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Va-t-on arrêter ce cinéma ?
Ahmed Bedjaoui. Universitaire, producteur, critique de cinéma, auteur
Publié dans El Watan le 11 - 12 - 2014

«Il est plus difficile et plus important aujourd'hui de se dégager des mots qui sonnent faux, des idées creuses et des organisations étouffantes que de composer de nouveaux hymnes.» Alain Touraine
De sa naissance en 1943 à Sebdou près de Tlemcen, de son enfance tourmentée, Ahmed garde des moments phares gravés dans sa mémoire. L'école primaire à Sebdou et le collège à Tlemcen. «La rentrée d'octobre 1954 a été vécue normalement. On était insouciants, parfois rêveurs, à quelques encablures seulement de la grande déflagration de Novembre. On entendait parler de la lutte à travers ce que disaient nos parents. Mon père Abdelkrim, militant depuis l'Etoile Nord-Africaine, passait son temps entre les tribunaux et les prisons où il a croupi durant la guerre. Il était connu dans la région. Il tenait un magasin où il vendait un peu de tout. J'ai le souvenir qu'il m'emmenait, très jeune, dans sa vieille camionnette Citroën à la campagne où il signait des choses avec des responsables des tribus des Ouled N'har et les Haniane. Il alimentait les maquis. C'est après que j'ai décrypté.»
Abdelkrim, homme à forte personnalité, était titulaire du brevet et friand des auteurs classiques français. Il a toujours refusé d'exercer dans l'administration coloniale, préférant travailler dans des domaines moins valorisants. Il avait adopté deux enfants, partie intégrante de la famille. Le plus âgé est venu un jour l'informer de la chute de Dien Bien Phu. La réplique de Abdelkrim, au-delà de la joie provoquée, était cinglante : «Si Dien Bien Phu est tombé, nous aussi on peut faire plier l'ennemi.» Ces mots étaient perçus comme un électrochoc par Ahmed. «C'étaient les premiers mots de conscience d'un petit garçon», se souvient-il. Un mois après, la guerre éclate et une année et des mois plus tard les premiers militants lycéens composés en réseaux de fidayine étaient sur la brèche. «Et lorsqu'on a ramené les cadavres criblés de balles de deux de nos camarades étalés dans la cour, cela a créé un séisme chez nous, qui a nourri un sentiment de haine et le désir de vengeance.»
L'assassinat du Dr Benzerdjeb par la soldatesque française avait jeté l'émoi parmi la population : «Notre prof d'histoire nous avait dit d'assumer notre devoir en assistant à l'inhumation et en protestant contre la répression. C'était Sid Ahmed Inal. Je l'admirais, il refusait l'ordre colonial et le faisait savoir. C'était un homme libre. On a manifesté, et ça a dégénéré. J'avais 12 ans et demi. Le lendemain de la cérémonie funéraire, Inal avait pris le maquis au même titre que mon père et mon frère Mohamed.» Inal, un révolutionnaire convaincu s'est illustré comme un leader, avec Abdelkader Guerroudj qui activait dans la région.
Le souvenir du Dr Benzerdjeb
A 15 ans, tout en poursuivant ses études Ahmed devient à son corps défendant le responsable de la famille. A cet âge où le rêve est permis, Ahmed ne s'en prive pas en s'immergeant totalement dans le septième art. Le premier contact avec les salles obscures ? «Très jeune, mon oncle Mohamed Cherif, un des animateurs de Dar El Hadith de Cheikh El Ibrahimi à Tlemcen, occupait la fonction de projectionniste du village. Il lui arrivait même de projeter des films à domicile, ce qui ne nous déplaisait pas, bien au contraire.
Des films américains, et surtout égyptiens que ma grand-mère prisait particulièrement. A 8 ans, j'ai vu mon premier film américain, La vie est à lui, incarné par Humphrey Bogart. Je ne comprenais pas très bien, mais l'image me fascinait. J'étais amoureux des mécanismes du cinéma. Ça a continué ainsi ; je me suis fabriqué, sans le vouloir, une culture cinématographique. On habitait dans une aile de la grande maison de Mohamed Dib que sa sœur nous louait. Au collège de Slan, on avait un prof, M. Millecam, personnage atypique, grand cinéphile, copain du poète Cocteau. Il m'a dit : ‘‘Tu devrais venir avec moi à la Fédération nord-africaine de ciné-club» ; j'étais heureux, mais hésitant parce qu'il n'y avait que des élites, des notables. J'ai quand même franchi le pas et mon prof m'a parrainé comme membre à 15 ans !
