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Le temps des grandes espérances
Sid Ali Abdelhamid. Membre du BP du PPA-MTLD 1947-1954
Publié dans El Watan le 19 - 01 - 2006

Il a gardé de la gymnastique qu'il a pratiquée dès l'enfance la rigueur et la détermination qui ont fait de lui un cadre efficace, et il a conservé de la politique, qu'il a découvert dès son adolescence, la souplesse de l'esprit et la précision de la pensée, propres aux grands pratiquants de cet art délicat qui se fait fort de gérer non la vie, mais le combat des hommes pour leur bien le plus précieux : leur liberté. Sid Ali Abdelhamid aura excellé dans les deux disciplines. Son engagement dans la lutte pour la cause nationale prend des allures de sacerdotales, tant sont profondes ses convictions.
Comment se sont déroulés vos premiers contacts avec le PPA ?
Malgré notre jeunesse, nous fréquentions les meetings animés par Messali ou par d'autres dirigeants du Parti. Mon contact avec le PPA s'est également établi quand, télégraphiste, j'amenais régulièrement des dépêches à son siège, rue du Liban. C'est comme ça que j'ai commencé, par exemple, à connaître physiquement qui était Hocine Lahouel, que je rencontrerai personnellement plus tard en 1946 après l'amnistie. Sans être adhérents, nous étions en immersion dans le Parti et dans ce milieu nationaliste en général. Puis vint la guerre. Les choses vont se précipiter pour nous. Notre prise de conscience est liée à cet événement et à ceux qui vont suivre. Personnellement, c'est grâce à Mohamed Taleb, qui était un des dirigeants du PPA et organisateur hors pair. C'est lui qui nous a pratiquement formés pour l'organisation et nous a intégré dans le Comité d'action révolutionnaire nord africain (Carna). Le Carna rassemblait un groupe de militants qui, déjà en 1938, avait pensé que la lutte pour la libération de l'Algérie devait aussi être menée par des moyens militaires. C'est à cette époque qu'une poignée de patriotes s'est rendue en Allemagne pour recevoir une préparation physique et technique en vue de former l'encadrement d'une éventuelle organisation armée future. Toutefois, les Allemands n'avaient pas tenu leur parole. Ils s'étaient engagés en effet à apporter une aide militaire, suite à la défaite des Français et à la collaboration de ces derniers avec les Nazis, cela ne s'est pas fait. En réalité, le régime hitlérien voulait utiliser les quelques militants comme informateurs. Pas dupes, ces derniers se sont aperçus de la manœuvre et ils ont refusé, d'aller plus en avant.
En son temps, l'action avait été condamnée par Messali...
C'est vrai, il avait désapprouvé cette action. Si elle venait à être éventée, il pensait que les Allemands utiliseraient peut-être cette collaboration, même passagère, comme une connivence et la retournerait contre le Mouvement nationaliste algérien. C'était très dangereux. Sur ce plan il avait raison. Néanmoins, il faut aussi comprendre l'idée des jeunes qui voulaient en découdre. Par-delà la nature de la démarche elle-même, ce qu'il faut retenir c'est que l'idée de la lutte armée n'est pas postérieure à mai 1945 et aux événements dramatiques liés à la terrible répression qui s'est abattue sur notre peuple. L'hypothèse était déjà ancrée chez certains militants. Au lendemain du débarquement des alliés en Algérie, plus exactement fin décembre 1942, sur l'initiative de Mohamed Taleb, un groupe de jeunes nationalistes s'est réuni à la medersa Er Rached, au 10 rue Médée, il était composé de Mahmoud Abdoun, Hocine Asselah, Cheikh Ahmed Benhocine, Ali Hallit, Abdelmalek Temmam, et moi-même. Nous étions sept, nous avions décidé de mettre sur pied une organisation des jeunes de La Casbah. Les premiers mots d'ordre que nous avions lancés étaient, d'abord de ne pas répondre au service militaire, combattre la conscription. Deuxièmement, combattre (plusieurs mois après) l'idée de la souscription lancée par le général Charles de Gaulle pour réunir un milliard de francs. Après la parution du Manifeste du peuple algérien, nous lui avons réservé une large diffusion après qu'il eut été dactylographié en plusieurs exemplaires par mon frère Boualem. Puis nous avons commencé à recruter d'autres jeunes, grâce