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«Les Algériennes au château d'Amboise»
Extraits du livre d'AMEL CHAOUATI
Publié dans El Watan le 15 - 02 - 2014

En haut du jardin, je reste figée. Ma voix me déserte. Tout en moi devient un œil qui regarde. Je découvre une vaste esplanade, avec un nombre important de tombes musulmanes, toutes identiques, au format carré. Elles semblent avoir été déposées la veille, la pierre n'est pas marquée par les saisons. Un verset coranique se répète sur chaque pierre. Le nom de chaque défunt est écrit en calligraphie arabe. Une stèle grisâtre au milieu des tombes témoigne du temps qui passe. Elle s'érige dans ce lieu insolite tel le minaret d'une mosquée. La dorure du croissant rehaussé de trois petites boules, brise quelque peu son austérité.
Je remarque une plaque au sol. Je m'avance, je lis ce que je suis venue vérifier : «Ici reposent vingt-cinq personnes de la suite de l'Emir décédées entre 1848 et 1852». Je viens d'avoir la confirmation que des femmes, des hommes et des enfants algériens avaient bien trouvé la mort dans ce lieu. Je compte le nombre de pierres ; il y a eu vingt-cinq victimes. Je suis bouleversée par ce triste tableau, mais le regard insistant de mon amie me force à sortir de ma torpeur. Sur une tombe, je lis tifl, enfant : je déduis que ces enfants avaient trouvé la mort avant de pouvoir porter un prénom selon la tradition. D'autres prénoms restent inaccessibles ; ils sont voilés comme par pudeur par des herbes hautes. Soudain, me vient l'idée de noter leurs noms. Pendant ce temps, des visiteurs arrivent. Ils sont surpris de découvrir un cimetière musulman dans le château.
Avant de quitter le château, j'effectue un tour à la librairie. Je découvre deux livrets qui vont me donner quelques éléments de réponse. Le premier a pour titre L'émir Abd el-Kader à Amboise 1848- 1852. Je saurai plus tard que l'un des deux auteurs est le directeur du château. Le second livre, Jardin d'Orient parle spécifiquement du cimetière ; je le lis le soir même, avant de pouvoir trouver le sommeil. J'apprends que la vieille stèle au milieu des tombes avait été construite par les habitants d'Amboise en 1853, à la mémoire des personnes disparues. J'apprends aussi que le cimetière est une installation conçue en 2005, soit deux ans avant ma visite, par le paysagiste et plasticien algérien Rachid Koraïchi. L'installation a été déposée là où les Algériens sont inhumés. (…)
J'éprouve une étrange sensation lorsque j'ouvre le premier carton. Je découvre des lettres manuscrites jaunies par le temps. Parfois l'écriture est digne du tracé d'un calligraphe. D'autres fois, elle est si serrée qu'on croirait qu'elle s'est tassée dans le carton avec les années. Mais il y a toutes ces lettres illisibles que je range à regret avec la conscience de rater probablement des détails importants.
Dans ce vaste bâtiment renfermant des traces du passé, je consulte des centaines de lettres, certaines reproduites sur des bobines de qualité médiocre à me provoquer des maux de tête. Certains contenus me surprennent jusqu'à me faire pleurer et parfois à me faire rire. Je travaille sans m'arrêter jusqu'à la fermeture des portes. J'oublie même de me sustenter. Alors que je suis en train de dépouiller ces lettres, des voix féminines nettes et audibles font irruption brusquement.
Ces voix d'outre-tombe résonnent dans cet univers sobre et silencieux où l'on entend les pages des vieux journaux tournées délicatement par les chercheurs de tout âge, venus du monde entier. Les voix de ces Algériennes m'assiègent et ne me quitteront plus. Elles attendaient d'être délivrées de l'enfermement de l'histoire et pour certaines d'une mort inachevée.
Tous les soirs dans ma chambre d'hôtel, j'écris sur des feuilles volantes ces voix qui m'ont prise d'assaut dans le seul but de me libérer d'elles. (…)
Après avoir reçu l'ordre de quitter Toulon, Abdelkader, sa famille et leurs domestiques furent conduits après quatre jours de déplacement en voiture à cheval et en péniche jusqu'à Pau. Ils étaient escortés par des chasseurs à cheval et des gendarmes. Sous l'ordre du gouverneur d'Algérie, les trois frères de l'Emir et leurs suites étaient arrivés à Toulon quelques semaines avant ce déplacement. Ils faisaient partie du convoi. Deux tombes restèrent derrière eux : celle d'une petite Fatma, âgée de deux ans, fille de domestiques d'Abdelkader, et celle de Salem, le beau-père de ce dernier, père de sa seconde épouse, Aïcha.
