Deux mois après avoir remporté sa médaille olympique, Taoufik Makhloufi est devenu une star. Salué dans la rue, sollicité par les médias, engagé par les publicitaires, il revient pour El Watan Week-end sur les coulisses de sa réussite. -On suppose que depuis votre médaille d'or aux JO, vous n'avez plus une minute à vous… Après la médaille d'or, beaucoup de choses ont changé pour moi. C'est vrai que ma situation s'est améliorée, mais j'ai désormais plus de responsabilités au sein de la société et envers les jeunes. J'espère bien être un exemple de réussite pour ces derniers dans la concrétisation de leurs projets. -Donc, vous ne refusez pas les différentes sollicitations ? Non, pas du tout. Puisque que je n'ai pas une grande charge d'entraînement actuellement, j'essaie de répondre favorablement aux sollicitations de différentes associations, écoles ou autre. C'est vrai que je fais des sacrifices, mais j'essaie de donner à chacun un peu de mon temps. -Quand allez-vous reprendre les entraînements ? J'ai déjà repris les entraînements depuis pratiquement une semaine. J'ai commencé par des séances de footing très légères. -Apparemment, depuis votre médaille d'or, vous ne pouvez plus passer inaperçu dans la rue… En général, la notion de famille, sous-entend les gens très proches de vous. Mais aujourd'hui, j'ai comme l'impression que je fais partie de la même famille que les gens que je croise dans la rue. Tout le monde vient me saluer, me serrer la main ou m'embrasser et surtout m'encourager. Comme si depuis les Jeux olympiques de Londres, je leur appartenais, à eux aussi. Et souvent, j'entends les mêmes propos d'encouragement m'incitant à aller de l'avant, qu'ils émanent du premier responsable du pays ou du simple citoyen. Tous m'ont félicité et le font encore et me demandent de continuer dans cette voie. -Certains médias et professionnels du sport ont qualifié votre médaille d'or du 1500 mètres de «véritable surprise». Partagez-vous cet avis ? Pas du tout ! J'ai pris part aux Jeux africains en 2011, où j'avais réalisé 1: 43.88. J'ai aussi réalisé 3 : 30.80 sur le 1500 mètres à Monaco en 2012. Mes résultats ont toujours été en progression, et aux JO, j'étais au top de ma forme. J'ai fait beaucoup de sacrifices pour arriver au sommet. Depuis le mois de décembre jusqu'au jour de la finale, j'ai beaucoup travaillé, loin de ma famille et de mes amis. Je me suis assigné un objectif et je suis resté tout le temps très concentré pour l'atteindre. Dire que c'est une surprise, c'est un peu trop facile comme conclusion ! -Comment avez-vous réagi aux déclarations qui mettent en doute votre performance, assurant que vous étiez blessé la veille ? Emettre des suspicions dès lors qu'il s'agit d'un athlète africain, arabe, musulman et algérien, n'est pas nouveau. Les gens qui m'entouraient ne me disaient rien et j'étais un peu en retrait. Je ne donnais pas trop d'importance à ce qui se racontait sur moi. Et c'est tant mieux ainsi. -On aimerait vraiment savoir ce qui s'est produit dans cette course du 800 mètres, sachant dès le départ qu'il allait y avoir un chevauchement entre les compétitions du 800 et du 1500 m… Ce choix n'était ni celui de la Fédération, encore moins celui de l'entraîneur, mais le mien. J'avais pris cette décision en demandant au DTN de m'engager dans les compétitions du 1500 et du 800 mètres. J'ai discuté un peu avec mon entraîneur, mais je le répète, c'était ma décision. Pourquoi ? J'ai voulu mettre toutes les chances de médaille de mon côté. Imaginons un instant que j'avais fait une chute lors des séries du 1500 mètres, avec cet engagement, j'aurais pu avoir une autre chance sur le 800 mètres. Le problème, c'est qu'il fallait retirer l'engagement du 800 mètres à 9h le jour de ma course du 1500 mètres. J'ai pu me qualifier et je me suis présenté le lendemain lors de l'épreuve du 800 mètres. Je traînais une blessure, et lorsque j'ai senti des douleurs, je me suis arrêté. -Qu'avez-vous ressenti après avoir appris votre disqualification, qui vous privait de la participation à la finale ? Il faut savoir que le règlement avait changé, puisqu'on exige désormais des athlètes qu'ils terminent leur course. Malgré ma disqualification et des tensions à Londres, je suis resté très calme. Le directeur technique national était dans tous ses états à cause des pressions qu'il subissait d'Alger. Quand j'ai passé l'IRM, le médecin m'a confirmé que j'avais une blessure, qui pouvait même m'empêcher de courir. Je lui ai demandé de se contenter de nous établir le