Il n'y avait pas eu foule hier, 5 octobre, sur l'esplanade de la maison de la Culture de Béjaïa pour commémorer le 31e anniversaire de la révolte populaire réprimée dans le sang en octobre 1988 dans le pays. L'appel de l'Association des victimes de cette répression (AVO 88) n'a pas intéressé les milliers de marcheurs qui sortent, joyeux, les vendredis, ni même les contingents de manifestants de mardi. Le scénario du désintérêt est le même depuis quelques années déjà, où le rendez-vous est commémoré par les mêmes fidèles à la mémoire des victimes d'Octobre 88. Mais, le mouvement populaire du 22 février a fait espérer, pour beaucoup, un retour d'intérêt pour ces dates symboliques des mouvements populaires de l'Algérie indépendante. Le rassemblement d'hier devait démarrer à 10h pile. 10h et quart, 35 personnes patientent à l'ombre pour entamer la cérémonie de recueillement au pied de la stèle qui fait office du très modeste «mémorial» des victimes d'Octobre 88. La stèle est une bougie de béton érigée sur un socle nu où des passants ont pris l'habitude de venir s'asseoir. La peinture blanche qui la recouvre déborde sur sa plaque commémorative dont on a de la peine à distinguer l'inscription. A 10h30, on est une cinquantaine de militants à être présents, dont trois femmes. Le groupe se rassemble et suit les porteurs d'une gerbe de fleurs pour parcourir les quelques mètres qui les séparent de la stèle. Les lieux ne sont pas nettoyés. Ils le seront tout juste au moment où la cérémonie commence, en ramassant les bouteilles, les sachets et autres détritus qui gisent sur le socle de la stèle. A chaque 5 octobre, le constat est le même. La commune qui a réalisé la stèle «oublie» de faire balayer les lieux et d'ordonner un coup de peinture pour l'occasion. La date n'est pas dans l'agenda des commémorations officielles. La bougie en béton ne s'allume pas. Il y a longtemps qu'elle ne porte plus l'ampoule qui représente sa flamme. Elle n'est qu'un tas de béton que l'abandon et l'oubli ont vidé de sa symbolique. Hier, la poignée d'animateurs de l'association AVO 88 a cherché à voir sur les lieux une des caméras de télévision qui couvrent le «hirak». Pas trace de la presse. «Nous sommes venus au nom du collectif Hachemi Cherif». Rabah Rezgui, ancien militant du PAGS, met un point d'honneur à le souligner dans de telles occasions. La minute de silence à laquelle il a appelée est observée la main levée, les cinq doigts bien écartés, figurant le 5 Octobre. Un imam est appelé pour lire la Fatiha. Il demande à connaître la date qu'on commémore. «Le 5 octobre 1981…», commence-t-il à discourir. «1988, ya cheikh, 88», lui susurre-t-on. Que reste-t-il du message d'Octobre 1988 ? «Le mouvement d'aujourd'hui n'est que le prolongement des combats d'avant», dit un militant. Les parents des victimes, membres de l'association, sont encore, 31 ans après, à rappeler que leurs enfants ne sont pas des accidentés du travail, comme les considèrent encore les pouvoirs publics. «Nos droits sont bafoués. Nos enfants sont des martyrs de la démocratie», tonne Abdelaziz Yahiaoui, ex-président de l'association. Cinq jeunes citoyens sont tombés le 9 octobre 1988 dans la ville de Béjaïa. Le plus jeune d'entre eux avait 17 ans. Leurs familles touchent une pension comme simples victimes du travail, soumis au régime de la Cnas. Depuis des années, elles se battent pour un statut de martyrs pour les victimes d'Octobre et pour la reconnaissance officielle de la journée du 5 Octobre. L'actualité leur donne raison : le message d'Octobre est ignoré.