L'islamisme est une réaction hostile à la sécularisation qui est inévitable.» C'est l'analyse du sociologue Lahouari Addi, qui ne pense pas moins que «la société algérienne se sécularise» et que «l'islamisme est le produit contradictoire de la modernité». Le Pr Lahouari a été invité, samedi, au Café littéraire de Béjaïa pour débattre autour de son livre, L'Algérie et la démocratie, pouvoir et crise du politique dans l'Algérie contemporaine, une republication, en fait, de son livre édité en France en 1994. La sécularisation, qui n'est rien d'autre que la laïcisation, «est une nouvelle modalité d'être musulman». Lahouari Addi estime que «le Coran est plus proche de la sécularisation que la Bible». «Il y a de très grands malentendus sur la laïcité» qui est «un phénomène historico-idéologique français», avance-t-il, ajoutant que c'est au nom de la laïcité que le colonisateur réprimait le nationalisme. Lui, en tout cas, ne fait pas usage du terme «laïcité», lui préférant celui de «sécularisation». S'il y a une comparaison diachronique à faire entre la société occidentale et la société musulmane, il invite à la faire entre les deux sociétés médiévales, considérant que «la société musulmane est encore médiévale». La société est définie dans son acception de «phénomène moderne» où la sacralisation de la vie humaine se pose comme postulat. «Il faut placer la valeur de la vie humaine au-dessus de tout si on veut vivre en société.» Bien qu'il relève qu'il y a eu des changements d'ordre culturel dans la pratique de la religion, le conférencier croit en la compatibilité entre islam et modernité. «Avec l'islam, on peut espérer une Algérie moderne», soutient-il, rappelant que la place de la religion est dans la sphère privée. Il rattache la modernité à la «conscience privée». «L'islam vécu de façon privée, affirme-t-il, peut nous permettre de vivre dans la société avec le respect de la vie humaine», loin de l'instrumentalisation de la religion, de l'aliénation, «de l'idolâtrie du totem» et aussi de la violence dont l'Etat a le monopole. «En Algérie, la violence n'est pas exercée dans le cadre de la loi», relève le sociologue, qui considère que «le pouvoir est historiquement faible» et qu'«il est fort contre les individus». «Le pouvoir exécutif, dont la légitimité vient de l'armée, refuse d'autres pouvoirs autonomes. On voulait protéger la société des divisions, ce faisant on l'a étouffée.» Ce bâillonnement n'a pas épargné les «corps intermédiaires» que sont, entre autres, la presse, les syndicats et les partis politiques. «On empêche les corps intermédiaires de prendre naissance naturellement. C'est pour cela que la religion est politisée, la langue surmédiatisée… La société respire par le politique», soutient le sociologue, qui constate la régression de l'élite actuelle. Les élites militaires, elles, «n'ont pas su se retirer graduellement du champ politique», ajoute-t-il précisant, toutefois, que «ce n'est pas l'armée qui est source de pouvoir mais l'administration militaire» pour distinguer entre celle-ci et «le bataillon». «L'armée doit être consciente qu'elle doit écouter ce que dit la société», plaide Lahouari Addi, qui se montre persuadé que le pouvoir n'a pas de prise sur la société pour empêcher sa marche vers la modernité. Lahouari Addi, en réponse à des questions du public, s'est positionné sur quelques questions d'actualité nationale dont celle, brûlante, de l'exploitation du gaz de schiste sur laquelle il a une position tranchée : «C'est irréel, irrationnel. Je suis contre. Qu'on attende encore.» Aussi, il trouve l'autosaisie du tribunal contre Saïd Sadi «absurde», non sans suggérer, à propos du mot «traître», de «bannir ce genre de mots dans les débats». Et d'ajouter que «Messali n'appartient pas à sa fille». A propos du MAK et de son existence, il répond : «Pourquoi pas, il peut exister, mais dans le cadre de la démocratie.» Concernant Kamel Daoud, qu'il soutient, il dit que «nous avons besoin de l'autocritique» et trouve la réaction de Boudjedra «honteuse».