justement à la medersa Er Rached où des cours d'arabe étaient dispensés. C'était un endroit idéal pour les rassembler et les sensibiliser. Nous travaillions aussi avec Ahmed Khetab et Hadj Hocine. Notre première manifestation était donc contre le recrutement. De son côté, le PPA, car notre groupe en était indépendant, luttait pareillement contre la conscription, puisqu'en en 1943 les autorités coloniales ont saisi ce grief pour procéder à l'arrestation de Benyoucef Ben Khedda, du docteur Lamine Debaghine, de Bencherchali, une notabilité de Blida (à ne pas confondre avec Hadj Mohamed Cherchalli), d'Arezki Djemâa, et d'Ahmed Merzerna. C'étaient les premiers éléments arrêtés. Ils ont été suivis le 30 septembre 1943 par Ferhat Abbas et Abdelkader Sayah, sur décision du général Georges Catroux, gouverneur général d'Algérie (1943-1944). A cette occasion nous avions donc décidé d'organiser une manifestation pour exiger leur libération.
L'idée des Amis du manifeste et de la liberté (AML) avait déjà été lancée...
L'idée seulement mais pas encore l'organisation. Il y a eu le contact entre Abbas et les élus, et les différents acteurs mais pas encore d'organisation. C'est d'ailleurs à cause de cette idée que Abbas sera placé en résidence surveillée. Pour revenir à mon propos, nous avions donc organisé une manifestation le jour de l'Aïd. Nous avions décidé de profiter de la sortie des mosquées Djamaâ El Kebir, Djamaâ Djedid, Djamaâ Es Safina, etc., pour lancer une action simultanée. Malheureusement les sermons des imams n'avaient pas tous la même durée et ne correspondaient pas au timing que nous nous étions fixé. Les uns étaient plus longs et d'autres plus courts que les autres. Nous nous sommes donc concentrés principalement sur Djamaâ Djedid où nous avions chargé Ali Fedhi, (qui deviendra à l'indépendance le célèbre aâmi Messaoud, animateur culturel à la télévision), de prononcer un discours. Nous avions empêché les fidèles de sortir pour les obliger à écouter. Pour ma part, je suis monté à Djamaâ Sidi Ramdhan pour faire inciter les prieurs à investir la rue. Là-bas aussi le cheikh Abou Yaâla avait allongé son prêche. J'ai fini par lancer notre appel et les gens y ont répondu et sont descendus. Arrivés rue du Divan, les manifestants ont été matraqués par la police. Si elle n'avait pas revêtu l'ampleur que nous avions souhaité, en tous cas nous avons marqué le coup. Pour la première fois et en pleine guerre, nous avions organisé une manifestation. Je précise que cette dernière s'est déroulée en septembre 1943 et non en février comme il m'a été donné de le lire. Cela a encouragé quelque temps après en 1944, toujours grâce aux jeunes, parmi eux Saïd Ladjali, et Ahmed Lamraoui qui était imprimeur, le lancement de l'idée de créer un journal. Lors d'une réunion restreinte tenue à La Casbah, impasse du Regard, dans la demeure de Mohamed Taleb qui nous a présentés les uns aux autres, il m'a dit : « Nous pouvons faire un journal. » Il restait donc à trouver le lieu. Nous l'avons trouvé. C'était une épicerie européenne qui nous avait été louée au 5, rue du capitaine Hilaire à Fontaine fraîche. J'ai été désigné pour en être le propriétaire. Naturellement, il fallait un nom. Entre-temps, j'étais recherché pour le service militaire. J'avais d'ailleurs démissionné des PTT pour, soi-disant, devancer l'appel. Ce qui bien entendu était faux. Lorsque, j'ai présenté ma lettre au responsable de la poste Nelson, je lui ai dit : « Je pars au service militaire. » Il m'a répondu : « Mais attendez de recevoir votre feuille d'appel. » Il ne savait, bien sûr pas, que j'étais déjà recherché. Je ne voulais pas être arrêté en plein travail. De là, je suis retourné travailler avec mon père. Le jour où il m'a demandé d'être responsable du magasin, je lui ai dit que j'allais me lancer, moi aussi, dans le commerce. Voilà une nouvelle qu'il a hautement appréciée, convaincu qu'il était que j'allais réellement faire du commerce. Pour moi ce n'était qu'une simple couverture. Revenons à notre projet de journal. Avec ce vaste magasin que nous avions loué, qui existe toujours d'ailleurs, il y avait un appartement et c'est au sous-sol que nous avons tiré le premier numéro de L'Action Algérienne.
