L'Algérie, qui comptait développer le marché de GNL aux USA, a dû réorienter une partie de ses exportations vers l'Asie. Alors qu'un débat sur la politique énergétique du pays s'impose, une multitude de défis s'offre à l'Algérie. Les marchés du gaz continuent de valser au rythme d'une perturbation profonde produite par l'émergence de nouvelles technologies dans le secteur gazier. Les Etats-Unis d'Amérique ont sérieusement bouleversé les marchés en accélérant la production du gaz non conventionnel.En 2009, les USA, qui étaient jusqu'ici grand importateur de gaz, ont devancé les plus grands producteurs de gaz, à l'instar de la Russie, grâce à la «révolution» que représente le gaz non conventionnel. Les pays producteurs d'hydrocarbures, dont l'Algérie qui exportait un volume important de son GNL vers les USA, sont confrontés à un double défi : faire face à cette nouvelle donne qui suppose le «dépérissement» de certains marchés et résister à une chute brutale des prix. Les cours du gaz ont ainsi connu une chute vertigineuse ces derniers mois, se situant entre 3,5 dollars par million de Btu et 4 dollars/mbtu pour les contrats de septembre et octobre. Le prix du gaz des contrats d'approvisionnement de long terme n'a pas échappé à cette règle. Les fervents défenseurs de l'indexation des prix du gaz aux prix du pétrole, dont les politiques de commercialisation se reposaient sans relâche sur la formule des contrats de long terme, ont vu également leurs recettes s'effondrer à la fin 2008 et début 2009. Cette situation est générée par l'effondrement des cours du pétrole. «Alors que la chute des prix du gaz n'a pas entraîné une diminution de la production gazière américaine», lit-on sur Pétrole et Gaz Arabes, dans son édition d'octobre, des pays comme l'Algérie ont vu leur production chuter en 2009, ainsi que les volumes destinés à l'exportation. Selon Cedigaz, une association dédiée à l'industrie du gaz, les exportations algériennes de gaz ont chuté de plus de 10% durant l'année écoulée, s'établissant à 52,67 milliards de mètres cubes, contre près de 59 milliards de mètres cubes en 2008. D'après la même source, la production commercialisée de gaz de l'Algérie, un des principaux fournisseurs des USA, aurait baissé de 6% environ durant l'année écoulée, s'établissant ainsi à 81,2 milliards de mètres cubes. Pour l'année 2010, le cabinet américain de consulting IHS Global Insight a fait état, il y a quelques jours, d'une baisse sensible du volume de la production algérienne de GNL, estimant qu'il s'agit de «niveaux inhabituels» pour un des principaux exportateurs mondiaux de GNL. Depuis Vienne, où a eu lieu, le 14 octobre dernier, une entrevue regroupant les ministres de l'Energie des pays membre de l'OPEP, Youcef Yousfi a confirmé que la production algérienne de GNL a baissé de près de 20%. Le ministre a expliqué que le recul du volume de la production est en relation «avec un incident survenu sur l'un des sites de production de GNL». S'il est vrai que cette baisse est due à un incident technique survenu sur le complexe de GNL à Skikda, l'Algérie risque de subir aussi les contrecoups de l'industrie du gaz non conventionnel développée au USA. D'après certaines indiscrétions, l'Algérie a décidé de réorienter une partie de ses exportations vers l'Asie. Le marché spot n'est pas une priorité Autre décision, «il n'y aurait pas d'augmentation du volume de la production et des exportations, car les réserves ne le permettent pas», nous dira un ex-PDG de Sonatrach, pour qui, à moyen terme, le gaz non conventionnel ne représente pas un danger pour l'Algérie, «mais au-delà de 3 à 4 ans, l'Algérie sera appelée à trouver d'autres marchés». Mais dans les bureaux officiels, il y a des formules qu'on n'est pas près à acquiescer ; s'investir sur les marchés spot, tout en prenant en considération les circonstances afin de ne pas perdre au change. Pour l'heure, cette formule de vente est exclue de la stratégie de commercialisation de l'Algérie, laquelle repose sur des contrats de long terme, plus sécurisants. Notre interlocuteur, actuellement consultant de Sonatrach, estime que «l'impact actuellement du gaz non conventionnel sur l'Algérie est limité. Les