Le 26 mai 1993, l'écrivain, poète et journaliste Tahar Djaout est tombé sous les balles d'un groupe armé devant son domicile à Bainem (Alger). Transporté vers l'hôpital, il est déclaré dans un état critique. Après huit jours de coma profond, Tahar Djaout succombe à ses blessures le 2 juin, inaugurant ainsi la longue liste macabre des hommes et femmes de la presse tués durant la décennie du terrorisme. Il n'avait que 39 ans. Deux mois auparavant (16 mars 1993), le sociologue et ancien ministre Djilali Liabès est tué dans un guet-apens dans le quartier populaire de Kouba où il habitait. A travers Djaout, les mains assassines du GIA et leurs commanditaires ont ciblé un intellectuel foncièrement engagé pour une Algérie qui avance qu'il défendait à travers ses écrits. «Le silence, c'est la mort, et toi, si tu te tais, tu meurs. Et si tu parles, tu meurs. Alors dis et meurs», c'était le crédo journalistique et politique de l'auteur de Les Vigiles face aux agitateurs de l'épouvantail islamiste au début des années 1990. Même si les forces du mal ont attenté à sa vie et le crime n'est pas élucidé, 27 ans plus tard, l'enfant d'Oulkhou (Ighil Ibahriyen), daïra d'Azeffoun a légué à la postérité des écrits poétiques, romanesques et journalistiques salués par la critique à ce jour. «Certes, si le corps se décompose, la pensée elle, ne meurt pas. Si les cols à franchir sont âpres, à l'épuisement nous trouverons un remède. Et s'ils anéantissent tant et tant d'étoiles, le ciel, lui, ne s'anéantit pas (…)», chantait Matoub Lounès dans l'hymne à Kenza, la fille de Djaout. Outre sa très belle plume et son engagement en faveur de la démocratie et de tamazight, Tahar Djaout était très apprécié également pour ses qualités intrinsèques. Nadjib Stambouli, journaliste-écrivain qui l'avait côtoyé à l'hebdomadaire Ruptures témoigne dans son livre Ma piste aux étoiles : «Aucun versant de la personnalité n'était éligible au moindre reproche, encore moins à la critique, tant il personnifiait non seulement la bonté et la gentillesse, mais également la sérénité qui émanait de son visage, porté par le guidon de ses célèbres moustaches.» (page 18). Plus loin, il ajoute : «Toujours disponible pour un conseil, un partage d'information, Djaout ne devient grand écrivain et journaliste que pour avoir été un grand homme.» L'auteur du livre (Casbah Editions, 2015) rapporte un autre trait de caractère du défunt journaliste d'Azeffoun, une région d'artistes : «Humble, la prétention ou l'arrogance que l'on perçoit chez nombre de ses pairs étant inaptes dans l'esprit de Djaout, il avait trouvé indécent, c'est son mot, qu'on consacre dans son propre journal Algérie Actualité, deux pages à la sortie d'une de ses œuvres». Et à Nadjib Stambouli de conclure (page 20) par ce «verdict magistral» de Arezki Metref: «Il faut un siècle à l'Algérie pour produire un Djaout, mais il a suffi de dix ans d'école algérienne pour produire son assassin». Né à Oulkhou le 11 janvier 1954, Tahar Djaout est l'auteur de plusieurs œuvres, dont L'Exproprié, Les Chercheurs d'os, L'Invention du désert, Les Vigiles, Le Dernier été de la raison. Dans le journalisme, il a exercé à partir de 1975 à l'hebdomadaire Algérie- Actualité tout en collaborant à Actualité de l'émigration. Il quitte en 1992 Algérie-Actualité pour fonder avec quelques-uns de ses anciens compagnons, notamment Arezki Metref et Abdelkrim Djaad, Ruptures son propre hebdomadaire dont le premier numéro paraît le 16 janvier 1993.