Imprimer un journal dans la clandestinité, quand on connaît le maillage policier de l'époque, ne devait pas être une mince affaire
Pour son impression nous avions procédé de façon artisanale avec des taquoirs. Vous placez une feuille de papier sur la page composée manuellement et imprégnée d'encre, et avec cet outil qu'on appelle le taquoir on applique des petites tapes sur la feuille qui s'imprime. L'Action algérienne a été le premier journal algérien clandestin imprimé. Dans cette épicerie et pour parfaire la couverture, nous vendions même du vin aux Européens, pour dissiper tout soupçon. Imaginez, j'étais trésorier général d'une organisation qui diffusait l'Islam et la langue arabe et je vendais du vin ! Il est arrivé des circonstances où j'étais vraiment gêné alors qu'un parent était de passage. Mais ce camouflage était une nécessité. Nous ne sommes pas restés longtemps dans ce local. Nous avons transféré tout le matériel vers la rue d'Affreville, local qui appartenait à mon père. Il avait loué le lieu en question parce qu'il était asthmatique et qu'il ne pouvait pas habiter à la maison au boulevard de Verdun. J'ai donc été contraint de lui demander de me le céder, étant recherché militaire. Ce local, actuellement en instance d'être détruit, a également servi à l'impression du journal. Nous avions enregistré un progrès dans sa confection, au lieu du taquoir, grâce au typographe Lamraoui, nous utilisions un cylindre rempli de plomb que nous roulions sur la forme. C'était devenu une question de biceps et d'huile de coude en raison du poids du rouleau que nous manœuvrions à deux. Parmi les anecdotes, en octobre 1944, une information nous était parvenue qu'il y allait avoir des perquisitions chez des militants. Par mesure de sécurité j'avais pris un petit sac dans lequel j'avais mis quelques articles qui étaient en préparation et des d'autres objets parmi lesquels un revolver et je les ai dissimulés chez le boulanger, rue Marengo, auquel je faisais la comptabilité. Je devais aller chercher un chèque au port, car il vendait le pain au syndicat des dockers. Entre-temps les inspecteurs des fraudes étaient passés par hasard pour contrôler la farine. Ahmed Merzougui, le vendeur, en voyant des Européens rentrer, s'est empressé de jeter le sac qui contenait les affaires que j'avais cachées dans un sac de farine. Les inspecteurs ont vu son geste, ils pensaient qu'il venait de camoufler quelque chose lié à la farine. Lorsqu'ils ont fouillé, ils ont trouvé un revolver et les autres affaires. Bien sûr, ils en ont informé la police. A celle-ci le vendeur a dit que ces affaires étaient les miennes et que j'allais entrer vers midi. Lorsque je suis revenu, il m'a prévenu de leur visite et au moment où je ressortais, ils entraient. Ahmed Merzougui, que Dieu ait son âme, a fait preuve d'un grand courage, il ne leur a pas dit qui j'étais. Je suis donc sorti tranquillement et c'est comme ça qu'à partir d'octobre 1944 j'étais recherché pour l'imprimerie. Malheureusement dans le sac il y avait des articles de Ben Ali Boukort, ancien secrétaire général du PCA avant 1939 et de Hocine Lahouel dont la police connaissait les écritures, puisque auparavant ils ont eu l'occasion de les lire et de se familiariser, d'autant qu'ils écrivaient beaucoup.
