Il s'appelle Krimo. Il n'a pas de limites, surtout quand il est en voiture. Il est «taxieur» et affirme solennellement que la musique classique n'est pas le genre idéal pour faire le deuil du président Chadli : «Faut de la country, kho ! Un bon Flying Burritos brother, Devil in disguise, c'est excellent !» Oui, pourquoi pas ! Depuis six jours, c'est le calme plat côté manifestations culturelles. En même temps, ça ne nous change pas de notre quotidien. Radio et TV offrent du coran, différentes symphonies pensées par Mozart, Vivaldi et autres Haëndel. A côté de ça, le deuil insaisissable et tenace qui envahit le quotidien algérien. C'est un sacerdoce et nous sommes contraints de l'accepter. La vie doit s'arrêter sinon c'est de l'irrespect. Donc, on déprogramme tout et on essaie de ne pas choquer. Qui ? Les autres. Et les Algériens dans tout ça ? Bah rien ! Krimo continue inlassablement d'écouter sa country dans sa voiture, des collègues chantonnent sur du chaâbi et des potes cinéphiles se réunissent pour mater en projection privée quelques films indémodables. Officiellement, l'Algérie ne vit plus. Officieusement, «dorénavant, ce sera comme avant», disait Baâziz. Mais jouons le jeu deux minutes ! Au lieu de nous infliger que des élans mortuaires, proposons des choses liées à la mort. Histoire d'en rire. Programmons à la radio un Top 10 des plus belles chansons sur l'au-delà (You can't always get what's you want des Rolling Stones ou bien Sunday Morning du Velvet Underground), que la télé diffuse Le Testament d'Orphée, de Jean Cocteau ou Beetlejuice, de Tim Burton, qu'il y ait du théâtre de rue (Hamlet ou Macbeth, c'est adorablement effrayant), ou bien que nous nous déguisions en zombies (cela nous changera du mouton), genre Halloween en puissance ! On peut toujours rêver ! Il y a toujours un moyen de porter le deuil, toujours une manière d'accepter la mort d'un proche, mais généralement on le fait en privé, chez soi, seul. Dans ce cas de figure, la collectivité n'a jamais donné de suite favorable. Comme le disait William Shakespeare dans la bouche de Richard III : «Je peux tuer et sourire en même temps.»