Accidents de la route: 34 morts et 1884 blessés en une semaine    Annaba: diverses manifestations artistiques clôtureront les Jeux scolaires africains    Forte hausse de la valeur des actions échangées au 1er semestre 2025    Un ministère d'Etat chargé de la planification stratégique et sept à huit pôles économiques régionaux    1500 Palestiniens tombés en martyrs en tentant d'obtenir de la nourriture    Agression sioniste contre Ghaza: le bilan s'alourdit à 61.020 martyrs    Jeux africains scolaires: L'Algérie remporte la première édition    Boudjemaa met en avant les réformes structurelles et la modernisation du système judiciaire    Cérémonie en l'honneur des pensionnaires des établissements pénitentiaires lauréats du baccalauréat et du BEM    Abdelmadjid Tebboune préside la cérémonie    La « Nuit des musées » suscite un bel engouement du public à Tébessa    De l'opulence à l'élégance contemporaine, le bijou d'Ath Yenni se réinvente sans perdre son âme    Lutte contre les feux de forêts: le DG de la Protection civile entame la 2e phase des visites d'inspection    Canex 2025: 6 courts métrages algériens en compétition    Jeux africains scolaires: Les athlètes algériens se sont distingués de manière "remarquable"    Inscriptions universitaires: plus de 70% des nouveaux bacheliers orientés vers l'un de leurs trois premiers vœux    La FICR condamne une attaque contre le siège de la Société du Croissant-Rouge palestinien à Khan Younès    Bordj Badji-Mokhtar: installation du nouveau chef de sureté de wilaya    Retour triomphal du Cinq national    Journée nationale de l'ANP: les familles honorées saluent la culture de reconnaissance du président de la République    La République philosophique que l'Occident refuse ou est incapable de comprendre    CHAN-2025 Les équipes, même sans le ballon, veulent dominer    Atelier international de formation sur le patrimoine mondial    Nasri adresse ses voeux à l'ANP à l'occasion de la célébration de sa Journée nationale    Université d'été du Front Polisario : le référendum d'autodétermination, seule solution à la question sahraouie    Bouira : lancement du projet de raccordement du barrage de Tilesdit à la SDEM de Béjaia    La mémoire nationale occupe une place stratégique dans l'Algérie nouvelle    Organisation de la 14e édition du Festival culturel national de la chanson Raï du 7 au 10 août    De nouvelles mesures en vigueur durant la saison 2025    Vague de chaleur, orages et de hautes vagues dimanche et lundi sur plusieurs wilayas    Jeux africains scolaires: L'Algérie préserve sa première position au tableau des médailles après la 8e journée    Commerce extérieur: réunion sur la situation des marchandises bloquées aux ports    L'hommage de la Nation à son Armée    Bilan du commerce extérieur en Algérie pour 2023, selon les données officielles de l'ONS    L'Europe piégée et ensevelie    Déjà sacrée championne, l'Algérie bat l'Egypte et termine invaincue    La Fifa organise un séminaire à Alger    Khaled Ouennouf intègre le bureau exécutif    L'Algérie et la Somalie demandent la tenue d'une réunion d'urgence du Conseil de sécurité    30 martyrs dans une série de frappes à Shuja'iyya    Lancement imminent d'une plate-forme antifraude    Les grandes ambitions de Sonelgaz    La force et la détermination de l'armée    Tebboune présente ses condoléances    Lutte acharnée contre les narcotrafiquants    La Coquette se refait une beauté    Cheikh Aheddad ou l'insurrection jusqu'à la mort    Un historique qui avait l'Algérie au cœur    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



L'affirmation «un seul héros, le peuple» est mise à mal
Malika Rahal. Historienne
Publié dans El Watan le 18 - 03 - 2011

Avec une rare rigueur, Malika Rahal, spécialiste de l'UDMA, signe chez les éditions Barzakh une inédite biographie de Ali Boumendjel, avocat, militant nationaliste, assassiné par les paras lors de la Bataille d'Alger en 1957. Un itinéraire qui résiste au discours dominant de l'histoire officielle. Rendez-vous avec l'auteur samedi 19 mars à la librairie Chihab, à 15h, pour une rencontre animée par Daho Djerbal.
