Mardi 22 novembre, 14h. Une après-midi grise et pluvieuse à Si Mustapha, chef-lieu de commune, à une cinquantaine de kilomètres à l'est d'Alger, dans la wilaya de Boumerdès. Il pleut des trombes d'eau, la ville est quasiment déserte. Tout le monde s'abrite. La circulation piétonne s'arrête le temps que l'averse passe. Et l'animation reprend soudainement dès l'accalmie revenue. Les intempéries régulent ainsi une vie déjà très alourdie par l'insécurité. Ici on ne rentre et ne sort pas comme on veut : il faut redoubler de vigilance. «Nous prenons les précautions les plus élémentaires. Nous évitons de sortir très tôt ou de rentrer très tard, dans l'obscurité. Mais les terroristes n'agissent pas que dans le noir. Ils frappent même pendant la journée», nous dit un commerçant du centre-ville. En effet, il ne se passe pas une semaine sans qu'on enregistre un acte terroriste dans la région. Ceci va d'une simple incursion à des assassinats ou des attentats à la bombe artisanale. La population a d'ailleurs eu à dénoncer, la veille, un acte terroriste qui a coûté la vie à deux citoyens le week-end dernier. Les habitants du village agricole Boudhar rejoints par d'autres villageois ne supportant plus la pression terroriste, qui empoisonne leur quotidien, avaient fermé les routes de la localité à la circulation. Ils protestaient contre la multiplication des actes terroristes et réclamaient plus de sécurité. «Des hommes se font enlever ou tuer depuis des années sans que l'Etat ne trouve la parade. Nous sommes abandonnés à notre sort, voire livrés aux terroristes», dénonce Saïd, enseignant dans un collège. Cette action de protestation rappelle celle organisée à Baghlia au printemps de l'année passée pour réclamer la sécurité. Là aussi, la population subit le terrorisme et se sent abandonnée. La région de Si Mustapha est au cœur d'une zone fortement touchée par le terrorisme. Des monts de Thénia jusqu'à Mizrana (Dellys), sur le territoire de la wilaya de Boumerdès, le terrorisme frappe sans répit. «Pendant les années 1990 et 2000, plus d'une trentaine d'habitants du village Boudhar ont pris le maquis. La majorité a été éliminée, mais il reste une dizaine d'éléments qui continuent à semer la terreur au sein de la population», nous dit un habitant qui a requis l'anonymat. «Ici, ni la concorde civile ni la réconciliation nationale n'ont eu d'effet bénéfique. Pis, il y a recrudescence du terrorisme depuis que l'Etat a tendu la main à ces criminels», ajoute notre interlocuteur. L'action des patriotes entravée Les restrictions imposées ces dernières années sur l'action des patriotes ont grandement favorisé l'activité terroriste dans cette région, selon plusieurs témoignages. «Il y avait un nombre très important de patriotes dans ce village, et ailleurs dans la région. Mais beaucoup ont été désarmés ou découragés et dissuadés de poursuivre la lutte. Ainsi, ils sont devenus des proies faciles aux terroristes qui viennent les éliminer un par un», nous dit un militant d'un parti politique. «Le problème c'est que les gens se connaissent tous dans ce village. Dès qu'un habitant est fragilisé, pour avoir cessé son travail ou pour avoir rendu son arme, il est ciblé. Des gardes communaux, d'anciens patriotes, de simples citoyens soupçonnés de collaborer avec les services de sécurité sont simplement éliminés.» Le problème persiste depuis le début des années 2000. «Il y a une année, nous avions organisé une manifestation en coupant la route reliant Si Mustapha à Zemmouri et qui traverse notre village pour exiger l'installation d'un détachement de la garde communale ou d'un autre corps de sécurité au niveau de notre village. On nous a promis de prendre en charge notre doléance, mais depuis rien n'a été fait», dénonce un jeune de 27 ans qui dit avoir pris part à la manifestation de la veille. Pour lui «la situation est explosive parce que les habitants sont dans l'insécurité». Le malaise est aussi social «Le malaise est aussi social», estiment de nombreux habitants. A. Tahar, commerçant au centre-ville, pense qu'en plus de l'insécurité, les habitants sont poussés à la manifestation de rue par l'«injustice et la mauvaise situation sociale». «L'injustice est visible partout : du plus simple acte de gestion aux décisions les plus importantes. Toute distribution d'avantages ou de biens est entachée d'irrégularités. A commencer par l'insignifiant couffin du Ramadhan. Sans parler des logements, des postes d'emploi et autres.» En effet, de nombreux jeunes soulèvent le problème du chômage et dénoncent le «discours officiel qui soutient que le taux de chômage est de 12%». «Dites à ces ministres qui déclarent que le taux de chômage est de 12% de se rendre dans les foyers de Si Mustapha et dans toutes les zones rurales de l'Algérie pour constater que le chômage dépasse les 60%. Nous sommes une famille de 10 membres. Mon père, ma mère, mes trois sœurs et deux de mes frères ne travaillent pas. Je suis étudiant en fin de cycle et je risque de rejoindre tout ce monde», dit Saïd, 26 ans, étudiant en droit. Le président de l'APC de Si Mustapha, Ali Boudhar, partage l'avis et le souci de ses concitoyens. «La situation est difficile. Les assassinats, les enlèvements et autres attentats exacerbent la colère de la population. Je n'étais pas ici le jour de la manifestation, j'ai appris après coup que les citoyens étaient sortis fermer la RN12 et d'autres routes de la ville. Une délégation a été reçue par les responsables compétents en matière de sécurité au niveau de la daïra, et j'ignore ce qui a découlé de la rencontre», dit-il. Et d'ajouter : «Nous ne sommes pas habilités à résoudre des problèmes d'ordre sécuritaire. Sur le plan social et dans le chapitre de développement local, je peux soutenir que 85% des problèmes soulevés par les habitants de Boudhar ont été réglés.»