Que leur est-il arrivé ?
Ils ont été arrêtés. Lahouel a été ramené de Mécheria où 'il était interné. Il dira lui-même, ensuite : « ça m'a fait du bien, ils m'ont sorti de la prison de Mécheria pour la prison militaire. » Donc je continuais à m'occuper du journal que j'imprimais, et je couchais sur le lieu même. C'était pénible, il n'y avait ni toilettes ni aucune commodité. Tout se faisait dans un seau. La police allait chez moi toutes les 24 heures. Ils n'arrêtaient pas leur va-et-vient avec un tas de ruses pour piéger mes parents et les inciter à commettre le faux pas qui les renseignerait sur mon refuge. Ils apportaient par exemple un collier en disant : « Un ami nous a envoyé ce collier pour Sid- Ali et nous voudrions le lui remettre personnellement. » Naturellement ma mère n'était pas dupe. Le 24 décembre 1944, le soir du réveillon de Noël, nous devions voler des caractères de l'imprimerie Heints, située rue Mogador avec Ahcène Hamma, Youcef Hammoud, le fils du propriétaire de la limonaderie et Ladjali. Je portais une pèlerine des PTT avec boutons dorés. Une Française qui avait été victime d'un vol m'a confondu avec un policier et m'a appelé. « Monsieur l'agent ! Monsieur l'agent ! » J'ai dit à mes compagnons : « La police va intervenir d'un moment à l'autre mieux vaut décrocher. » Le cambriolage a donc été reporté pour le réveillon de la Saint Sylvestre. Entre-temps, un matin, alors que je manipulais mon revolver, un 9 mm, une balle est partie me blessant à l'avant-bras et au poignet. Un accident. Le sang coulait. A l'aide de papier et d'une serviette je me suis fait un pansement de fortune. Puis, j'ai pris le soin d'écrire sur un petit bout de papier : « Ceci est un accident. C'est en manipulant mon arme que je me suis blessé. » Dans mon esprit, je m'étais dit qu'au cas où je viendrais à mourir, personne ne dira que je me suis suicidé. L'agent de liaison ne venait que le soir. Les compagnons m'ont ensuite emmené chez le docteur Lamine Debaghine à Kouba qui m'a suturé, puis j'ai été conduit à la rue Socgema (Souk El Djemaâ), dans un autre refuge où le docteur Chawki Mostefaï venait me soigner. Toujours recherché, j'ai passé quelque temps à Aïn Taya dans la propriété des Hafiz où également était caché Ali Fedhi. Je suis ensuite revenu au local pour continuer le tirage du journal.
Comment procédiez-vous pour la diffusion ?
