J'habite provisoirement au Green hôtel, au quartier Hariqa », marmonnai-je au policier en civil qui m'a interpellé près du ministère de l'information, un appareil-photo à la main. « mais, à l'aéroport, vous aviez déclaré que vous descendriez à l'hôtel Echem, pourquoi ce changement d'adresse ? » Mélangeant le français, le dialecte algérien et un semblant du parlé syrien, je lui expliquai que, devant l'insistance du pafiste, j'ai dû balancer le nom de cet hôtel au hasard. J'étais de bonne foi puisque je venais de poser pied pour la première fois dans la plus vieille ville du monde qu'est Damascus, et, que de toute façon, au Green ou au Echem, je ne passais pas incognito chez eux... « vous semblez perdu », fit-il, l'air toujours malicieux. « c'est le cas de le dire, je veux visiter l'histoire de votre pays », dis-je quelque peu intimidé. Il me conseilla de commencer l'histoire par les Omeyyades. La mosquée des Omeyyades, construite en 705, est la plus ancienne avec le dôme de Jérusalem. Dans sa salle de prière, où se côtoient sunnites et chiites d'Iran avec leurs rites qui peuvent paraître choquants, gît dans un tombeau le crâne de Jean-Baptiste « Sidna Yahia », cousin de Jésus, précise Brahim, un quadragénaire enturbanné, et dont le dialecte est un mélange d'arabe levantin du nord et néo-araméen de l'Ouest. C'est ce qu'il m'expliqua avec le sourire, mais avec un air navré lorsqu'il s'aperçut que j'arrivais péniblement à déchiffrer ses informations. « ce n'est pas pour rien si Ibn Battûta disait de la mosquée qu'elle était la plus sublime du monde », renchérit-il. Sur les mêmes lieux se trouve le mausolée de Saladin, Salah Eddine el Ayoubi, mort en 1193 et dont le sarcophage en marbre fut offert par Guillaume II, comme indiqué à l'entrée de l'endroit sacré. Lana, Syrienne de confession chrétienne, artiste peintre, emmitouflée dans une sorte de hidjab ou de soutane mise pour la circonstance, se crut obligée de m'expliquer que pour « le respect de ces lieux saints, les femmes, quelles qu'elles soient, doivent se parer de cet habit ». Allah akbar, avec ou sans hidjab, Lana symbolise la splendeur orientale, mais bon, trêve de fantasme. Pays tolérant, religieusement parlant, en Syrie, coexistent, en parfaite harmonie, les sunnites, les plus majoritaires avec 74%, les chrétiens, les alawites, les druzes et les juifs, minoritaires avec seulement 1%. Mais, Damascus Echam n'est pas que légendes et croyances : ville multi-millénaire, la plus vieille du monde, elle est et reste avec Samarcande, la muse et la glorification des poètes. Elle est le carrefour des grandes routes qui menaient en Mésopotamie. En s'élevant sur djebel Kassioun, qui surplombe la capitale syrienne, une sensation vous ébranle. Comme si des êtres invisibles vous épient. Ici, on raconte qu'il y a 9 siècles, pour fuir leurs ennemis, quarante soufis se sont retranchés pour se frayer un chemin dans un rocher. L'histoire s'arrête là. Fichtre, difficile de parler de la Syrie sans retomber (fatalement ?) dans la mythologie. Mais bon... Retour de Jésus Toutes proportions gardées, les Syriens sont tous des encyclopédies, mais dès que vous « bifurquez » sur la politique, vous devenez suspect à leurs yeux. Lana, dont on dit qu'elle sortie droit d'une toile de Picasso, avec ses yeux émeraude, son verbe « dilaté » se rétracte lorsque je lui demandai de me servir de guide : « Chou triid ? (que voulez-vous) » « aller au Liban, simplement. Montre-moi le chemin, déesse ! », fis-je emballé. Dieu d'un après-midi poussiéreux, la bombe Abdelhalim Kheddam (l'opposant syrien en exil) n'aurait pas provoqué un tel séisme, dirait-on. Lana, dans