-Comment peut-on réussir le «pari biographique» concernant Ali Boumendjel tout en négociant la stature du «héros», du «martyr» ? Comment négocier dans le cadre d'une telle biographie cette notion de
«un seul héros, le peuple» ?
L'affirmation qu'il n'y a eu qu'«un seul héros, le peuple» a déjà été mise à mal : on a vu dans les dernières années fleurir des mémoires, des autobiographies d'acteurs et même quelques biographies qui mettaient en avant des parcours individuels variés. Pour la biographie d'Ali Boumendjel, la question de l'héroïsme s'est posée du fait de ma source première : le récit que m'ont livré des membres de la famille concernant leur disparu. Il a donc fallu que je m'interroge sur la validité de ce récit héroïque, que j'en comprenne l'élaboration pour en faire un usage critique. Plutôt que de gommer cette réflexion comme on gomme les traits de construction en géométrie, il m'est apparu plus intéressant de l'intégrer dans le corps de l'ouvrage.
Elle permet, je crois, de rappeler que les récits de martyrs, comme les récits héroïques, répondent à certaines contraintes au sujet desquelles il faut s'interroger. Pour répondre au besoin de donner un destin à leur disparu, c'est-à-dire de donner un sens à sa vie et à sa mort, les familiers, les amis et camarades coulent leurs récits dans un moule, au risque de l'approximation ou de l'erreur. La forme de ce moule nous renseigne, je crois, sur le caractère central d'une certaine forme de récit dans la société algérienne, dès avant l'indépendance et plus encore dans les années qui ont suivi.
-La mort d'Ali Boumendjel résiste, selon vous, à la «vulgate nationaliste». Comment expliquez-vous cette résistance ?
Ce n'est pas tant sa mort que sa vie qui résistent à l'histoire dominante. En effet, Boumendjel n'est pas un militant du PPA-MTLD : au contraire, il a été un militant de l'UDMA, le parti de Ferhat Abbas dont, comme celui du PCA, l'apport au mouvement national a été largement minoré. Il est issu d'une classe moyenne forgée par l'école française. De plus, après le début de la guerre d'indépendance, l'homme n'a pas été un combattant armé, mais plutôt un combattant du verbe et de la plume, un négociateur, un porte-parole, autant de fonctions qui ont également eu tendance à s'effacer derrière la glorification de la lutte armée. Pour autant, il n'a pas fait partie de l'organigramme de la Zone autonome d'Alger et son rôle est donc difficile à établir avec précision dans «l'Organisation».
Dans sa détention aux mains des parachutistes, il ne correspond pas non plus toujours aux stéréotypes que l'on attend. Un seul exemple : tous ses proches ont utilisé dans leurs témoignages la même expression: sous la torture, Boumendjel n'avait pas dit un mot. Or, il s'avère que les choses sont bien plus compliquées: Boumendjel a beaucoup parlé durant ses quarante-trois jours de détention. On sait notamment qu'il a «avoué» certaines responsabilités qui n'étaient en fait pas les siennes, mais celles de son ami avocat Amar Bentoumi. Tout se passe comme si – se sachant condamné – il avait voulu protéger son collègue demeuré libre. Les sources étayant tout ceci sont délicates à utiliser, elles obligent à un récit nuancé où les hypothèses sont nombreuses et les certitudes plus rares. En d'autres termes, on aboutit à un récit trop complexe pour satisfaire aux conditions de l'héroïsme de l'histoire dominante.
-A quel degré «la déchirure et la béance» conditionnent-elles l'héritage et l'avenir de la nation ?
