Bouandas et des localités limitrophes, entre Aokas et Tichy (Bejaïa) est le point de départ d'une immense tuerie. La mort de cinq colons, dont trois soldats, a été chèrement payée par la région qui a fait l'objet de graves exactions, jamais rendues publiques. En une journée, plus de 96 personnes dont des enfants, femmes et vieillards sont Iynchés à Chriha exactement. Kidnappés, 18 hommes d'Ighil Izghoughen, Bouyamane, Ahamam et Ineftahen sont depuis portés disparus. Une petite fillette de 8 mois est lâchement liquidée. La barbarie a atteint son paroxysme quand deux soldats éventrent à Ihournane, une femme enceinte pour connaître le sexe de son bébé. Ne s'arrêtant pas là, les militaires qui ont semé en toute impunité la terreur dans une région enclavée et difficile d'accès, brûlent un homme vif. Une fois le forfait accompli, le corps carbonisé est jeté dans un ravin. »
Les 18 bombes larguées les 5 et 6 mai 1945
Possédant une mémoire d'éléphant, Da Lahcène ne s'empêchera pas de jeter un pavé dans la mare. Ce point précis va sans nul doute intriguer les historiens et les spécialistes en charge de ce volumineux et épineux dossier : « Pour on ne sait quel dessein, l'aviation française a, les 5 et 6 mai 1945, largué 18 bombes sur la région. Les deux bombes ayant fortement endommagé la mosquée du village, tué Issaâdi Arab et blessé Moulay Ahmed, l'imam de ce lieu de culte pas du tout épargné. Pour fuir cette bastonnade collective, les villageois, affamés, mal nourris, portant des lambeaux et empruntant pieds nus des chemins escarpés couverts de ronces, se réfugient, des mois durant, dans des collines infestées d'animaux sauvages. Pour ne laisser aucune trace, nos bourreaux jettent les cadavres de leurs victimes dans l'oued Aftis. Comme le relief est accidenté et l'accès à la région difficile pour ne pas dire impossible, le carnage a été perpétré à huis clos… »
La torture
Les tourments, vécus des mois durant dans les commissariats et camps de concentration, où les pires sévices ont été perpétrés, sont l'autre tache noire de cette folie meurtrière. En dépit du poids de l'âge, de nombreux survivants ne cultivent pas l'amalgame. Le vieux Chérif Mohamed L'hadi plus connu sous le nom Djenadi raconte : « Près du carrefour de l'actuel lycée Malika Gaïd et de l'Hôtel des finances qui n'existait pas à l'époque, un gendarme de la brigade de Sétif est tué par une grosse pierre lancée par une femme, qui l'avait auparavant vu tirer des coups de feu en direction d'un groupe d'Algériens. C'est à ce moment précis que j'ai pu sauver le vieux Roussin (un syndicaliste et ex-employé des chemins de fer à la retraite) tabassé à coups de bâton par trois gaillards en furie. J'ai dû accompagner chez elle à la cité des cheminots, Mme Occipenti née Marylise Morlot, qui était en difficulté devant mon domicile. Le soir du 8 mai, vers 20h, la police s'introduit chez moi pour m'arrêter. Avant d'être transféré vers le camp de concentration de la caserne de Sétif où étaient parqués dans d'abominables conditions plus de 10 000 prisonniers, la police me tortura pendant 12 jours. Toutes les méthodes de la Gestapo ont été pratiquées par Olivieri et ses acolytes qui m'ont soumis, quatre jours durant, aux atroces et insoutenables épreuves de l'électricité appliquée sur les organes génitaux, et de la baignoire. Contrairement à d'autres détenus, mes geôliers m'ont épargné de l'insoutenable examen de la bouteille sur laquelle on faisait asseoir les captifs, dont bon nombre n'avaient rien à voir avec l'action politique. N'ayant pas supporté l'horreur, de nombreuses victimes d'une torture pratiquée à huis clos, n'ont pas tenu le coup. Les témoignages de Mme Occipenti et de M. Roussin, qui se sont même chamaillés avec mes tortionnaires, m'ont sauvé de la peine de mort. En plus des persécutions et des supplices, les bourreaux nous ont privés de tout aliment durant les quatre premiers jours de la détention. Ne pouvant résister à la torture avec un ventre creux, certains sont devenus fous. Le soir, les prisonniers étaient regroupés à 400 par écurie aménagée pour une trentaine de mulets. Serrés les uns contre les autres, dormant accroupis, à même le sol. Les plus jeunes et les plus souples s'offraient les mangeoires, un luxe. C'est dans une de ces écuries qu'un vieux retraité que tout le monde appelait à Sétif ‘'Sergene'' (sergent), Chevalier de la légion d'honneur et croix de guerre, est terrassé par le typhus. Ses états de services et décorations ne lui avaient, en fin de compte, pas servi à grand-chose. Il m'est impossible d'oublier le sacrifice de Khalifa Zaâboub, un brave d'El Eulma (ex-Saint Arnaud). Après avoir été torturé à mort des heures durant par un tortionnaire du même patelin, massacré, le vieux, dont le corps est lacéré par plein d'ecchymoses, est jeté à moitié mort dans l'écurie aux environs de 19h. Il rendit l'âme à 23h. La torture qui n'avait rien à envier au style des nazis, était dirigée par le capitaine Pierson, un ex-substitut du procureur de la République, mobilisé ».
