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L'immolation comme passage à l'acte pour exister comme sujet(1)
Point de vue point de vue
Publié dans El Watan le 26 - 02 - 2012


Mohammed Karim Abboub*
Faire corps avec la vie, c'est exister psychiquement et physiquement. Dans cette tentative d'analyse des cas d'immolation de jeunes algériens rapportés par la presse algérienne, Il s'agit ici d'essayer de rendre intelligible ce qui s'avance, ce qui se donne à voir et à entendre comme symptômes de la société algérienne.
L'analyse des causes et des circonstances du phénomène des immolations est qu'il s'agit de séquences récurrentes et au quotidien, faites de tracasseries, de contraintes et d'humiliations «hogra», telles des déferlantes d'atteintes à l'intimité physique et psychique et qui submergent le sujet. Elles seraient la cause du passage à l'acte de s'immoler. C'est un attentat contre soi. C'est l'acte politique ultime de protestation et de dénonciation. S'immoler est un cri muet de chagrin mêlé de sidération. «Quand on ne peut pas dire, on montre», disait L. Wittgenstein. Au-delà des apparences trompeuses, la société algérienne végète dans les non-dits. Les flammes nourries par la combustion des corps énoncent tragiquement cette impasse du «vivre-ensemble» qui est advenue du corps sociétal atomisé par ses non-dits.
Immoler, c'est offrir un sacrifice. Acte sacrificiel où l'officiant et l'objet sacrifié font corps, à la mesure de la violence et du dénuement psychique auquel le sujet algérien est livré à la pathologie du refoulement. Situé en dehors du registre du symbolique, le passage à l'acte implique que le sujet franchit une limite au-delà de laquelle, chutant dans le réel, il s'efface tout entier dans son acte, révélant ainsi aux autres et à lui-même ses manques et surtout sa défaite. Avec son acte, le sujet se dilue dans l'espace public. Ici, la problématique de l'identité est au cœur du malaise de la société algérienne. Les corps carbonisés interrogent la transmission et la filiation. Ni présent ni en devenir, le jeune Algérien est dans une instabilité identitaire avec une filiation symbolique altérée. Il vit sans rien en étant rien, comme des cendres qui se consument.
Brûler son corps est une offrande sacrificielle, un moyen de signifier symboliquement que la pulsion de mort est la seule issue pour exister en supprimant le présent et l'avenir. Il s'agit d'un retournement contre soi d'une violence psychique, sociale et économique. «Heureux celui qui plane sur la vie et comprend sans effort le langage des fleurs et des choses muettes», disait Baudelaire.
S'immoler est une parole. Cette parole est prise en son nom propre, n'engageant que soi, un geste pour dire son désir propre de vivre hors du groupe. Renaître, sacrifier son corps à son corps défendant. Marquer l'autre dans un geste désespéré de vivre après la mort. Une dignité retrouvée après un passage à l'acte horrible. Les corps brûlés témoignent des non-dits. Tous les témoignages soulignent cette place de rien et de vide des jeunes Algériens qui se sont immolés.
Les corps brûlés témoignent des non-dits. Le passage à l'acte apparaît le plus souvent comme un acte dont on ne peut rien dire. On peut parler de ce qui précède, non de l'acte lui-même. Le sujet semble hors de lui ; la famille ou l'entourage disent : «Ce n'était pas lui, on ne le reconnaît pas.» On parle de vide, de trou. Ainsi, ce moment est souvent compris comme un moment psychotique. Nous remarquons, à partir de notre expérience clinique quotidienne, que certains agissements d'adolescents signifient «un vide nucléaire», «un gouffre de non-être» avec une angoisse de néantisation où prévalent des défenses psychotiques.
Ici, le passage à l'acte est du côté de l'aliénation : passage à l'acte - aliénation - répétition.
Le passage à l'acte serait le passage du symbolique dans le réel. Il n'y aurait là rien qui concerne la dimension imaginaire. La confrontation avec le réel est la rencontre du sens avec l'objet du désir, ce qui produit un effet d'angoisse et, au delà du langage, impose la motricité qui pourrait alors s'effectuer sous deux formes : celle du passage à l'acte en tant que franchissement de la scène vers le réel où il y aurait identification à l'objet du désir ; celle de l'acting-out, qui ne serait pas un saut dans le réel, mais une fuite par rapport à l'objet du désir. Ce serait alors un discours qui s'adresserait a l'autre, avec persistance de la dimension imaginaire. L'acting-out se montre, reste sur la scène, s'adresse à l'autre.