Son routage se faisait rue des Abdérames, un lieu proche de l'endroit où nous le tirions. Les journaux étaient diffusés par des agents de liaison lesquels les transportaient dans des valises vers le Constantinois et l'Oranais. C'était risqué. Hassan Askri, Ahmed Haddanou, dit El Kaba, et Lounas s'en chargeaient. Le risque était d'autant plus grand que nous étions en pleine guerre. Mais hélas un regrettable incident devait survenir. Nous avions donné un paquet d'exemplaires à Abdelkader Safiri, l'acteur, afin qu'il le remette à Mohamed Khider qui était à Aumale (Sour El Ghozlane). En arrivant les journaux luisont tombés des mains devant les gendarmes. Ils s'en sont saisi et l'ont arrêté. C'est ainsi qu'ils ont fait revenir Khider à la prison militaire et il a écopé de 20 ans de travaux forcés, rejoignant Lahouel, Ouamrane et beaucoup d'autres. Nous voilà encore une fois dans l'obligation de transférer « l'imprimerie ». Notre choix s'est porté sur une villa située rue Fontaine fraîche, villa qui appartenait à Ahmed Lazreg. Nous étions en plein préparatifs, lorsqu'un jour le propriétaire venu subitement nous dire qu'il fallait évacuer d'urgence la villa parce que la police allait opérer une descente. Avec le recul nous avions commis l'erreur de nous débarrasser des caractères en les jetant dans un puits avant de sortir en cette nuit du 18 mai 1945 à 2 h, alors que la police était sur les dents en raison des événements. Nous aurions dû, Saïd Ladjali et moi, attendre le matin, mais nous nous étions impatientés par l'insistance du propriétaire de la villa. Au moment où nous sommes arrivés devant un bar à l'enseigne Le café de la Treille, a proximité de l'actuel ministère de la Défense nationale, nous avons vu monter un fourgon de police. Au niveau de la rue Armand Mesplez, la première rue qui descend rejoindre la rue du Petit Thouar, j'ai dit à Saïd Ladjali de prendre sur la droite et de nous séparer. En descendant, dans mon esprit, il y avait une autre rue qui donnait sur la droite. Je ne l'ai pas empruntée, je me suis engagé dans une impasse. En revenant sur mes pas, je me trouve face à un policier, sans hésitation je prends mon revolver et je tire. L'arme s'enraye, je poursuis ma course et fonce sur lui en lui donnant un violent coup d'épaule. Il culbute, je m'en débarrasse. En cascadeur, je dégringole quatre à quatre les escaliers rue du Petit Thouar. La peur donne des ailes. Dans ces moments-là il n'y a pas de courage. Il n'y a que l'instinct de survie qui nous guide. Le pauvre Saïd a été rattrapé et tué sur place. Tout en imprimant le journal, Saïd était en même temps, secrétaire de la section du Parti communiste algérien (PCA) de La Casbah. C'est un élément que nous avions infiltré dans le PCA qui nous informait. Le lendemain...
... Ce genre de pratique était-il courant ?
Oui, il nous arrivait d'infiltrer des éléments... Le lendemain donc la presse en a parlé. En soulignant que c'était un militant du Parti communiste. Ce dernier a protesté en qualifiant ces propos et commentaires de provocation de la police. Le PCA lui a réservé des funérailles grandioses que toute la presse a couvertes. A partir de ce moment-là le journal a cessé de paraître.
Combien de temps a duré la parution du journal ?
Sept mois. Difficile à dire, à peu près sept à huit numéros.
Quelles étaient les signatures les plus fréquentes ?