Une fois de plus, ils arrivèrent dans la nuit. La petite Zineb, fille de Mabrouka, une domestique de l'Emir mourut sur le chemin le 30 avril. Elle avait neuf mois. Mais l'ordre fut donné de ne pas s'arrêter. Depuis la révolution de février et la chute de la monarchie en 1848, l'insécurité régnait dans le pays. Dans une autre voiture, un autre enfant gémit, le petit Abdallah, fils d'Abdelkader ben Mahieddine et de Khira ben Sidi Ali. Au lendemain de leur arrivée au château, ils inhumèrent Zineb. Abdallah mourut ce jour-là. La mère tomba gravement malade. Deux mois plus tard, le 27 juillet, les Algériennes veillaient la mort de Mohamed, fils de Khadidja et Ben Abbou, domestiques, à l'âge d'un an. Le 7 août, ce fut le tour de la petite Khadidja, fille d'Abdelkader et de Fatma, une djaria. L'enfant avait deux ans. Quatre jours plus tard, Rayhana, fille de Saïd, frère de l'Emir, s'éteint à l'âge de huit mois. Abdelkader fit une demande insistante pour obtenir une concession à perpétuité pour ses deux enfants ainsi que pour les trois autres. Il eut gain de cause en 1849. (…)
L'état de santé de Mbarka fut critique. Elle sombra dans la mélancolie. Le directeur du château alerta les autorités. Au commencement du printemps de l'an 1850, elle fut atteinte d'une fièvre violente. Son époux fut bouleversé. Il autorisa le médecin à l'ausculter. Abdelkader resta à son chevet, il ne la quittait plus. Mbarka avait conscience que sa fin approchait chaque jour. Elle s'inquiétait de l'avenir incertain de son fils Ahmed à peine âgé d'un an, chétif et frêle. L'état de santé de la mère était contre-indiqué pour l'enfant, pourtant elle ne voulait pas entendre raison, elle préférait avoir son fils auprès d'elle.
Pendant cette douloureuse épreuve, la première épouse, Kheira, tomba gravement malade. Elle pleurait sans cesse. Elle ne supportait pas l'attention que son mari réservait à sa jeune et jolie rivale. Deux mois plus tard, Kheira s'abîma à son tour dans la mélancolie et la mort tournoyait autour d'elle.
Dans l'autre pièce, Mbarka sombrait dans l'agonie.Le médecin annonça à Abdelkader qu'il risquait de perdre ses deux épouses. Bien que bouleversé, il ne quittait pas le chevet de Mbarka. Sa fin approchait. Elle mourut le 2 juin 1850. Le mari éprouva un profond chagrin. Une lettre du directeur porte à nous un témoignage du lien à sa jeune épouse pendant cette triste épreuve : «Il avait un vif attachement pour elle, il l'a entourée ces derniers jours des plus tendres soins». (…)
Avant le début de la conférence, je patiente dans le hall en face la salle. Je vois arriver la moudjahida Louisette Ighilahriz qui brave avec peine les marches d'escalier, appuyée sur une canne. Lorsqu'elle apprend que je suis la conférencière, elle m'embrasse et me remercie pour ce que je fais. Ma peur redouble d'intensité brusquement. La salle est remplie aux trois-quarts, soit soixante-dix personnes environ selon les organisateurs. Il y a autant d'hommes que de femmes, essentiellement de la génération de mes parents présents dans la salle. Il y a aussi quelques jeunes personnes. Lorsque je débute la conférence, mon émotion est
grande ; ma voix tremble et hésite. Je finis par retrouver ma sérénité. Je me lance dans une présentation qui dure une heure. Pas un seul bruit ne me parvient du public. L'attention collective est à son maximum. Lorsque je termine mon exposé, j'entends de longs applaudissements. Je me sens enfin soulagée. J'ai ramené les Algériennes dans leur pays.
Après un long débat, certains viennent vers moi. Leurs questions, leurs attentes et leurs encouragements déterminent définitivement l'écriture de cet ouvrage. Je n'oublierai pas les bénédictions d'une autre moudjahida qui est venue assister à la conférence.
Dans le patio, je retrouve Louisette Ighilahriz assise, discutant avec une amie. Elle a pris la parole pendant le débat pour dire combien il est important de raconter et écrire le rôle des Algériennes pendant la colonisation, oubliées, ignorées la plupart du temps.
Je me rapproche d'elle et m'agenouille à sa hauteur. Derrière ses lunettes, elle me regarde silencieusement.
Elle m'explique ensuite doucement qu'elle est touchée par cette histoire. Elle a été elle-même emprisonnée à Pau. Un long frisson me parcourt le dos. Je voudrais pleurer et la serrer dans mes bras, mais je la regarde simplement en souriant, je l'embrasse avant de quitter ce lieu pour un petit moment.
J'ai besoin de marcher, je me sens oppressée par tant d'émotion. Je longe le front de mer. Le soleil a déjà disparu derrière une mer argentée.


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