un lexique incompréhensible, s'évapora entre les méandres du souk Hamidéah, les yeux subitement assombris. Etait-ce ma galanterie trop prononcée ou le terme Liban qui l'a fait déguerpir dare-dare ? toujours est-il qu'au pays de Bachar el Assad, on ne sait pas toujours où commence l'élégance et où se termine une discussion. Tfou... Qu'à cela ne tienne... à Saint Thomas, Bab Touma, le quartier chrétien, le pharmacien se crut obligé de me rappeler qu'étant petit, il chantait avec ses camarades de classe, l'hymne national algérien avant d'aller en cours. Et de se mettre à le fredonner « l'Algérie est un pays frère connu pour ses positions en faveur de la Syrie », ressassait-il. « Chay ? », proposa-t-il, joignant le geste à la parole. « Les Américains et certains pays arabes à la solde de Bush veulent nous opposer au Liban qui sont des frères, mais ça ne marchera pas ». Et d'enchaîner : « Kheddam est instrumentalisé par des services secrets occidentaux pour donner le prétexte aux ennemis de la patrie pour nous attaquer militairement, mais ils ne réussiront pas. » Le mont Hermon, la menace... Culminant à 2814 mètres, orienté du sud-ouest vers le nord, enneigé toute l'année, djebel al Cheïkh ou le mont Hermon est stratégique pour les Etats limitrophes. Israël souhaite garder le contrôle de sa station d'écoute. Zone fortement stratégique (toujours militarisée) avec le Golan, l'Hermon surplombe le Liban. « Vous voulez aller sur El djebel ? Vous ignorez ce que c'est. Pourquoi vous désirez y aller ? » Iyad, hôtelier d'origine kurde me bombarda avec une batterie de questions. Je souhaiterais retourner sur les lieux du tournage du feuilleton où le célèbre Dureïd Laham, ne sachant si sa maison appartenait au territoire syrien ou celui du Liban, restait coincé sur le tracé frontalier dans un no man's land extraordinaire ! Le sujet est délicat, et plaisanter a des limites. « Si vous souhaitez visiter le Liban, pourquoi vous ne faites pas comme tout le monde : passer par la frontière terrestre ? », me suggéra-t-il soupçonneux. Bonne question... La nuit surgit sans alerte. Damas sombre précocement dans les ténèbres, puis rejaillit avec des lumières multicolores des échoppes, des magasins, des salles de cinéma... Je m'engouffre dans un taxi à 25 lires en direction de Bab Sharqi. L'odeur des épices fortes et des marques de parfums célèbrement connues, mais contrefaites dans des ateliers publics, m'asphyxient. je négocie avec le même chauffeur pour m'emmener à Quneïtra, au sud-ouest, sur la frontière avec le Liban. « Moi, je n'ai pas le droit de vous y emmener, mais, je vous confie à un collègue, ce sera 600 lires », dit-il. Il appela son collègue qui rappliqua instantanément à bord d'un véhicule de marque iranienne. « détenez-vous l'autorisation pour y aller ? C'est une zone militaire », demande-t-il. Il m'expliqua que s'il me faisait passer dans cette région sans ce fameux laisser-passer, il risquait gros. « là où tu vas aller, tu ne seras pas loin du Liban, et si tu pousses juste un peu plus haut, tu sentiras l'air d'Israël, c'est ce qui explique toutes ces tracasseries », ajouta-t-il, explicite. Il était donc écrit que je n'irai pas au Liban par les chemins escarpés. Il est vrai que je ne suis pas sur n'importe quelle bande frontalière. Les temps sont durs et le Moyen-Orient, malgré ses histoires riches et énigmatiques, demeure une région où l'on ne fait pas vraiment le globe-trotter sans être rapidement assimilé à un aventurier suspect... J'habite toujours provisoirement au Green hôtel, au quartier Al Hariqa... Enfin, jusqu'à ma prochaine interpellation policière...