certificat médical. La course, j'en faisais mon affaire. Dieu merci, j'ai pu courir et même remporter la médaille d'or. -Comment expliquez-vous, justement, que vous ayez pu produire la même course que lors de la demi-finale ? L'accélération est peut-être une de mes qualités et j'ai voulu en profiter. Il faut savoir que cette saison, mes courses sont devenues plus rapides avec mon entraîneur Jama Aden. Souvent quand le rythme d'une course est lent, tous les athlètes ont leur chance lors du finish. Je ne voulais pas en arriver là. D'ailleurs, c'était un peu comme ça que les grands Morceli et El Guerroudj faisaient la différence par le passé. -Vous avez eu une discussion avec Hicham El Guerroudj après votre consécration, que vous a-t-il dit ? Je l'avais rencontré bien avant la course. Il m'avait conseillé : «Prépare-toi et fais-toi discret.» Après la course, il était très content de ma consécration et il m'a bien sûr félicité pour ma médaille d'or. -Vous avez aussi eu l'occasion de rencontrer Noureddine Morceli. De quoi avez-vous parlé ? On s'est vu au siège du ministère de la Jeunesse et des Sports avec le nouveau ministre, Mohamed Tahmi. J'avais des choses à dire au ministre, mais j'étais tellement content d'avoir rencontré pour la première fois ce grand champion qu'est Morceli, que j'ai engagé toute ma discussion avec notre star nationale ! Il ne faut pas oublier qu'il a apporté beaucoup de joie au peuple algérien et contribué à faire connaître le nom de l'Algérie partout. Ce n'est pas n'importe qui. A ce jour, partout où je passe à l'étranger, les gens me demandent de ses nouvelles. Morceli m'a prodigué quelques conseils, en m'assurant qu'il restait très disponible si j'avais besoin de quoi que ce soit. D'autres grands champions comme Sief, Guerni, Merah m'ont beaucoup conseillé et m'ont fait part de leur soutien. -Comment comptez-vous conserver votre titre de champion olympique ? La responsabilité est devenue encore plus lourde à porter aujourd'hui. Je ne cours désormais plus pour moi-même, mais pour toute l'Algérie. La pression sera certainement plus forte. J'espère pouvoir me servir de cela pour réussir d'autres résultats à l'avenir. Conserver le titre olympique le plus longtemps possible, et aussi me rapprocher du record du monde sont mes objectifs. Pour cela, je dois rester le plus longtemps compétitif afin de pouvoir apporter plus de joie aux Algériens. -Pensez-vous que le résultat lors des JO s'explique aussi par le fait que vous ayez pris la décision de partir à l'étranger ? Je suis passé par trois entraîneurs et j'ai pu en tirer profit. Avec chaque entraîneur, j'ai appris des choses. Peut-être que si je m'étais préparé uniquement avec Jama, je n'aurais pas pu décrocher la médaille. Même chose si je l'avais fait uniquement avec Ali Redjimi ou Amar Brahmia. Dieu a voulu que je puisse connaître la consécration avec Jama Aden. Il est connu. Moi, je l'avais choisi sur la base de son palmarès de médailles au niveau mondial et de ses résultats. Il a su compléter ce qui me manquait. Je ne vous cache que je me sentais très bien sur le plan mental. Le fait de me préparer à l'étranger avec des athlètes de différentes nationalités a été positif pour moi. J'étais très à l'aise, et toute ma concentration était portée sur les entraînements et rien d'autre. -Vous avez déclaré lors de votre consécration que vous dédiez cette médaille à ceux qui vous ont aidé et à ceux qui ne l'ont pas fait. Que vouliez-vous insinuer par-là ? Parfois, on passe par des expériences difficiles qui vous donnent encore plus de motivation et de détermination. Comme tout athlète, j'ai connu des gens qui m'ont aidé et d'autres qui l'ont très peu fait ou pas du tout. Ceci a indirectement forgé mon caractère en me donnant plus de motivation pour atteindre mon objectif. La morale que j'ai bien apprise de ma petite expérience, c'est qu'il ne faut jamais baisser les bras face aux difficultés, et ceci est valable pour tout le monde. Quand une porte se ferme, il y en a toujours une autre qui s'ouvre.- Il paraît que les Kényans ne veulent plus vous voir vous préparer chez eux… Il s'agit sans doute de propos de journalistes. Les Algériens sont connus sur les distances de demi-fond. Franchement, j'aurais pu faire la préparation ailleurs et m'imposer au final. -Finalement, votre permis de conduire, vous l'avez eu ou pas ? Je dois passer mon examen de conduite jeudi prochain. Mais je me débrouille bien ! Si tout va bien, je pourrais rentrer chez moi à Souk Ahras, dès jeudi prochain, en voiture.