Benali Boukort, Mohamed Ghersi, Hocine Lahouel, Mostefa Lacheraf, Kaddour Sator et d'autres. Il m'est arrivé d'aller chercher les articles chez Lacheraf, rue Richelieu, chez Sator dans son cabinet d'avocat. Entre-temps en 1943, Chadly El Mekki, jusque-là en détention, avait été libéré. Ce dernier était un ami de Omar Hamza, ancien dirigeant du PPA qui était parmi notre groupe. Il en a parlé par l'intermédiaire de Ahmed Bouda à Messali en 1944. Celui-ci en avait bien reçu quelques échos. Il a ainsi accepté l'intégration du Carna dans la direction du PPA. C'est comme ça qu'en 1944 Mohamed Taleb et Mahmoud Abdoun ont été les premiers éléments à réintégrer la direction du PPA, suivis par la Hadj Mohamed Cherchalli et Asselah Hocine. Certains vieux militants se sont retirés pour céder la place aux plus jeunes. Ce qui fait que la direction en 1944 était composée de : Mahmoud Abdoun, Hocine Asselah, Hadj Mohamed Cherchalli, Lamine Debaghine, Chawki Mostefaï et Mohamed Taleb. Le Carna n'existait plus. Ne restait que le PPA. Par ailleurs, nous avions une puissante section de jeunes à La Casbah et une autre section à Belcourt laquelle avait déjà intégré le PPA. Vers le milieu de l'année 1944, Mohamed Taleb et Ahmed Bouda ont décidé d'unifier ces sections. C'est ainsi que s'est tenue à Belcourt une réunion chez Saâd Charef à laquelle ont assisté Saïd Amrani et Abderrahmane Taleb représentant les jeunes de La Casbah et Saâd Charef et Mohamed Belouizdad qui représentaient les jeunes de Belcourt. Il y a eu fusion de tous les jeunes et une direction a été dégagée avec à la tête Saïd Amrani et son adjoint Mohamed Belouizdad. Quant à moi, j'étais toujours recherché. Cette clandestinité me donnait moins d'activité au niveau de l'organisation. J'ai néanmoins assisté à des discussions, à des débats surtout après les massacres du 8 mai 1945. Selon les informations que je tiens de Abdelkader Hammouda, responsable d'Alger-Casbah, la préparation des manifestations du 1er mai 1945, dans la capitale, contrairement à ce qu'a écrit Hocine Aït Ahmed, a été précédée de trois réunions préparatoires. Deux se sont déroulées à Belcourt, l'une chez Mohamed Zekkal, l'autre chez Mohammed Dekkar et la troisième chez Arezki Djemaâ à La Casbah. Elles avaient été dirigées par Hocine Asselah, Mahmoud Abdoune Saïd Amrani, Ahmed Bouda, Arezki Djemaâ. Ont pris part : Hammouda, Chergui et Mohamed Fissah pour Alger-Casbah ; Belouizdad et Ghazali Belhafaf pour Belcourt ; Khétib pour Hussein Dey, Abdelkader Ziar pour Saint Eugène. Le cortège qui s'ébranlait de la rue Marengo était mené par Hammouda, celui de la place du Gouvernement (aujourd'hui place des Martyrs) par Ziar et Belhafaf. En outre, contrairement à ce que certains ont affirmé, ces manifestations du 1er mai n'étaient pas liées aux événements de Chellala. Non, le 1er mai était déjà préparé par la direction dans le but de démontrer la force du PPA vis-à-vis du parti communiste, parce que ce dernier voulait un défilé global, tandis que le PPA, pour démontrer sa représentativité, a appelé à un défilé exclusivement PPA. Il devait se dérouler dans l'après-midi. Les réunions de préparation se sont tenues avant le 18 avril et entre cette date et le 1er mai il n'y a que 12 jours. On ne prépare pas en 12 jours une manifestation d'une telle importance. Certes, l'affaire de Chellala est venue se greffer. Beaucoup croient que le 1er mai a été organisé pour protester contre l'éloignement de Messali. L'objectif était une démonstration de force du PPA. On oublie souvent également que le 1er mai a précédé le 8 mai. Alger n'a pas manifesté le 8 mai car des instructions ont été données dans ce sens.
Après les terribles événements, les activités se sont ralenties...
Lorsque je suis arrivé au local après le 8 mai, il y avait Hocine Asselah, Hadj Ahmed Cherchalli, Chawki Mostefaï, Saïd Amrani, j'ai appris que des instructions ont été données pour contrecarrer la répression. Pour cela, ils ont décidé de l'ordre de l'insurrection généralisée. Naturellement plus tard, quand ils ont appris que les choses s'étaient plus ou moins calmées, il y a eu un contrordre. Malheureusement le contrordre n'est pas parvenu comme il se doit, principalement en Kabylie. Ce sont les événements que les militants de la Kabylie reprochaient au Parti. Cette question a d'ailleurs été soulevée lors du Congrès du PPA en 1947 où Chawki Mostefaï, un des participants à la décision de l'ordre et du contrordre, a défendu la position du Parti. Les éléments de la Kabylie voulaient discuter d'abord de l'ordre et ensuite passer au vote, ce à quoi Chawki a répondu que le vote doit concerner l'ordre et le contrordre. Lorsque vous expliquez le principe qu'il fallait faire quelque chose, vous êtes obligés d'accepter le principe de l'ordre. Mais par la suite pour ne pas sacrifier des vies, vous admettez qu'il y a lieu de donner le contrordre.