Le passage à l'acte appartient aux formations produites par forclusion par un sujet fragmenté, comme dans la psychose. Un sujet qui s'immole peut être projeté dans un passage à l'acte par un mécanisme de forclusion sur un point précis, mais fonctionner par ailleurs sur un mode névrotique. Il ne s'agit pas forcément d'un sujet à structure psychotique comme sont tentés d'affirmer les experts psychiatres, s'ils ne se placent qu'au moment du passage à l'acte.
Au cours d'un événement particulier, le signifiant «Nom-du-Père» est appelé, mais le vide répond à cet appel (ce point-là n'est pas symbolisé, ce signifiant est forclos), rien ne vient et le sujet tombe dans un trou psychique et passe à l'acte. Ainsi, certains passages à l'acte apparaissent comme «un trou», une discontinuité dans la réalité du sujet.
Pour Freud, dans son article «Deuil et mélancolie», la mélancolie se rapporterait à une perte de l'objet qui est soustraite à la conscience. Contrairement au deuil, dans la mélancolie on peut clairement reconnaître ce qui a été perdu. «Dans le deuil, le monde est devenu pauvre et vide ; dans la mélancolie, c'est le moi lui-même.» (page 152)
Les jeunes ne parlent de rien : agglutinés à la chose, ils sont sans objet. Ils sont rien sans rien. Ils tiennent les murs du matin au soir. Le gouffre s'installe entre eux et le reste de la société. Ils sont insignifiants pour leur famille comme pour la société. Ils sont exilés d'eux-mêmes ; des objets, des choses (haya). Ils sont déniés. Ils sont un non-sens. Ils ne sont pas liés par une filiation, une transmission psychique ; ils en sont délestés et leurs actes remplacent des mots. Ainsi, nous pouvons comprendre le lien entre l'acte de s'immoler, qui a lieu quand un sujet est destitué de sa position de sujet au profit de celle d'objet de jouissance, et le mélancolique qui est dans un gouffre du non-être dont le moi devient cet objet perdu. Les signifiants sont ressentis comme vides.
Les exemples cliniques abondent dans ce sens en donnant à entendre le mécanisme du passage à l'acte, l'état dépressif, voire mélancolique. Tout cela traduit une fusion avec la mère dont la séparation entraîne dépersonnalisation et vide. Ici, pas de père pour séparer. Il est «forclos», absent et souvent silencieux.
Violence et sacrifice sont là pour indiquer le fantasme de la relation primordiale à la mère. L'immolation du corps est corrélative du fantasme de la relation à la mère. Un retour du refoulé. C'est une représentation inconsciente du fantasme fondamental : l'amour de la mère pour le fils et du fils pour sa mère. Le corps et l'inconscient des jeunes Algériens restent un corps possédé, accaparé par la mère.
Dialogue entre une mère et son fils rapporté par un journaliste d'El Watan, concernant l'immolation du jeune Ramdhane : «Pourquoi mon fils tu as fait ça ?» Réponse du fils avant de mourir : «Mel fokr oue digoutage (c'est la misère et le dégoût) qui m'ont poussé à le faire.» Et il ajoute : «Hazini leddar ou kamli aliya» (emmène-moi à la maison et achève-moi).
Nous savons que l'inconscient a des effets sur le corps. Le corps est un effet de la parole. La constitution de l'image du corps est un effet qui vient du symbolique. Faire corps, c'est un désir d'agrégation sociale et politique. Le corps est pris dans sa dimension de violence et de sexualité. Le corps qui brûle est un corps martyr, du grec «martur» qui signifie témoin. Le corps carbonisé, c'est pour faire évènement, vie, sens et sensation. Se brûler est un moyen de se soustraire aux pouvoirs tout en interpellant ces pouvoirs sur le désir de vivre, de vivre digne, reconnu comme sujet algérien.
* Psychanalyste (Paris - janvier 2012)
(1) Communication faite dans le cadre du séminaire «Psychanalyse et sociétés méditerranéennes» à Rome le 27 janvier 2012.


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