Le prof animait le ciné-club tous les dimanches au cinéma Lux. J'y étais. Un jour, le prof s'en est allé. C'est là que j'ai appris qu'il était catholique de gauche et favorable à la cause algérienne. Comme Dib, il avait été interdit de séjour. Avant de partir, il avait laissé cette consigne : ‘‘Ahmed sera mon remplaçant !'' ; je n'ai pas trahi cette confiance, Dieu merci. Je revoyais les films parfois 10 fois, j'en étais imprégné, ce qui me facilitait les échanges avec le public.»
Cinéma, miroir de la vie
Rien ne prédisposait le sage et studieux Ahmed à choisir autre chose que le cinéma malgré les injonctions insistantes de son paternel. Sinon son goût de la singularité et une irrépressible soif de liberté. Vigie à l'œil aigu, bienveillant, Ahmed voit loin et juste. L'histoire, malgré ses bégaiements, lui donnera raison.
En 1962, avec Mounir Bouchenaki (qui deviendra cadre de l'Unesco), Ahmed crée une association qui englobait 1500 adhérents dont des filles ! «J'avais déjà une expérience à 21 ans et j'ai commencé à connaître la dimension littéraire des films et leur adaptation à l'écran. Des hommes m'y ont aidé, dont le monumental Mokhtar Guerroudj, prof d'histoire, puits de savoir qui m'a beaucoup apporté», résume Ahmed qui poursuivra ses études au lycée Lamoricière (Pasteur) à Oran, avant de préparer les grandes écoles en 1963 à Paris.
Ses condisciples étaient Malek Alloula et Abdelkader Djeghloul entre autres. Faire du cinéma ? «Mon père enrageait. ‘‘Ce n'est pas sérieux, ça ne nourrit pas son homme'', me répétait-il. Il rêvait pour moi de quelque chose de stable. Mais j'avais brillamment réussi à l'Institut du cinéma et cela suffisait à mon bonheur !» En 1966, Ahmed retourne à Alger et est affecté au CNCA et travaille avec Ahmed Hocine à la Cinémathèque d'Alger jusqu'en 1973. Parallèlement, il collabore à la rubrique culturelle d'El Moudjahid sous le pseudo de Réda Koussim, pourquoi : «J'ai choisi Koussim qui a fait des études supérieures tout en jouant très bien au foot ; pour moi, c'était un modèle.»
En 1967, Ahmed anime à la Radio l'émission «Tribune des écrans», en présentant les films qui passaient dans les principales salles du pays. Puis, ce fut le fameux «Télé-ciné-club» qui obtint un succès retentissant. Tout le monde se souvient de ces moments de liberté, à l'époque où celle-ci était brimée.
Sombre sort pour les salles obscures
«Le premier film que j'ai diffusé, c'était le début du cinéma parlant. Un film très dur, M. le Maudit, de Fritz Lang qui traitait de la montée du fascisme. Les décideurs m'avaient proposé une tranche horaire indue à 23h, après le film et le dernier JT. Mais j'avais l'intime conviction que les téléspectateurs avaient découvert le décryptage, l'analyse cinématographique. C'était un cinéma populaire. Les gens m'appelaient en direct. Il n'y avait pas de filtre, on prenait un risque énorme. Le débat s'est poursuivi au-delà de 2h du matin. Le lendemain, j'ai dit à mon épouse : ‘‘C'est ma première et dernière émission''. Mais, surprise, le DG m'appelle m'informant que l'émission avait fait un tabac et que désormais elle passerait après le JT de 20h.
Quelle aubaine, d'autant que j'ai appris que Boumediène, qui suivait assidûment l'émission, était un fervent cinéphile. J'étais devenu intouchable. Puis ce fut, Bab El Hadid, le film ‘‘monument'' de Chahine. Ce n'était plus les films à l'eau de rose égyptiens où la danse du ventre tient la vedette auxquels les Algériens étaient habitués. On avait débattu ce soir-là jusqu' à 1h du matin. Télé-ciné-club a duré 20 ans. J'étais programmé pour le 12 octobre 1988. Il y a eu le 5 octobre avec ses fureurs et ses révoltes. J'ai assisté aux manifestations. Ma parole s'est coupée. Comment peut-on parler de cinéma alors que le cinéma est dans la rue ? Des Algériens qui tirent sur d'autres Algériens !