Ne pensez-vous pas que c'était une aventure ?
Quand vous êtes dans le bain, quand vous êtes devant une population qui subit la répression, quand vous êtes face à une population qui souffre dans sa chair, votre responsabilité est de faire quelque chose. Je n'étais pas encore, personnellement, dans la direction à l'époque, mais il faut comprendre que lorsque vous vous trouvez dans une situation aussi difficile, vous devez agir. Il y des gens qui sont réprimés, des gens qui se font tuer, vous ne pouvez pas croiser les bras et regarder.
Les militants étaient-ils prêts pour une insurrection ?
Cinquante ans après c'est facile de... Si vous prenez le 1er Novembre 1954, selon les données objectives était-ce bien raisonnable de se lancer ainsi dans la lutte armée.
En tous les cas plus raisonnable qu'en 1945...
...Il ne faut pas oublier qu'il y avait une scission du Parti et que les militants étaient divisés. Le risque était aussi important. Si vous ne faites rien devant de tels défis, les militants vous condamnent. Mais quand vous agissez, il y a un très grand risque. Le choix est délicat et difficile. En 1944 aussi l'idée nationaliste était très forte.
Ne pensez-vous pas que les AML étaient une occasion perdue ?
Les AML n'étaient qu'une démarche. C'était certes un front avant l'heure, puisqu'ils réunissaient les indépendantistes du PPA, qui en étaient la cheville ouvrière sur le plan organique, les libéraux de Abbas et les ouléma. Etant dans la clandestinité, je n'ai pas vécu cette phase. Mais selon les rapports que je lisais, selon les informations qui me parvenaient, ce mouvement était un mouvement de masse plus vaste que le 1er Novembre. Comme mouvement c'était important. Plus facile à entraîner dans l'action.
Le déclenchement était plus aisé...
Seulement, nous avons oublié que l'adversaire, lui, se préparait. Il y a eu plusieurs déclarations faisant état d'événements prochains, de la dissolution d'un grand parti. Souvent, on néglige la position de l'adversaire. Quand vous êtes devant des situations difficiles, ce n'est pas facile de diriger un mouvement, d'autant plus que votre adversaire dispose de tous les moyens pour vous neutraliser. N'oubliez pas que le Parti n'a pas toujours eu la masse d'intellectuels nécessaires à la production d'une pensée politique. Parmi les militants certains étaient peut-être des universitaires, mais ce ne sont pas des doctrinaires, des gens avec une formation poussée, une expérience importante. La pratique nous l'avons acquise au fur et à mesure sur le terrain. L'expérience du mouvement national était encore récente. 1936-1946 dix ans à peine. Si vous prenez en Russie le Parti communiste soviétique, par exemple, il vient de loin...regardez combien d'années ! Quant à nous, si vous comptez avec la guerre qui a paralysé le mouvement de 1939 jusqu'à 1942, déjà trois années, avec les arrestations des militants condamnés aux travaux forcés. ça compte tout cela. Cela vous donne à réfléchir. Je tiens personnellement à rendre hommage aux militants qui ont été condamnés en 1941. C'étaient des cadres de l'Algérie. Des militants de Tébessa, de Constantine, d'Alger, de Blida, d'Oran et j'en passe. Du jour au lendemain tout l'encadrement a été neutralisé. L'organisation décapitée. Pour former un militant il faut des années... quant à former un cadre ... ! Surtout que nous avions le niveau du primaire avec un certificat d'études, des niveaux du cours moyen deuxième année. Où sont les bacheliers ? Les Licenciés ? Il n'y en a pas. Les seuls à la tête du Parti étaient le docteur Lamine Debaghine et Benyoucef Ben Khedda et encore c'étaient des étudiants.
