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«La peur de l'arbitraire administratif risque de freiner l'investissement agricole» Slimane Bedrani. professeur à l'ENSA et directeur de recherches au CREAD
Pour Silmane Bedrani, professeur à l'Ecole nationale supérieure d'agronomie et directeur de recherche au CREAD, le fait que le foncier agricole soit toujours en phase d'assainissement n'est pas étonnant. -Cinquante ans après l'indépendance, le foncier agricole est toujours en phase d'assainissement. Comment expliquez-vous cette situation? Le foncier appartenant à l'ancien secteur colonial fait partie du domaine privé de l'Etat. Après l'avoir donné en jouissance héréditaire en 1987 à des attributaires (personnes travaillant à l'époque sur les domaines agricoles socialistes et cadres du ministère de l'agriculture), l'Etat s'est ravisé en 2010 et a transformé le droit de jouissance en concession pour une période renouvelable de 40 années. Que le foncier agricole soit toujours en phase «d'assainissement» n'est pas étonnant. Deux raisons, à mon avis, expliquent cet état de fait. La première est que les bénéficiaires du droit de jouissance ne se pressent pas pour se conformer à la nouvelle loi d'une part parce qu'elle est plus désavantageuse pour eux (échanger un droit de jouissance perpétuelle et héréditaire contre un droit de jouissance de 40 ans même renouvelable), d'autre part parce que beaucoup nourrissaient l'espoir que l'Etat pouvait encore changer d'avis et, peut-être, revenir sur sa dernière décision. La deuxième raison du retard dans l'application de la loi sur les concessions est la lourdeur de l'administration, lourdeur que stigmatise le ministre de l'agriculture lui-même qui déclarait le 11 novembre que «la promotion des investissements dans le secteur agricole exige la lutte contre la bureaucratie comme condition sine qua non ajoutant qu'il faut que l'administration facilite les procédures et se montre à l'écoute des agriculteurs.
-Les demandes de concession et l'établissement des actes conformément aux dispositifs de la loi devront s'achever d'ici à fin décembre, mais certaines wilayas enregistrent des retards. Pensez-vous que les délais seront respectés ? D'après les chiffres officiels, à la fin du 1er semestre 2013, l'Office national des terres agricoles (ONTA) a recensé 215 172 dossiers (de conversion de droit de jouissance en concession) sur un total attendu de 219 406 (un taux de 98%). A cette date, 173 464 cahiers des charges ont été signés avec les agriculteurs concernés. Mais seulement 68 563 actes de concession ont été attribués, soit à peine 32% des agriculteurs ayant signé le cahier des charges. Vu le nombre de cas en souffrance, il est très peu probable que le dossier concernant l'application de la loi portant transformation du droit de jouissance en concession soit apuré d'ici fin décembre 2013. -Cette loi a essentiellement pour objectif d'assurer la sécurité alimentaire du pays. Est-ce suffisant où devrait-on penser à d'autres mécanismes, d'autant que les terres risquent de nouveau d'être inexploitées ou détournées de leur vocation, comme c'est le cas justement actuellement ? La loi n° 10-03 du 15 août 2010 fixant les conditions et modalités d'exploitation des terres agricoles du domaine privé de l'Etat a pour objectif principal de créer un marché légal des droits de jouissance puisqu'il permet au concessionnaire de céder (à titre gratuit ou onéreux) ou donner en garantie son droit de jouissance. Elle vise à amener plus d'investissements dans l'agriculture dans l'espoir d'augmenter les productions et de diminuer la dépendance alimentaire. Si le concessionnaire n'a pas le droit de sous-louer la terre donnée en concession (obligation du travail direct), il peut s'associer à des partenaires qui apporteraient des capitaux et/ou un savoir-faire pour accroître les rendements et les productions. Ce qu'il n'avait pas le droit de faire sous le régime de la loi de 1987. En fait, les lois et les règlements permettant de faire exploiter correctement les ex-terres coloniales sont suffisants et parfaitement clairs. Ils n'expliquent pas pourquoi certaines terres sont non exploitées, insuffisamment exploitées ou détournées de leur vocation. L'explication se trouve principalement dans le manque de volonté de l'administration à faire appliquer les lois et règlements, manque de volonté qui s'explique lui-même par soit l'impuissance des fonctionnaires chargés de l'application des lois et règlements face à de puissants intérêts privés, soit par la crainte des autorités à susciter des mouvements sociaux pouvant déstabiliser l'ordre établi, ceci conduisant les fonctionnaires concernés à fermer les yeux sur les dépassements. La création de l'Office national des terres agricoles et son renforcement par des commis de l'Etat intègres et compétents devraient optimiser l'exploitation des terres appartenant au domaine privé de l'Etat pour le plus grand profit de la Nation. Il faudra, cependant, que l'ONTA agisse avec beaucoup de perspicacité et n'utilise pas abusivement son droit de résilier administrativement le droit de concession en cas de manquement de l'exploitant à ses engagements, résiliation qui était prononcée auparavant par la justice sur une saisine du wali territorialement compétent. En effet, la peur de l'arbitraire administratif accroît l'insécurité de la tenure et risque de freiner l'investissement agricole.