Milices et fosses communes
Bellaâ, un douar situé à quelques encablures de la ville d'El Eulma n'a pas été épargné par la folie meurtrière des incendiaires ayant froidement massacré 11 nomades, le 11 mai. Avant de quitter les lieux, les auteurs du crime n'ont pas oublié de piller les tentes de leurs victimes. Selon de nombreux témoins, toujours en vie, ces faits ne sont pas isolés d'autant plus que de nombreux indigènes de la région ont subi le même sort. Les derniers rescapés de la tuerie de Aïn Abessa, où 84 personnes sont exécutées sur place (localité située à 19 km de Sétif), n'oublient toujours pas Abacha Seghir dit Seghir Belounis, torturé à mort. Avant de fusiller un corps lacéré, ses tortionnaires obligent les indigènes à le piétiner. Le même sort est réservé aux frères Amardjia Lahcène et Bouzid. La famille Riach est brûlée vive dans sa ferme. Les frères Kebache, Messaoud et Abderrahmane, sont abattus à l'intérieur même de leur domicile. Les expéditions de civils et de gendarmes ont fait des carnages à Aïn Roua, où la blessure d'un colon secouru par la légion étrangère coûtera cher aux indigènes de la localité. En une seule journée, 41 citoyens, dont une femme, sont exécutés. Les victimes sont enterrées dans une fosse commune où repose aussi un renard. Assimilés à des animaux, ces martyrs se trouvent à 8 m sous terre dans la fosse commune du douar Lahmar, situé à la périphérie est de Aïn Roua, distante de 25 km de Aïn El Fouara. Les habitants remettent sur le tapis les conditions dans lesquelles quatre des leurs ont été exécutés en cours de route. « Conduits à Sétif où ils devaient être entendus, leurs bourreaux se font eux-mêmes justice, accomplissent leur forfait à Takouka, en contrebas des monts Megrès. Les quatre fusillés reposent dans une fosse commune (une de plus), jouxtant la mosquée du lieu précité », précise avec force détails cheikh Mohamed, un des derniers rescapés de la tragédie. Le même scénario se produit à Beni Aziz où plus de 6000 paysans sont regroupés. Ils furent obligés de se mettre à genoux, de demander pardon et de crier « Vive la France » . Les légionnaires obligèrent les détenus à se prosterner le front à terre devant le drapeau français et à répéter en chœur  : « Nous sommes des chiens et Ferhat (s'entend Ferhat Abbès) est un chien ». Les miliciens qui se sont taillés la réputation d'assassins, jouissant de l'impunité et de la couverture de l'armée fermant l'œil, fusillèrent plus de 375 citoyens. Le sort de 70 autres demeure, 65 ans après, en suspens. D'après des rescapés, cette tuerie collective se faisait par groupe de vingt. Avant la fusillade, les « condamnés à la peine capitale », qui n'ont auparavant comparu devant aucune juridiction, furent contraints de creuser les fosses de ceux qui venaient de périr dans ce massacre. Celui-ci, qui aurait pu prendre d'autres tournures, est interrompu par un gradé de passage dans les parages. Les victimes d'une liquidation en catimini, perpétrée le 9 mai 1945 au lieudit Beni Medjahed, n'ont été enterrées dans une fosse commune, que deux mois après….
« Le Dr Mazzuca a voulu me tuer »
Lakhdar Krache raconte : « La riposte de l'armée, qui a pillé et incendié des bourgs et hameaux, a été impitoyable. Avant de brûler notre gourbi, jouxtant la ferme Bergé située à mi-chemin entre Sétif et Aïn El Kebira (ex-Périgotville), les militaires, à la recherche d'un fusil de chasse, ont pris un sac de blé, 8 moutons, un haïk, le burnous de mon père, une ceinture et des boucles d'oreilles en argent de ma sœur. Un jour, j'étais en compagnie de cheikh Dahmane en charge d'un petit troupeau en pâturage dans le coin, le Dr Mazzuca, qui orientait une voiture militaire en tournée, blesse à bout portant le vieux berger. Avant de m'achever avec son arme, il enfonce et écrase ma tête enfouie dans la caillasse. Insatisfait le toubib, portant ce jour-là un costume gris, tente de m'achever d'une balle dans la tête. Si je suis toujours vivant, c'est par la grâce de Dieu et l'obstination d'un militaire français qui s'est farouchement opposé au Dr Mazzuca. » Le témoignage de Krache, natif de Aïn Labhaïra, qui avait à l'époque 15 ans, appuyé par les propos d'autres rescapés, confirme la thèse de l'implication des colons dans un complot perpétré à huis clos.


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