Quand êtes-vous sorti de la clandestinité ?
Juste après l'amnistie de 1946. A ce moment-là j'ai été désigné comme responsable du Grand-Alger, c'est-à-dire de Guyotville (Aïn Bénian) jusqu'à Rouiba et jusqu'à Saint Ferdinand (Souidania) de 1946, jusqu'après le Congrès de 1947 où j'ai été désigné, en novembre, au Bureau politique et trésorier du Parti. Après 1946, le Parti a repris de plus bel ses activités. Il a pensé sa réorganisation, renforcé ses structures par un apport en jeunes militants actifs. C'est également en 1946 qu'a été fondée l'Association des femmes musulmanes (AFM) présidée par Mamya Adli épouse Chentouf et qui sera animée par Salima Belhafaf épouse Ben Khedda, la sœur de Belhafaf qui est tombé lors de la manifestation du 1er mai 1945. Mina Bouamer épouse Boumaâza ; Kheïra Bouayad épouse Mostefaï, Nefissa Hammoud épouse Laliam, elle avait été la première femme médecin au maquis en 1955. Il y avait aussi parmi elles Malika Mefti épouse Khène ; Baya Nouari épouse Mabrouki ; Zhor Reguimi épouse Cherchalli ; Zohra Tobiche épouse Bencheikh et Fatima Zekkal épouse Benosman. Cette organisation, avec laquelle j'étais en contact de 1950 jusqu'à la scission en 1953, diffusait les mots d'ordre du Parti et s'occupait d'action sociale. Il y a lieu de souligner également l'aide du Parti aux étudiants qui organisaient souvent des tournées théâtrales. Avec la venue de Messali a été prise la décision de participer aux élections à l'assemblée nationale. C'est là où les jeunes d'Alger ont fourni un gros effort. Nous les avons dépêchés partout dans les trois départements que comptait le territoire, selon le découpage administratif colonial, pour renforcer l'organisation. Dans les Aurès, en Kabylie, dans l'Oranie, ils participaient avec les éléments locaux à l'animation des campagnes électorales pour l'Assemblée française de novembre 1946 où nous obtiendrons 5 sièges. On les a aussi envoyés pour les élections des conseils municipaux d'octobre 1947 où nous avons obtenu la totalité des sièges dans les grandes villes d'Algérie. De même qu'en 1948 pour les élections des 4 et 11 avril. Et enfin les élections de 17 juin 1951. En 1946 les critiques portaient sur la participation à l'Assemblée française. Les uns défendaient l'abstention. N'étant pas encore au Comité central, je n'avais pas assisté à cette réunion, mais j'ai appris qu'une dure discussion a opposé ceux qui étaient partisans de la participation aux élections comme un moyen de diffuser les mots d'ordre du Parti et ceux qui s'y opposaient en disant que c'est trop rapide et qu'avant de passer à l'assemblée il faudrait passer par les conseils municipaux. Comme Lahouel, par exemple, qui préférait passer par l'étape des municipales puis arriver à l'assemblée. En définitive quand le Parti a décidé de participer, la discipline a prévalu et tout le monde s'est plié à la volonté du Parti. En premier Lahouel, qui était contre, a été un des meilleurs défenseurs de la participation.
Dans nos prochaines éditions, la suite de l'entretien avec Sid Ali Abdelhamid, qui évoquera le congrès PPA-MTLD de 1947, la création et le démantèlement de l'OS, la scission du PPA-MTLD à la veille du 1er novembre 1954


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