Le ministère de l'Intérieur a mobilisé toutes ses forces pour la circonstance. Tunis De notre correspondant La Tunisie continue à vivre dans la crainte de voir la situation déraper en rapport avec le meeting prévu par Ansar Charia à Kairouan, interdit par le ministère de l'Intérieur. Des tractations se poursuivent toutefois pour reporter sine die cette manifestation. Mais les salafistes rigoristes s'avoueront-ils vaincus ? Le ministère tunisien de l'Intérieur a pris des mesures draconiennes pour réduire au maximum l'affluence des sympathisants d'Ansar Charia vers Kairouan. Des contrôles stricts sont opérés sur toutes les routes menant vers cette ville. Des brigades opèrent même dans les stations de taxi groupées pour empêcher tout départ «suspect». Les agences de voyages ont été «avisées» pour ne pas louer de bus aux salafistes. «Même les contrats de location déjà payés ont été annulés», avait indiqué jeudi dernier le porte-parole d'Ansar Charia, Seifeddine Rayes, lors d'une conférence de presse tenue pour annoncer «leur refus de présenter une demande d'autorisation pour faire leur meeting». Les contrôles policiers sont certes facilités par le look des salafistes : djellaba pour les hommes et niqab pour les femmes. A Kairouan, sévit un calme prudent. Hier en début d'après-midi, la place derrière la mosquée Okba Ibn Nafaâ, prévue pour accueillir le meeting, était vide. Pas de préparatifs visibles pour la tenue d'une manifestation, comme ce fut le cas l'année dernière. Le ministère de l'Intérieur a sonné la mobilisation générale sur le terrain, allant même jusqu'à rappeler les agents de l'ordre en congé pour renforcer les équipes opérationnelles. Mobilisation générale sur le terrain Cette rigueur a été déjà annoncée lors de la conférence de presse tenue mercredi dernier par Rached Ghannouchi, l'homme fort de la Tunisie, lorsqu'il a exigé de tous de «respecter la loi et l'autorité de l'Etat». Mais Ansar Charia n'a pas saisi la teneur du message de Ghannouchi et a continué dans la surenchère. «L'appel à Dieu ne saurait faire l'objet d'une autorisation», a répliqué le lendemain leur porte-parole à la demande du ministère de l'Intérieur de se conformer à la loi dans la tenue des réunions publiques. «Les dirigeants d'Ansar Charia ont raté une bonne occasion de compromis lorsqu'ils n'ont pas adhéré à l'option de cheikh Mohamed Khelif, l'imam prédicateur de la mosquée Okba Ibn Nafaâ de Kairouan, qui a présenté une demande de meeting au nom de l'association Al Kitab et El Sunna, et ce, pour le dimanche 19 mai», a constaté l'islamologue Néji Jalloul. «La déclaration de Ghannouchi était le dernier avertissement. Mais Ansar Charia n'a pas saisi le message au vol», a-t-il ajouté. «Les islamistes d'Ennahdha ne pouvaient se permettre de nouveaux ratages, alors que l'échéancier électoral pointe à l'horizon», a conclu l'islamologue. Le mauvais calcul des salafistes d'Ansar Charia a poussé leurs cousins de Hizb Ettahrir à leur demander de «reporter leur meeting», afin d'éviter «l'effusion du sang islamiste». Mais ce conflit entre le pouvoir de la troïka, Ennahdha en tête, et Ansar Charia cache plusieurs portées qui risquent d'influencer l'avenir de la Tunisie. La montée visible du péril djihadiste, d'une part, et l'échec de la gouvernance de la troïka dans l'amélioration de la vie courante des Tunisiens, d'autre part, ont créé un malaise évident entre le peuple et ses gouvernants. Les acteurs de la scène politique, Ennahdha compris, sont conscients de ce constat. Des enjeux importants Les islamistes essaient par conséquent de limiter l'impact de la mauvaise gouvernance sur leur électorat potentiel, en vue des prochaines échéances. A cet effet, faute de mesures socioéconomiques palpables pour contrer l'usure du pouvoir d'achat des citoyens, Ennahdha essaie d'améliorer le côté sécuritaire. D'où le besoin de renforcer l'autorité de l'Etat. Sur un autre niveau, il est impératif d'améliorer l'image de la Tunisie à l'étranger pour attirer aussi bien les touristes que les investisseurs. Les images des «razzias» salafistes ont causé beaucoup de tort à la perception de cette Tunisie, «cas à part» dans le monde arabo-islamique. Le leader d'Ennahdha, Rached Ghannouchi, qui part aux Etats-Unis à la fin du mois de mai, a besoin de ce «divorce» avec les salafistes pour mieux «vendre» la nouvelle Tunisie aux Américains et défendre le bilan de la troïka. «Les salafistes peuvent payer les frais de cette tactique», explique le politologue Hamadi Redissi. Il est toutefois utile de souligner en conclusion qu'Ansar Charia a régulièrement évité la confrontation avec les autorités. Plusieurs observateurs privilégient un non-événement aujourd'hui à Kairouan.