Ce qui m'a frappé dans les récits qui m'ont été livrés, ce sont les deuils redoublés qu'ont subi les familles et les militants, et l'impossibilité pour chaque individu, ou chaque groupe, d'assimiler et de surmonter le deuil. C'est particulièrement frappant dans la «bataille d'Alger», mais a certainement des équivalents en d'autres lieux et d'autres temps de cette guerre. Les rituels, qui servent habituellement à faire le lien entre les vivants et les morts (les rituels d'enterrement par exemple), sont rendus impossibles par la disparition des personnes (comme dans l'affaire Maurice Audin), par présence massive de l'armée qui empêche tout rassemblement (comme dans le cas de l'inhumation d'Ali Boumendjel), ou encore par la multiplication des drames : Malika Boumendjel, la veuve d'Ali, et sa famille n'en sont qu'un exemple. Alors que son mari vient d'être assassiné, que deux de ses frères viennent d'être libérés par les parachutistes (l'un d'eux - Djamal Amrani - affreusement torturé), que deux autres frères sont encore détenus, un dernier «disparaît» aux mains des parachutistes, alors que son père est arrêté à son tour.
Lui non plus ne reviendra jamais. On pourrait multiplier les exemples de familles ainsi martyrisées, et il me semble essentiel de s'interroger sur ses deuils impossibles et leurs conséquences à la fois individuelles et collectives. Est-il possible de construire une identité collective sur l'omniprésence des martyrs depuis l'indépendance ? Et quelles ont été les modalités, notamment à l'échelle des familles de l'expérience de ces deuils ? Avec quelles conséquences ? Ces questions valent d'être posées.
-Quel a été l'accueil, critique et public, de votre ouvrage lors de sa sortie en France ? Qu'en ont pensé les proches de Boumendjel ?
L'accueil a été très discret. Les anciens militants, notamment les amis politiques de Boumendjel, et les connaisseurs de l'Algérie qui l'ont lu, ont apprécié la nuance et la complexité que le livre veut restituer. Quant à la famille Boumendjel, les réactions des uns et des autres sont de l'ordre de l'intime : certains se sont montrés très émus, d'autres silencieux, certains l'ont lu d'une traite, d'autres l'ont cheminé avec hésitation. De façon générale toutefois, la publication d'un ouvrage de cette nature est potentiellement une affaire difficile, éventuellement douloureuse pour une famille : chacun des proches pouvait en attendre beaucoup (vérité, justice, apaisement) ; la publication peut être le moment où l'on prend conscience que le livre ne réalise pas forcément tout cela (car ce n'est pas forcément son but), que l'on n'est pas d'accord avec tout, qu'il reste des zones d'ombre. C'est le moment où les divergences entre les aspirations de l'historien(ne) et celles de la famille peuvent apparaître, mais aussi où toutes la richesse de la relation entre historien(ne) et témoins se concrétise.
-Quel écho trouverait chez vous le débat en Algérie sur la «réécriture» de l'histoire de la guerre d'Indépendance ?
Il me semble que l'écriture de l'histoire est un processus continu et non pas une vérité à laquelle on parvient tout d'un coup. Les questionnements et les approches d'aujourd'hui ne sont pas ceux qui avaient cours hier, et il existe toute une littérature extrêmement riche qu'il n'est pas nécessaire de «réécrire». En revanche, les historiens poursuivent leur travail : certains thèmes demeurent mal connus, voire tabous, et d'autres façons de voir les choses apparaissent aujourd'hui : l'apparition de récits individuels sont par exemple autant de sources nouvelles pour les historiens. Mais on a encore envie d'en savoir plus sur les groupes minoritaires et les identités marginales (les udmistes et les communistes dans la guerre, la guerre algéro-algérienne entre FLN et MNA, l'algérianité dans ses composantes juive, chrétienne et/ou européenne notamment).
Ces questions qui m'interrogent aujourd'hui paraîtront certainement obsolètes d'ici quelques années. Il est évident que dans ce travail d'écriture, les historiens ne sont jamais coupés des sociétés dans lesquelles ils écrivent. Les contraintes sociales qui influent sur le discours des témoins, eux-mêmes peuvent les ressentir, être influencés par elles, ou au contraire lutter pour s'en libérer. De ce point de vue-là, la question est davantage de savoir quelle est, dans les deux sociétés, algérienne et française, la façon dont on pense l'événement et en particulier l'usage politique qui en est fait à un moment donné.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.