C'était inconcevable, j'en étais traumatisé. J'ai décidé de ne pas reprendre mon poste à la télévision. J'ai eu le pressentiment que le rêve était brisé et que la rue avait remplacé le cinéma. Les salles ont commencé à fermer. Le public s'est recroquevillé sur les cassettes VHS. Le réel avait rattrapé la fiction. Il y avait comme une rupture, un malaise. Les gens n'avaient plus envie d'être ensemble dans des salles obscures. C'était devenu un cinéma virtuel et non réel. Car on ne fait pas un cinéma sans public.» Où va le cinéma algérien si tant est qu'il en existe un ? Il y a certes des cinéastes doués, mais point d'industrie cinématographique ni de volonté politique. L'état des lieux n'est pas reluisant. Quelques grands succès, une Palme d'or (une aubaine pour le régime de l'époque qui en a bien tiré des dividendes). Puis, le désengagement de l'Etat en 1998 en procédant de surcroît à la dissolution pure et simple des entreprises publiques de production et de distribution cinématographiques.
Sans liberté, pas de cinéma
Et, pour boucler la boucle, la fermeture des salles obscures est venue sonner le glas du septième art chez nous. Sur les 400 salles recensées en Algérie en 1962, il n'en reste plus qu'une vingtaine, regrette Ahmed, convaincu qu'il n'y a pas de cinéma mais seulement des cinéastes. Le Tout-Etat qui finançait, bien que chichement, qui légiférait, qui gérait (mal), qui orientait et censurait a pris la poudre d'escampette, laissant sur le carreau des ambitions et des rêves brisés. Le cinéma s'éclipse, concurrencé par les moyens sophistiqués de communication et de son éternelle rivale, la télévision. Les résultats sont tels que l'Algérie est le pays où il y a le plus d'antennes paraboliques au monde.
Les industries de l'audiovisuel et de la communication «globalisée» vont nous fourguer n'importe quoi sans qu'on puisse recourir à notre libre arbitre. Ahmed, qui aime les formules qui frappent, n'a pas de contorsions avec ses principes et est loin de flirter avec le dogmatisme. On le voit surtout plongé dans une contemplation désabusée de son amour-passion, le cinéma, dont la descente aux enfers l'irrite et l'agace. Dans ces sociétés virtuelles où le paraître prend le pas sur l'être, le cinéma, miroir grandissant de la société, est un des derniers endroits de liberté qui offre une radioscopie de nous-mêmes et de notre époque.
Pour qu'une société soit solidaire, vive bien et se sente bien, il faut qu'elle partage ses émotions. Mais que peut-on dans une société secouée et décapsulée comme une bouteille d'eau gazeuse ? La vérité s'éloigne de plus en plus de nos vies de citoyens, remplacée par les approximations, les caricatures, les insultes.
A ce propos, l'épisode malheureux du film L'Oranais de Lyès Salem assailli par les tenants de l'intolérance est édifiant et inquiétant à la fois. «La liberté de dire, c'est comme une sève. Il faut la laisser éclater. Le cinéma est une démarche, un choix, même si la vision est personnelle et non globale». «Vouloir projeter Hors-la-loi à Cannes est une erreur, et on n'a pas besoin d'être à Cannes pour être reconnu», affirme Ahmed qui fait savoir que Mohamed Lakhdar Hamina n'a pas trouvé de coproducteur en France. Comment le peut-il alors que son dernier film, Crépuscule des ombres, traite de blessures non encore cicatrisées. Les mémoires sont encore blessées des deux côtés de la Méditerranée. Mais il faut se libérer du regard colonial.
La décolonisation reste à faire mutuellement. Toujours est-il qu'après 50 ans, les passions sont toujours très vives et les tensions exacerbées. «Même au niveau des images, le contentieux est très lourd», relève Ahmed qui se désole de la situation du 7e art qui meurt d'une mort lente. «Les producteurs sont soit des demandeurs d'asile, soit des demandeurs de budget, dépouillés de leur propriété intellectuelle.» Actuellement, on ne parle que d'avant-première, où ce sont les mêmes 700 personnes qui viennent, et des festivals qui sont légion mais que personne ne voit. On est en train de parler d'un cinéma fantasmé et pas d'un cinéma réel. Le langage de Bedjaoui, direct et concis, émaillé d'humour, contraste avec les phrases alambiquées de certains hommes du secteur qui ne donnent jamais le fond de leur pensée, en s'abstenant d'«affamer le loup et de mécontenter le berger», comme le dit le vieil adage bien de chez nous…


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