L'émergence, dans les années 1990, d'un mouvement conséquent de l'édition privée en Algérie, avait été accompagnée du recul, puis de la disparition des institutions publiques en charge du livre. La dissolution des entreprises nationales, survenue après des mesures de réorganisation et de séparation des fonctions liées à leurs activités - celle notamment de la distribution - a laissé entière et toujours pendante la question du patrimoine qu'avaient constitué ces entités disparues. Que devient en effet le catalogue des ex-SNED et ENAl par exemple ? Il s'agit, dans presque tous les cas de titres qui relèvent encore des mesures protectrices découlant du droit d'auteur et ils ne sont pas versés dans le domaine public du fait de la dissolution des maisons d'édition qui les ont publiés. Les périodes concernées allant pratiquement des premières années de l'indépendance nationale au milieu des années 1990, le catalogue de ces titres est par la force des choses consistant. Est-on dans la figure qui consiste à jeter le bébé avec l'eau du bain ? Il y a, à l'évidence, un déficit pour les lecteurs, car il va de soi que la première difficulté est de pouvoir accéder aux premiers textes publiés en Algérie par des auteurs comme Rachid Boudjedra, Rachid Mimouni, Ahmed Azzegagh, Azzedine Bounemeur ou Mohamed Chaïb, auteur dont les romans avaient connu un immense succès populaire dans les années 1970-80.On pourrait citer aussi les œuvres de Tahar Djaout, de Chabane Ouahioune, de Rabia Ziani, de Hafsa Zinaï-Koudil, de Djamel Dib et d'un nombre prononcé d'autres auteurs qui ont formé les effectifs de l'édition algérienne sur presque trois décennies. La quête de tous ces auteurs par leurs lecteurs potentiels participe de quête archéologique. Pour la presque totalité d'entre eux, les titres qui ont fait vivre la production éditoriale algérienne ne sont plus disponibles sur le marché et ils n'existent que chez des collectionneurs qui ont accumulé ce patrimoine littéraire au fil des ans. Cette somme littéraire est au cœur de divers enjeux - celui d'abord de sa validation - et elle est aussi un centre d'intérêt pour la recherche. La production littéraire algérienne, sur la période qui avait précédé la dissolution des entreprises publiques du secteur, a porté témoignage sur sa société, et les choix éditoriaux des entreprises nationales du livre de cette époque étaient manifestement inscrits dans des stratégies politiques alors nettement dessinées. Pour autant, les romans de cette période peuvent intéresser aussi les lecteurs algériens - et autres - d'aujourd'hui. On observe alors que les mesures de dissolution des entreprises publiques du livre n'ont pas donné de place à une vision projectile, car la révolution technologique dans les médias a introduit, particulièrement grâce à Internet, d'autres formes de rapports au livre et à la lecture. Mettre à la portée des lecteurs les romans algériens des années 1970-90 est sans doute l'une des voies possibles pour les soustraire de la situation de perdition dans laquelle ils se trouvent pour peu que les dispositions légales le permettent. Sinon, comment les lecteurs accéderaient-ils à cet ensemble qui incarne le patrimoine littéraire algérien étant entendu que la problématique reste toujours celle du droit. Le premier pour tous ces romans étant d'aller à la rencontre de leur public et, ainsi, de vivre.