chiffres annoncés récemment faisant état d'une accélération effrénée de la production du gaz non conventionnel aux USA ont entraîné la baisse des exportations de GNL vers les Etats-Unis d'Amérique, particulièrement depuis l'Algérie et la Norvège, mais le manque à exporter vers ce pays peut trouver preneur en Asie». En un mot, l'Algérie dispose encore d'un petit sursis afin de développer de nouveaux marchés en Asie et, éventuellement, décider aussi d'acheminer une partie de la cargaison vers les marchés spot. «Les marchés de long terme se réduisent de plus en plus. Auparavant, on parlait de contrats de 20 ans, mais les contrats ne dépassent pas les 5 à 10 ans maintenant», considère notre interlocuteur. Ce dernier estime que le marché spot «est inévitable pour l'Algérie, mais il ne faudra pas renoncer aux contrats de long terme, car il sont plus sécurisants». Pour l'heure, le message envoyé par les marchés est mal perçu par l'Algérie. Alors qu'un débat sur la politique énergétique du pays s'impose, une multitude de défis, et non des moindres, s'offre à l'Algérie. Les experts s'accordent à dire que les besoins grandissants du marché interne, dont les volumes sont estimés à quelques 42 milliards de mètres cubes à l'horizon 2019, constituent, sans nul doute, l'une des préoccupations majeures auxquelles sera confronté le pays. L'inquiétude est là : «Dépérissement» des marchés traditionnels suite à l'avènement de cette nouvelle technologie du gaz non conventionnel qui commence à être expérimentée en Europe, fléchissement important des prix ainsi que l'augmentation de la demande domestique. Des défis et des inquiétudes Nicolas Sarkis, directeur du magazine spécialisé Pétrole et Gaz Arabes estime que (voir l'entretien) «le gaz non conventionnel représente une très forte concurrence pour ces pays qui comptaient sur les USA, l'Europe et l'Asie pour développer leurs marchés de gaz et leurs exportations». Pour lui, l'une des questions importantes qui se posent pour l'Algérie est celle de pouvoir s'adapter à ces nouvelles donnes du marché, devenu, en un laps de temps de deux années, fortement concurrentiel. Selon toute vraisemblance, la stratégie de l'Algérie continuera, du moins à moyen terme, à se reposer sur les mêmes fondamentaux qui font d'elle un pays à vocation gazière. Hors de question de s'investir pour le moment sur les marchés spot, puisque le Medgaz devrait être opérationnel dans quelques mois, ce qui garantirait au pays d'autres contrats plus sécurisants. Cependant, des consultants de Sonatrach estiment que l'Algérie ne devrait pas augmenter ses exportations dans les années à venir, puisque ses réserves ne sont pas considérables. C'est l'autre enjeu auquel sera confronté le pays dans les années à venir. Sonatrach qui comptait depuis quelques années développer son marché de GNL aux USA semble être contrariée par une nouvelle donne qui l'obligerait à emprunter d'autres voies. Quelle sera donc la parade de l'Algérie ? Le ministre de l'Energie et des Mines, Youcef Yousfi, a déclaré, récemment au Congrès mondial de l'énergie, organisé à Montréal (Canada), que l'Algérie envisage de développer l'industrie du gaz non conventionnel. Mais il est peu probable qu'elle modifie sous peu la structure de sa production en énergie. Le recours au concours des firmes étrangères risque d'être si coûteux aussi pour les pays qui veulent se lancer dans l'industrie gazière. Les grands monopoles commencent d'ores et déjà à prendre forme. Les plus grosses cylindrées du pétrole se sont orientées, dès maintenant, vers le gaz. Shell, à titre d'exemple, a voulu aussitôt mettre à profit le dérèglement du marché du gaz afin de pouvoir s'emparer des premières opportunités qui s'offrent aux investisseurs. Cette compagnie a fait savoir qu'elle allait injecter 4,7 milliards de dollars pour l'achat de East Ressources, une société spécialisée dans le gaz qui détient des participations dans d'importants gisements. Le mois de décembre de l'année écoulée, Exxon Mobil a proposé 41 milliards de dollars pour l'achat de XTO Energy. Ailleurs, l'heure des grands changements a bel et bien sonné. En Algérie, le renversement de perspective n'est pas pour demain.